beaucoup de choses me viennent à l'esprit au moment du café en lisant cet article sur la question parfois épineuse de la réédition de certains titres de manga.
tout d'abord, le fait que cette pratique est monnaie courante dans l'édition, même si elle prend une tournure particulière dans le cadre de l'édition de manga, qui est de l'achat de droits.
du fait que ce soit de l'achat de droits, l'exploitation commerciale des mangas s'arrête de manière plus abrupte à la fin du contrat passé entre l'éditeur français et son partenaire japonais. d'où les annonces d'arrêts de commercialisation relayées sur certains sites.
mais cette pratique, si l'on peut dire, qui accepte de laisser disparaître des titres du marché est un truc général (ou endémique?) de l'édition. au point qu'à un moment, on avait envisagé un truc pour remédier à ça, la plateforme ReLire [fr.wikipedia.org/wiki/ReLIRE]
cela m'évoque aussi le bruit qui avait été fait lorsque notre Président avait découvert la quantité de livres qui finissaient au pilon -- sans comprendre que cette situation n'était pas due à une mauvaise gestion, mais était la conséquence structurelle de ce marché précis.
il est normal qu'une chaîne de distribution structurellement inefficace (car liée à la vente d'ouvrages physiques avec des références nombreuses et non substituables) génère énormément d'invendus.
le passage au format numérique permet de contourner ces problèmes, mais introduit son lot de problèmes spécifiques (piratage, interopérabilité des différentes solutions, concentration sur une poignée d'opérateurs parfois monopolistiques, etc)
dans le même ordre d'idée, l'exploitation commerciale ad vitam eternam de tous les livres relève de l'utopie, même si c'est une utopie qu'on ne cesse de nous vendre depuis plusieurs décennies.
quand le DVD est arrivé pour remplacer la VHS, on nous promettait monts et merveilles: version originale, version doublée en 25 langues et sous-titres en 54 langues (ou plus si affinités), tout était possible, on allait être tous gagnants dans l'affaire.
et puis la réalité économique a pris le dessus, on a introduit le zonage, et le multilinguisme s'est limité à ce que l'on peut trouver sur les paquets de céréales. bref, il y avait le possible, et le rentable.
pour revenir au manga, on trouve les mêmes exigences -- qui sont d'ailleurs rappelées par certains éditeurs dans l'article. non, il n'est pas rentable de continuer de commercialiser une série qui vend 200 exemplaires de chacun de ses tomes avec un tirage à 2000.
cette question de tirage minimum est liée à un impératif technique: il y a des frais fixes pour imprimer, frais fixes dont l'importance diminue avec l'augmentation du tirage.
imprimer un livre pour un imprimeur, cela signifie faire les calages, le changement de papier, etc. ce que vous payez, en définitive, c'est du temps de fonctionnement de l'imprimerie, que les machines tournent ou pas.
donc si vous faites un petit tirage, vos coûts vont être proportionnellement plus élevés, du fait de ce temps de réglage/préparation incompressible. avec un gros tirage, l'importance de ce temps de réglage/préparation dans l'enveloppe globale tend vers zéro.
sachant bien sûr que cela vient se rajouter à tout un tas d'avantages cumulatifs liés à la quantité: vous payez votre papier moins cher (puisque vous en achetez plus), l'importance du tirage devient un argument commercial, etc.
fin de cette petite digression, revenons à ces mangas qu'on ne réédite pas. comme je l'ai dit plus haut, c'est une situation "normale" du marché de l'édition, donc pas de raison de s'en étonner. mais voilà, le manga déchire tout en ce moment, donc on s'en étonne.
et c'est à nouveau l'illustration de cette difficulté à envisager la complexité d'un secteur économique comme celui de la bande dessinée, dans toutes les inégalités importantes qui le structurent.
c'est pour cela que je suis ravi de voir des éditeurs expliquer que oui, ils ont des séries qui vendent à 200 exemplaires le titre, alors que par ailleurs tout le monde semble suggérer que le moindre manga déchaîne les passions.
les données récentes à ma disposition ne me permettent pas d'estimer la médiane des ventes (calcul qui est toujours très compliqué par ailleurs), mais lorsque je m'étais essayé à l'exercice il y a quelques années, on tournait autour de 1000 ou 1500 exemplaires.
et le marché adopte de toute façon une courbe dite "de Pareto", où les best-sellers vendent *vraiment* beaucoup, et où le reste des références vendent pas grand-chose. comme, par exemple, 200 exemplaires au titre.
mais il est difficile pour la majorité du grand public de prendre conscience de cette réalité. d'une part, on ne communique généralement que sur les best-sellers, Astérix en tête. un peu comme le discours autour des start-ups, on ne parle que des succès, et rarement des échecs
par ailleurs, même un succès peut être très relatif: tout dépend des attentes que l'on met derrière. un Astérix qui vendrait juste un million d'exemplaires serait une catastrophe industrielle, alors que pour un petit éditeur, écouler 5000 exemplaires peut être inespéré.
ce que je veux dire par là, c'est qu'il faut raison garder quand un éditeur enthousiaste explique que telle nouveauté est en rupture de stock, et que c'est un "carton". cela peut être un "carton" à 4000 exemplaires.
