puisque le Festival d'Angoulême a révélé hier sa Sélection Officielle pour sa 49e édition, c'est l'occasion rêvée pour revenir un peu sur le fonctionnement de ce truc, et essayer d'apporter quelques réflexions à son sujet. #FIBD22
en théorie, le principe est simple, et opère en deux étapes: une Sélection Officielle effectuée dans la production de bande dessinée de l'année, dans laquelle un Jury va choisir les titres récompensés par le Festival.
jusqu'ici, tout va bien. sauf qu'il y a plusieurs sélections, plusieurs jurys, et plusieurs prix, et c'est là que ça peut devenir moins clair.
parlons tout d'abord des prix, puisque c'est qui intéresse tout le monde en définitive. ce sont les "Fauves" (depuis 2008) qui se répartissent en Fauve d'or du meilleur album, prix spécial du jury, prix révélation, prix de la série, prix de l'audace, Fauve des Lycéens, ...
... prix du public France Télévisions, prix de la BD alternative, Eco-Fauve Raja, Fauve Polar SNCF, prix du patrimoine, prix jeunesse 8-12 ans et prix jeunesse 12-16 ans. ouf.
soit pas moins de 13 prix, auxquels se rajoutent les deux prix décernés à des scénaristes de bande dessinée en association avec l'Institut René Goscinny, à savoir le prix René Goscinny et le prix René Goscinny du jeune scénariste.
je vais d'emblée écarter ces deux derniers prix, qui reposent sur un fonctionnement distinct du reste de la Sélection. ils ne sont pas cités au sein de la "Compétition Officielle" du Festival, même si leurs lauréats ont été annoncés hier durant la conférence de presse du FIBD.
je vais aussi écarter le prix de la BD alternative, qui est entièrement indépendant du reste (sélection, jury), ce qui est assez naturel vu qu'il s'intéresse à des publications "non-professionnelles".
revenons donc à ces 12 prix décernés par 6 jurys différents, qui piochent dans 6 sélections (et 2 sous-sélections spécifiques) établies par trois Comités de Sélection différents. je vais essayer de clarifier tout ça.
en gros, il suffit de partir du principe que chaque partenaire du Festival a sa sélection, son jury et son prix. c'est le cas du Fauve Polar SNCF et de l'Eco-Fauve Raja, qui s'appuient chacun sur un jury d'experts spécifiques.
le Fauve des Lycéens (en partenariat avec l'Education Nationale) et le prix du public France Télévision sont sur un fonctionnement hybride: dans chaque cas, un comité établit une sous-sélection au sein de la Sélection Officielle (resp. 10 et 8 titres).
cette sous-sélection est ensuite proposée à un jury, de lycéens pour le premier et de téléspectateurs pour le second.
les autres prix sont décernés par le Grand Jury (Fauve d'or du meilleur album, prix spécial du jury, prix révélation, prix de la série, prix de l'audace, prix du patrimoine) et le Grand Jury Jeunesse (prix jeunesse 8-12 ans et prix jeunesse 12-16 ans).
cette année, le Grand Jury sera composé de: Fanny Michaëlis (présidente), Pierre Alary, Florence Aubenas, Romain Brethes, Michel Hazanavicius, Mathilde Llobet et Pomme.
et le Grand Jury Jeunesse de: Alfred (président), Mickaël Brun-Arnaud, Charline Coeuillas, Lætitia Dosch, Violaine Leroy, Audrey Neveu et Frédérick Sigrist.
mais tout ça, c'est pour la fin janvier. revenons donc à ces sélections, lesquelles se répartissent en: Officielle, Patrimoine, Polar SNCF, Eco-Fauve Raja, Jeunesse 8-12 ans et Jeunesse 12-16 ans. comme évoqué plus haut, elles sont établies par trois comités.
ces comités de sélection sont: le Comité général, le Comité Série et le Comité Jeunesse. comme son nom l'indique, le Comité Jeunesse établit les deux sélections Jeunesse (8-12 ans et 12-16 ans).
le Comité Série a été mis en place en 2019 et s'intéresse aux séries (!), ce qui couvre en gros tout ce qui compte 4 volumes ou plus. ses choix (portant sur une dizaine de titres) sont intégrés à la Sélection Officielle. le reste des Sélections est établi par le Comité général.
dernier point important, les Sélections portent sur les ouvrages proposés par les éditeurs, ouvrages qui doivent être parus et commercialisés en français entre le 1er décembre de l'année précédente et le 30 novembre de l'année en cours.
la date butoir des envois se situe généralement autour du 20 octobre.
voilà pour cette (longue) introduction sur les aspects "techniques" du fonctionnement, ce qui va me permettre de passer aux réflexions et remarques. même si je fais partie du Comité général, je tiens à souligner que je parle ici en mon nom propre, rien de plus.
tout d'abord, il me semble que la structure des prix ressort d'un dialogue entre le Festival et ses partenaires. c'est très visible sur les prix SNCF et Raja, qui relèvent visiblement d'une volonté de ces entreprises de les mettre en accord avec un positionnement plus général.
