La télé est allumée. Damien ne la regarde pas. Il a bu. Il est assis dans son canapé et tient son flingue dans ses mains. Il fixe la photo de ses enfants. Il sait qu’il va le faire. Il envoie un dernier message sur Whatsapp aux gars sous ses ordres.
: « Ce soir, c’est pour moi la fin les copains, dites à mère que j’étais quelqu’un de bien. »
Damien est flic depuis 23 ans, brigadier-chef. Sensible, intelligent, tête brûlée, déconneur, « aucune idée suicidaire ». Il parle comme un tonton flingueur, barbe grise, regard bleu acier, corps de chat maigre.
En 2008, il vit la première opération qui l’empêche dormir : un viol. A l’endroit du crime, il est chargé de garder les traces ADN, une capote usagée. La victime et l’agresseur ne sont plus là, mais ce face-à-face solitaire avec les traces du viol le perturbe.
Pendant des années, la violence s’entasse dans son crâne. En 2015, il divorce et plonge dans l’alcool. La bouteille le calme. Puis le coule. Il s’écroule, se relève, tombe, se relève encore.
En 2019, dans la même semaine, sa copine le largue par sms, sa hiérarchie lui cherche des poux et ses fils lui rappellent qu’il vit dans un 30m2 alors qu’ils ont chacun leur chambre chez leur mère.
Dans le canapé, Damien est conscient, mais dans un état second. Soudain, ses copains flics tambourinent aux volets, à la porte. Il croyait avoir envoyé le message deux minutes avant. Cela fait une demi-heure.
Il panique à l’idée d’être sauvé, d’être ridicule. Il ne va quand même pas se dégonfler. La porte s’ouvre. Un de ses jeunes gars se précipite vers lui. Alors Damien se tire une balle dans la tête. Il entend juste « Damien ! Pourquoi ? ». Et puis plus rien.
Par miracle, Damien a survécu. Il a appris à briser sa carapace. Il s’est mis à la pâtisserie. Il a même rencontré son âme sœur : « Je lui ai dit que j’étais flic, alcoolique et que je m’étais tiré une balle dans la tête et elle est restée ! »
Trois ans plus tard, il essaie de sauver ses collègues désespérés. Dix policiers se sont suicidés depuis le début de l’année. Papier à lire cette semaine dans @ParisMatch photo @FLafargue
PS : Quand je dis qu’il s’est mis à la pâtisserie, c’est pas une blague.
Après sa tentative de suicide, Damien ne s’en est pas sorti en un jour. Il a été accompagné par @Peps_Sos, une association que tous les flics qui ont des idées noires devraient contacter. Ces types font un boulot incroyable.
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Thread Vaccination. Ce week-end, la France a enfin retroussé ses manches. 225 000 vaccinations pour la journée de samedi. A Saint-Denis, c'était Pfizer City.
A deux pas de la Basilique où reposent les rois de France, j'ai assisté à l'opération. Je couvre la pandémie depuis le début et ce n'est pas souvent que j'ai des trucs joyeux à raconter.
La scène ressemble au dernier plan d'un film catastrophe. Sous les hauts plafonds de la Salle de la Légion d’honneur de Saint-Denis, des blouses blanches et bleues s’affairent dans douze boxes montés à la hâte. Des dizaines de personnes âgées attendent leur tour.
Parfois, pendant un reportage, quelqu’un vous marque plus que vous ne l’auriez voulu. Pas à cause de ce qu’il a dit ou de son apparence physique. Simplement parce qu’on a partagé à ses côtés un instant étrange, quelques minutes qui ne vous quitteront pas.
Avec @laurencegeai, nous sommes partis au Portugal. Allez voir ses photos sur son compte Instagram, ça vous changera de mes chefs d’œuvre. Le pays est à genoux. Les hôpitaux sont saturés, les morgues, pleines. Nous avons raconté cette histoire dans Paris Match cette semaine.
Cette personne que je n’oublierai pas, c’est Acacio. La cinquantaine, petit, solide, les yeux fatigués. Il travaille depuis 35 ans à la morgue de l’hôpital Santa Maria de Lisbonne, le plus grand du Portugal.
Thread de Noël. Je viens d’enterrer le chat de ma mère. C’est toujours déchirant de se séparer de ces petites boules de poils qui nous ont méprisés toute leur vie. Je plaisante, maman. Kalinka n’était pas comme ses congénères. Elle était douce et gentille. Une crème de chat. RIP.
Après la cérémonie funéraire (on enterre les animaux dignement chez nous), ma mère m’a raconté cette anecdote de voyage que j’avais oubliée. Vous savez de quoi sont capables mes parents pris séparément. En équipe, ils se débrouillent aussi pas mal.
Cette petite histoire de rien du tout se déroule au milieu des années 80, sur la Nationale 10, dans une voiture, entre Bordeaux et Paris. Retour de vacances d’été. Nous sommes dans une vieille Audi 100 blanche équipée d’anti-brouillards et de longues portées montés par mon père.
Petite histoire du soir. Ça se passe à Paris, rue de Belleville, tout en haut sur la colline, entre Jourdain et Pelleport. Sur le pas de la porte d’un restaurant abandonné aux murs tagués et collés d’affiches, vit un type nommé Brahim.
Qu’il vente, qu’il pleuve, Brahim est toujours là, engoncé dans ses couvertures, sous ses strates de vêtements, le regard souvent perdu au loin. Tout le monde le connaît dans le quartier. J’ignore son histoire. Je sais qu’il a 42 ans, qu’il est échoué ici depuis 4 ans.
La semaine dernière, Brahim a disparu. Le petit radeau de bric et de broc qu’il s’était construit pour survivre aussi. Volatilisé. C’était étrange de passer ici sans le voir. Peut-être avait-il enfin accepté un hébergement d’urgence ?
La pandémie fait de nous des victimes passives forcées d'apprendre la patience devant un mal arbitraire venu de nulle part. Ces histoires de complots font de leurs promoteurs des hérauts, muent les victimes en acteurs debout et incrédules. (1/4)
C'est peut-être pour ça qu'elles attirent tant de gens ? A l'incertitude scientifique, aux tâtonnements politiques, à la lenteur virale, on préfère les certitudes offertes par une manipulation qui identifie une cause, un dessein, et on se lève contre ça, on agit. (2/4)
Dès lors la pandémie a un sens et c'est plus facile puisqu'un ennemi est défini. Au reste, la peur de se faire couillonner est légitime. Les affaires, les manipulations bien réelles mises au jour par le passé ont sapé la confiance envers les institutions et les médias. (3/4)
Thread-détente. Je vous ai déjà parlé de mon père, qui s'est fait un jour passer pour un ministre. J'aimerais vous raconter une brève anecdote sur ma très chère mère, qui n'est pas en reste question bamboche, mais dans un autre genre. Russe.
Ça se passe début septembre 1996. La plupart d'entre vous joue avec ses crottes de nez. Je vis chez ma mère en banlieue parisienne. Je viens d'achever une maîtrise de droit et réciproquement. J'ai pas envie de devenir juriste. J'attends les résultats du concours de l'ESJ Lille.
J'ai 85 ans, je suis recroquevillé sur moi-même, en PLS intérieure, devant le Minitel. Je rafraichis la page toutes les cinq minutes. Rien. Toujours rien. Rien. Toujours rien. Rien. Toujours rien. Rien.