vous savez quoi? c'est un mercredi spécial aujourd'hui, puisque @livreshebdo vient de publier le top 50 des meilleures ventes de bande dessinée de l'année 2021. on est donc parti pour un #JourDeMarché un peu particulier, avec mon commentaire habituel.
pour les curieux qui seraient abonnés, ça se trouve ici: livreshebdo.fr/article/bandes…, avec un titre "spirituel" sur lequel je reviendrai un peu plus loin.
tout d'abord, on nous annonce depuis la rentrée dernière que 2021 allait battre tous les records, et c'est effectivement en bonne voie: ce top 50 cumule un peu plus de 9,5 millions d'exemplaires vendus, soit +89% par rapport au top 50 2020. ça donne le ton.
on me dira, "oui mais voilà, 2021 est une année Astérix, tandis que 2020 a été une année sans Astérix mais avec pandémie, alors ça compte pas." sauf que par rapport à 2019, année avec Astérix, on est à +79%.
justement, puisque l'on parle d'Astérix: avant, Astérix emportait tout sur son passage, au point qu'on était quasiment obligé, dans les analyses de le mettre de côté tant cette unique sortie déformait profondément le portrait du marché. mais moins cette année.
d'une part, parce que comme cela a été le cas depuis la sortie d'Astérix chez les Pictes en 2013, les ventes du mastodonte s'effritent à chaque nouveauté: 1,70m en 2013 / 1,64m en 2015 / 1,59m en 2017 / 1,57m en 2019 et 1,55m en 2021.
ce qui fait qu'en l'espace de huit ans, les ventes à fin d'année des nouveaux Astérix ont reculé de 8,7% -- alors que le marché de la bande dessinée a plus que doublé sur la même période.
certes, cela reste des niveaux de ventes énormes. mais c'est aussi à chaque fois une campagne marketing énorme également, une omniprésence dans tous les lieux où on vend des livres, et il faut donc juger la performance en conséquence.
(pour ma part, j'ai vu "Astérix et le Griffon" en vente en bonne place, en face des caisses, avec pile imposante et PLV, dans des librairies qui ne vendaient pas de bande dessinée par ailleurs)
d'autre part, Astérix est moins problématique du point de vue de l'analyse du fait de l'explosion des mangas, qui se retrouve indéniablement au sein de ce top 50: pas moins de 28 titres japonais, (contre 16 l'année dernière) et 49% des ventes cumulées.
et puis, Astérix a aussi désormais de la concurrence en BD JEUNESSE, avec le phénomène Mortelle Adèle qui continue de fonctionner à plein, avec 15 titres dans le top 50, et des ventes cumulées à 2,3 millions d'exemplaires (13 titres en 2020 pour 1,3m).
d'où une importance moindre: "Astérix et les Pictes", en 2013, c'était 29% des ventes cumulées du top 50 (chiffres Ipsos); "Astérix et le Griffon", en 2021, c'est 16% des ventes cumulées du top 50.
le top 50 2021 se répartit donc comme suit: une moitié manga, un quart Mortelle Adèle et un sixième Astérix. ce qui laisse un petit douzième pour le reste... dans lequel se trouve le Goldorak de Dorison/Bajram/Cossu (pas manga, mais presque).
côté manga, on observe un phénomène assez surprenant: pas moins de 8 tomes 1, et six séries qui placent leur trois premiers volumes dans ce top 50 -- soit le signe d'un recrutement massif de nouveaux lecteurs pour ces séries.
"ah mais c'est bien sûr, c'est la faute au Pass Culture!" me direz-vous. et il faut dire que les chiffres publiés par @livreshebdo en novembre ont entériné l'idée d'un "Pass Manga". mais c'est un peu plus compliqué que ça.
pourquoi? tout simplement parce que comme beaucoup d'autres dispositifs destinés à faciliter l'accès à la culture, le Pass Culture ne crée pas de nouvel intérêt, mais stimule (voire amplifie) l'existant.
je l'ai souvent souligné ici: le manga est une lecture générationnelle (pour les moins de 30 ans, en gros), donc est d'emblée susceptible d'être l'un des bénéficiaires des effets du Pass Culture.
mais le manga a aussi le vent en poupe depuis au moins la deuxième moitié de 2019, et cette tendance s'est amplifiée depuis, pour atteindre la domination que l'on voit sur ce top 50 2021.
plusieurs hypothèses pour cela: l'arrivée des premiers lecteurs dans la vie active avec l'augmentation de pouvoir d'achat qui l'accompagne, la popularité due à l'investissement des plateformes de streaming sur les anime qui en sont tirés...