la SNCF décerne un prix Polar en littérature, par exemple, ce qui fait qu'il y a une certaine logique à la voir parrainer un prix Polar en bande dessinée.
mais il y a également un dialogue avec les éditeurs: on se souviendra ainsi de l'expérience éphémère des "Essentiels" visant à mettre en avant plusieurs ouvrages sans les faire rentrer dans des cases, qui avait été abandonnée parce que jugée peu efficace sur le plan commercial.
le choix de considérer des ouvrages publiés en langue française (et pas seulement "en France") permet d'inclure les éditeurs francophones, et en particulier nos voisins belges, comme Dargaud Benelux.
malheureusement, ça entraîne parfois des situations étranges, comme avec Paul à Québec il y a quelques années (cf. du9.org/humeur/vues-ep…).
quant à la période considérée (1er décembre - 30 novembre), c'est celle qui permet de coller au mieux à l'année calendaire, tout en permettant d'avoir une Sélection finalisée à temps pour les achats de Noël -- les éditeurs s'empressant de coller des stickers "Sélection Angoulême"
le Festival se veut être un espace oecuménique, qui donne une place à toutes les bandes dessinées. cette volonté se retrouve aussi au sein de la Sélection Officielle: la création du Comité Série en est d'ailleurs le reflet, tout en illustrant la difficulté de l'exercice.
ce que je veux dire par là, c'est qu'il a toujours existé une tension entre la ligne éditoriale affichée via la Sélection et le Palmarès du Festival, et la vision d'une bande dessinée tout public fondée sur l'argument commercial.
cette tension n'est pas spécifique à la bande dessinée, mais caractéristique du monde culturel, cf. Dany Boon et les Césars.
derrière le Comité Série, il y a probablement au départ cette idée de redonner de la place à la bande dessinée plus "classique", peu à peu éclipsée dans les Sélections par l'évolution d'une partie de la production vers le roman graphique ou assimilés.
bref, trouver un terrain d'entente avec les "grands éditeurs" pour qui ce genre de titre est (commercialement) stratégique.
il y a aussi, d'un point de vue très pragmatique, la volonté de donner de meilleures conditions au "travail" de sélection: en allégeant le Comité général qui doit aborder un nombre toujours croissant de livres, et en introduisant un regard adapté à la "forme narrative sérielle"
vue d'un Festival aux récompenses annuelles, la question des séries est véritablement épineuse, puisque de par sa nature, la série s'inscrit dans un temps long.
en réalité, il était probablement plus simple de récompenser un tome d'une série par le passé, lorsque cette forme correspondait au classique 48CC de l'album d'aventure indépendant, avec des personnages récurrents.
c'est aujourd'hui beaucoup plus compliqué: non seulement certaines séries sont devenues beaucoup plus "feuilletonnesques", mais le manga a introduit une périodicité de parution plus élevée.
bref, récompenser tel ou tel tome d'une série devient un rien absurde, puisqu'il ne s'agit que d'un morceau d'un tout plus conséquent.
malheureusement, je ne vois pas trop de meilleure solution -- sachant qu'il faut aussi que les éditeurs y trouvent leur compte. ne considérer que les tomes 1 est très discutable, et ne récompenser les séries qu'une fois terminées limite l'impact économique de la récompense.
enfin, il est tout à fait normal que vous trouviez à redire aux sélections qui viennent d'être annoncées.
le choix du Festival de s'appuyer sur des Comités, puis sur un Jury, affirme le caractère subjectif de ce processus. on est à l'opposé de l'approche par "académie", dans laquelle toute la profession vote.
un jury accouche d'un point de vue, le vote d'une académie d'un consensus.
je ne dis pas que l'un est meilleur que l'autre, mais qu'ils sont profondément différents, et qu'il ne faut donc pas être surpris si la Sélection Officielle ne correspond ni à vos goûts, ni aux listes de best-sellers. "it's not a bug, it's a feature."
avant de crier au complot, il y a plusieurs raisons pour lesquelles vous ne retrouvez pas dans ces listes votre lecture préférée de l'année.
tout d'abord, il est possible que son éditeur ne l'a pas envoyée au Comité de Sélection. parce qu'il estime que ça ne sert à rien, ou que ça coûte cher, ou qu'il n'a pas de chance d'être sélection, ou parce qu'il n'a pas le temps de s'en occuper, ou parce qu'il a oublié.
et si l'on ne peut pas lire le livre, on ne peut pas le sélectionner.
ensuite, il est possible que le livre ait été envoyé, mais malheureusement trop tard pour pouvoir être lu.
le Comité général reçoit chaque année environ 600 ouvrages, dont un tiers entre le 1er septembre et la date limite d'envoi autour du 20 octobre. c'est *vraiment* beaucoup, même en étant un gros lecteur.