à ce titre, je ne peux que recommander la lecture des bilans annuels publiés par Serge Ewenczyk de @Editionscaetla (le dernier est ici: infoscaetla.over-blog.com/2021/01/bilan-…), un exercice de transparence aussi fascinant que courageux.
tout cela pour dire que l'article qui a déclenché ces réflexions un peu éparpillées est intéressant, mais qu'il commente une situation qui est tout à fait normale. histoire de rappeler que même si le manga a tout d'un phénomène éditorial, cela reste un livre comme les autres.
... et si jamais vous voulez approfondir un peu plus le sujet, et que les textes super longs avec plein de chiffres ne vous font pas peur, il y a ça: centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/p…
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il y a eu pas mal de réactions sur le classement de Banana Fish ou de Tomie en "seinen" au moment de leur sortie en début d'année: en effet, les deux titres ont été publiés au Japon dans des revues classées "shôjo", phénomène qui n'est pas limité à ces deux titres en France.
cette situation pose la question de l'évaluation du véritable poids du shôjo en France, et de la réduction volontaire du genre de la part des éditeurs autour d'un plus petit dénominateur commun (et caricatural), à savoir les récits de romance.
curieux de voir ce qu'il en était vraiment au-delà des perceptions des un.e.s et des autres, je me suis (re)plongé dans les chiffres que j'ai utilisés pour le Panorama de la Bande Dessinée publié par @leCNL (centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/p…).
petit thread matinal pour revenir sur ce que j'ai pu poster hier, alors que je regardais le webinaire organisé autour du 8e baromètre des relations auteurs/éditeurs (cf. scam.fr/Actualit%C3%A9…).
une question est revenue au cours de ces échanges, portant sur les à-valoirs, avec pas mal d'imprécisions autour de ce que cela représente, notamment de la part de Vincent Montagne (président du SNE).
ainsi, le système actuel repose sur le principe des à-valoirs: l'éditeur avance à l'auteur une partie des droits d'auteur que l'exploitation de l'oeuvre devrait rapporter. et lorsque l'oeuvre en question est publiée, l'éditeur se rembourse sur les premières ventes.
bon, je me rends compte que je n'ai pas très été actif ces derniers temps, que ce soit ici ou sur @_du9_, qui connaît une nouvelle période de sommeil. j'ai même raté deux Vues Ephémères à la suite, c'est dire.
il y a plusieurs raisons à cela, dont la vie en temps de pandémie, pas mal d'engagements ces derniers mois qui m'ont pas mal pris d'énergie, le décalage d'Angoulême (parce que je suis ce que les anglophones appellent "a creature of habit"), etc.
j'ai aussi commencé à travailler sur un gros truc dont je reparlerai en juin, mais qui m'enthousiasme pas mal. mais l'un dans l'autre, les journées n'ont que 24 heures, et j'ai régulièrement du mal à tout gérer de front.
toujours fasciné de voir que dans les discussions autour des relations entre auteurs et éditeurs, on place quasiment systématiquement sur le même plan la prise de risque des uns et des autres, alors qu'elles n'ont rien à voir.
je note également que l'on semble implicitement faire porter la responsabilité des à-valoirs non remboursés sur les auteurs. alors qu'en réalité, cela traduirait plutôt une mauvaise gestion de la part des éditeurs.
à moins que l'on soit sur un modèle différent (puisque les éditeurs semblent y trouver leur compte, sinon, ils le changeraient), auquel cas ce serait bien de le reconnaître.
Ce matin, @LeCNL et @IpsosFrance ont publié les résultats d'une étude intitulée "Les Français et la BD". L'annonce était initialement prévue pour le Salon du Livre en mars, et puis le COVID est passé par là.
Avant de me lancer dans le commentaire de ces résultats, je dois préciser que j'ai fait partie du comité de pilotage de l'étude dans sa dernière ligne droite, ayant été invité au moment de la finalisation du questionnaire.
C'est la première étude de cette ampleur depuis celle réalisée par TMO Régions pour la BPI le DEPS en 2011, et dont les résultats sont disponibles ici: neuviemeart.citebd.org/spip.php?rubri…
Dimanche matin, je devrais plutôt essayer d'écrire un texte pour annoncer la mise en vacances de @_du9_, mais voilà que tout le monde parle de lefigaro.fr/bd/enquete-sur… et que je ressens le besoin d'apporter mon commentaire.
Petit préambule, que les choses soient claires: je ne défends pas la pratique du scantrad, et je respecte le travail que font les éditeurs.
Par contre, je suis convaincu qu'il est essentiel d'avoir une vision la plus précise possible de la réalité des choses pour pouvoir prétendre y apporter une solution adaptée et efficace.