... éléments qui viennent se rajouter à une proposition éditoriale plus en phase avec le lectorat jeune d'aujourd'hui, tant en terme de rythme de publication que de thématiques abordées.
il en ressort que les grandes séries manga sont en train de devenir de facto les véritables franchises mainstream de la bande dessinée en France, comme en témoignent les chiffres de ventes.
il n'est donc pas surprenant de retrouver le manga en très bonne place dans l'utilisation du Pass Culture. les jeunes aiment le manga, on leur donne de l'argent à dépenser, ils le dépensent sur du manga. logique.
(on retrouve un effet similaire avec les quelques premiers tomes de manga proposés à moitié prix, comme Naruto t1-3 ou Assassination Classroom t1, mais aussi Fairy Tail t1-5, Seven Deadly Sins t1-3, Detective Conan t1-3, etc.)
normalement, les 6e Rencontres nationales de la librairie vont se tenir le 3 et 4 juillet prochains. les éditions de 2017 et de 2019 avaient été l'occasion d'un focus spécifique sur la bande dessinée made in GfK.
j'ai eu l'occasion de commenter ces deux documents ici: même s'ils se focalisent en premier lieu sur les acheteurs, ce sont des sources d'information très riches qui viennent compléter les études sur le lectorat à notre disposition.
ce sera probablement l'occasion de revenir sur le manga, d'observer les évolutions des pratiques d'achats et de lecture du segment... et de constater l'éventuelle augmentation du lectorat. rendez-vous est pris.
dernier point côté manga, la franchise qui a le vent en poupe est indéniablement "Demon Slayer", avec l'intégralité des 8 volumes parus à fin 2021 dans le top 50, cumulant plus de 1,3 millions d'exemplaires.
sur cette série, le Pass Culture est responsable d'environ 200 000 exemplaires -- soit un coup de pouce non négligeable, mais certainement pas central à sa performance.
par ailleurs, les ventes de ce top sont assez équitablement réparties entre les différents éditeurs manga, le trio Panini/Kana/Ki-oon à des niveaux comparables (autour de 9% chacun) devant Glénat (7%), Kurokawa (3%) et Pika (1%) étant un peu plus distants.
cela tient au fait que chaque éditeur a "sa" locomotive, et que l'expansion du marché manga s'appuie sur un plus grand nombre de best-sellers.
petit point Mortelle Adèle: ça cartonne encore, avec le tome 1 (paru en 2013) qui vend plus en 2021 que le tome 18 (sorti en mai 2021). à nouveau, le signe d'un recrutement de nouveaux lecteurs toujours en cours.
le dernier Blake & Mortimer se classe 6e avec un peu plus de 210 000 exemplaires vendus. c'est un peu mieux que les années précédentes, puisqu'aucune nouveauté de la série n'avait dépassé les 200k depuis 2018 et le premier volet de "La vallée des Immortels" (280k alors).
très attendu, le t6 de Blacksad n'est "que" 21e, mais c'est en fait la meilleure performance à la nouveauté pour la série, battant le score atteint pour le tome 4 en 2010.
Riad Sattouf confirme avec son nouveau projet biographique consacré à Vincent Lacoste au sein de sa propre maison d'édition, qui réalise une performance qui s'inscrit exactement entre celles des "Cahiers d'Esther" et de "l'Arabe du Futur".
enfin, le dernier Titeuf est 43e, avec à peine plus de 130 000 exemplaires vendus. la série de Zep n'est plus le mastodonte qu'elle était, et a quitté son créneau de sortie habituel de la fin août pour la mi-juin. c'est un signe.
et pour terminer, je voulais souligner la présence de trois titres à plus de 20€ dans ce top: le "Goldorak" (24,90€), "Le Jeune Acteur" (21,50€) et "Mortelle Adèle: Show Bizarre!" (21,90€), alors que le prix moyen de ce top 50 s'établit à 9,05€.
on avait une situation similaire en 2020, avec un prix moyen du top 50 à 10,36€ (ce qui s'explique par une présence moins marquée du manga, 16 titres contre 28 en 2021), mais aussi 6 titres à plus de 20€, "Les Indes Fourbes" étant le plus cher à 34,90€.