à nouveau, il y a un dialogue régulier entre le Festival et les éditeurs pour les sensibiliser à ce problème. et je dis bien "problème", parce que les Comités lisent, et veulent pouvoir lire tout ce qui se fait de bien en bande dessinée.
et ce, sans copinage et sans une quelconque influence des éditeurs. nous faisons nos choix en notre âme et conscience.
enfin, il est possible que votre lecture préférée de l'année ait été envoyée et reçue et lue, mais qu'elle n'a pas réussi à "passer le cut" et terminer dans la poignée d'ouvrages qui se retrouvent dans la Sélection Officielle.
j'ai dû lire cette année plus de 550 livres pour le Comité général, notre fichier de suivi comportait environ 120 titres ayant soulevé l'intérêt de l'un(e) ou l'autre.
notre dernière liste de délibération était à 80 titres, et il a fallu en écarter plus de la moitié, au terme de discussions passionnées (et passionnantes).
c'est le problème de ces listes, comme c'est celui des tops (50 ou 100, au choix): il y a toujours quelques titres qu'on aimerait pouvoir faire entrer, mais non, ce n'est pas possible, il n'y a plus la place, et il faut faire des choix qui sont (forcément) injustes.
oui, comme chaque année il y a des livres qui m'ont enthousiasmé et qui ne sont pas dans cette sélection. parce que ce n'est pas *ma* sélection, mais *notre* sélection, la sélection du Comité. et qui reste à mon sens une sélection curieuse, qui n'hésite pas à faire le grand écart
fin de ce très long thread, vous pouvez reprendre une activité normale.
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il y a eu pas mal de réactions sur le classement de Banana Fish ou de Tomie en "seinen" au moment de leur sortie en début d'année: en effet, les deux titres ont été publiés au Japon dans des revues classées "shôjo", phénomène qui n'est pas limité à ces deux titres en France.
cette situation pose la question de l'évaluation du véritable poids du shôjo en France, et de la réduction volontaire du genre de la part des éditeurs autour d'un plus petit dénominateur commun (et caricatural), à savoir les récits de romance.
curieux de voir ce qu'il en était vraiment au-delà des perceptions des un.e.s et des autres, je me suis (re)plongé dans les chiffres que j'ai utilisés pour le Panorama de la Bande Dessinée publié par @leCNL (centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/p…).
beaucoup de choses me viennent à l'esprit au moment du café en lisant cet article sur la question parfois épineuse de la réédition de certains titres de manga.
tout d'abord, le fait que cette pratique est monnaie courante dans l'édition, même si elle prend une tournure particulière dans le cadre de l'édition de manga, qui est de l'achat de droits.
du fait que ce soit de l'achat de droits, l'exploitation commerciale des mangas s'arrête de manière plus abrupte à la fin du contrat passé entre l'éditeur français et son partenaire japonais. d'où les annonces d'arrêts de commercialisation relayées sur certains sites.
petit thread matinal pour revenir sur ce que j'ai pu poster hier, alors que je regardais le webinaire organisé autour du 8e baromètre des relations auteurs/éditeurs (cf. scam.fr/Actualit%C3%A9…).
une question est revenue au cours de ces échanges, portant sur les à-valoirs, avec pas mal d'imprécisions autour de ce que cela représente, notamment de la part de Vincent Montagne (président du SNE).
ainsi, le système actuel repose sur le principe des à-valoirs: l'éditeur avance à l'auteur une partie des droits d'auteur que l'exploitation de l'oeuvre devrait rapporter. et lorsque l'oeuvre en question est publiée, l'éditeur se rembourse sur les premières ventes.
bon, je me rends compte que je n'ai pas très été actif ces derniers temps, que ce soit ici ou sur @_du9_, qui connaît une nouvelle période de sommeil. j'ai même raté deux Vues Ephémères à la suite, c'est dire.
il y a plusieurs raisons à cela, dont la vie en temps de pandémie, pas mal d'engagements ces derniers mois qui m'ont pas mal pris d'énergie, le décalage d'Angoulême (parce que je suis ce que les anglophones appellent "a creature of habit"), etc.
j'ai aussi commencé à travailler sur un gros truc dont je reparlerai en juin, mais qui m'enthousiasme pas mal. mais l'un dans l'autre, les journées n'ont que 24 heures, et j'ai régulièrement du mal à tout gérer de front.
toujours fasciné de voir que dans les discussions autour des relations entre auteurs et éditeurs, on place quasiment systématiquement sur le même plan la prise de risque des uns et des autres, alors qu'elles n'ont rien à voir.
je note également que l'on semble implicitement faire porter la responsabilité des à-valoirs non remboursés sur les auteurs. alors qu'en réalité, cela traduirait plutôt une mauvaise gestion de la part des éditeurs.
à moins que l'on soit sur un modèle différent (puisque les éditeurs semblent y trouver leur compte, sinon, ils le changeraient), auquel cas ce serait bien de le reconnaître.
Ce matin, @LeCNL et @IpsosFrance ont publié les résultats d'une étude intitulée "Les Français et la BD". L'annonce était initialement prévue pour le Salon du Livre en mars, et puis le COVID est passé par là.
Avant de me lancer dans le commentaire de ces résultats, je dois préciser que j'ai fait partie du comité de pilotage de l'étude dans sa dernière ligne droite, ayant été invité au moment de la finalisation du questionnaire.
C'est la première étude de cette ampleur depuis celle réalisée par TMO Régions pour la BPI le DEPS en 2011, et dont les résultats sont disponibles ici: neuviemeart.citebd.org/spip.php?rubri…