à l'autre bout du spectre, on ne trouve qu'un seul ouvrage à 1€ dans le top 50 2021 (6 en 2020), le best of "Les P'tits Diables" chez Soleil classé 27e, mais avec un niveau de vente comparable à celui du best of "Les Sisters", meilleure vente à 1€ en 2020.
bref, la tension habituelle entre l'idée que la bande dessinée devrait baisser son prix pour toucher plus de lecteurs, et l'idée que c'est l'intérêt qui motive avant tout l'achat, même sur des ouvrages plus coûteux. je vous laisse juge.
il serait d'ailleurs intéressant de savoir combien d'acheteurs du Goldorak sont par ailleurs consommateurs réguliers de manga, histoire de voir dans quelle mesure le niveau de prix a réellement été un obstacle à l'achat, ou un non-facteur.
pour ce qui est de l'ensemble du marché, le FIBD et GfK organisent un webinar pro demain, ce qui permettra d'explorer plus avant les tendances de 2021. c'est tout pour aujourd'hui, vous pouvez reprendre une activité normale.
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puisque le Festival d'Angoulême a révélé hier sa Sélection Officielle pour sa 49e édition, c'est l'occasion rêvée pour revenir un peu sur le fonctionnement de ce truc, et essayer d'apporter quelques réflexions à son sujet. #FIBD22
en théorie, le principe est simple, et opère en deux étapes: une Sélection Officielle effectuée dans la production de bande dessinée de l'année, dans laquelle un Jury va choisir les titres récompensés par le Festival.
jusqu'ici, tout va bien. sauf qu'il y a plusieurs sélections, plusieurs jurys, et plusieurs prix, et c'est là que ça peut devenir moins clair.
il y a eu pas mal de réactions sur le classement de Banana Fish ou de Tomie en "seinen" au moment de leur sortie en début d'année: en effet, les deux titres ont été publiés au Japon dans des revues classées "shôjo", phénomène qui n'est pas limité à ces deux titres en France.
cette situation pose la question de l'évaluation du véritable poids du shôjo en France, et de la réduction volontaire du genre de la part des éditeurs autour d'un plus petit dénominateur commun (et caricatural), à savoir les récits de romance.
curieux de voir ce qu'il en était vraiment au-delà des perceptions des un.e.s et des autres, je me suis (re)plongé dans les chiffres que j'ai utilisés pour le Panorama de la Bande Dessinée publié par @leCNL (centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/p…).
beaucoup de choses me viennent à l'esprit au moment du café en lisant cet article sur la question parfois épineuse de la réédition de certains titres de manga.
tout d'abord, le fait que cette pratique est monnaie courante dans l'édition, même si elle prend une tournure particulière dans le cadre de l'édition de manga, qui est de l'achat de droits.
du fait que ce soit de l'achat de droits, l'exploitation commerciale des mangas s'arrête de manière plus abrupte à la fin du contrat passé entre l'éditeur français et son partenaire japonais. d'où les annonces d'arrêts de commercialisation relayées sur certains sites.
petit thread matinal pour revenir sur ce que j'ai pu poster hier, alors que je regardais le webinaire organisé autour du 8e baromètre des relations auteurs/éditeurs (cf. scam.fr/Actualit%C3%A9…).
une question est revenue au cours de ces échanges, portant sur les à-valoirs, avec pas mal d'imprécisions autour de ce que cela représente, notamment de la part de Vincent Montagne (président du SNE).
ainsi, le système actuel repose sur le principe des à-valoirs: l'éditeur avance à l'auteur une partie des droits d'auteur que l'exploitation de l'oeuvre devrait rapporter. et lorsque l'oeuvre en question est publiée, l'éditeur se rembourse sur les premières ventes.
bon, je me rends compte que je n'ai pas très été actif ces derniers temps, que ce soit ici ou sur @_du9_, qui connaît une nouvelle période de sommeil. j'ai même raté deux Vues Ephémères à la suite, c'est dire.
il y a plusieurs raisons à cela, dont la vie en temps de pandémie, pas mal d'engagements ces derniers mois qui m'ont pas mal pris d'énergie, le décalage d'Angoulême (parce que je suis ce que les anglophones appellent "a creature of habit"), etc.
j'ai aussi commencé à travailler sur un gros truc dont je reparlerai en juin, mais qui m'enthousiasme pas mal. mais l'un dans l'autre, les journées n'ont que 24 heures, et j'ai régulièrement du mal à tout gérer de front.
toujours fasciné de voir que dans les discussions autour des relations entre auteurs et éditeurs, on place quasiment systématiquement sur le même plan la prise de risque des uns et des autres, alors qu'elles n'ont rien à voir.
je note également que l'on semble implicitement faire porter la responsabilité des à-valoirs non remboursés sur les auteurs. alors qu'en réalité, cela traduirait plutôt une mauvaise gestion de la part des éditeurs.
à moins que l'on soit sur un modèle différent (puisque les éditeurs semblent y trouver leur compte, sinon, ils le changeraient), auquel cas ce serait bien de le reconnaître.