jeudi dernier, GfK a présenté l'état du marché de la bande dessinée en 2021, saluant une année record sous le titre "plus rien n'arrête la bande dessinée". et comme on a maintenant les chiffres, l'occasion d'y consacrer ce nouveau #JourDeMarché. c'est parti.
pour commencer, je cite: "Les données GfK Market Intelligence révèlent un chiffre d’affaires 2021 de plus de 889 millions d’€ et 85,1 millions de titres vendus, soit des hausses respectives de +50% en revenus et +60% en ventes."
c'est intéressant en soi, mais si vous êtes familier.e de ce compte, vous savez que je trouve toujours assez limitée la comparaison d'une année sur l'autre, et que je préfère considérer (quand c'est possible) les évolutions sur une période plus longue. dont acte.
voici donc à quoi ressemble l'évolution du marché de la bande dessinée en France depuis 2003 en volume (nombre d'exemplaires vendus) et en valeur (chiffre d'affaires). j'ai ajusté les deux axes afin que d'avoir un prix moyen de 10€ lorsque les courbes se croisent.
cette mise en perspective souligne combien cette année 2021 a pu être exceptionnelle, venant juste après une année 2020 qui avait déjà été remarquable (d'autant plus qu'elle s'était déroulée dans un contexte de pandémie très particulier, c'est peu de le dire).
puisque l'on parle beaucoup de manga ces derniers temps, voici comment se répartit le marché entre manga et non-manga sur la même période. je reviendrais sur chacune des composantes un peu plus tard, restons pour l'instant sur le marché dans son ensemble.
on voit comment, pendant longtemps, le marché a oscillé autour d'une position moyenne: environ 27m d'exemplaires annuels pour le hors manga, et 13m d'exemplaires annuels pour le manga. soit du deux-tiers/un tiers, moyennant quelques menues fluctuations.
cela ne fait que renforcer le caractère exceptionnel des deux dernières années (2020 et 2021). il y a plusieurs facteurs expliquant une tendance à la hausse, mais j'avoue rester surpris par l'ampleur de l'explosion que l'on constate.
abordons tout d'abord le marché hors-manga: globalement, on a un marché qui stagne sur 2005-2020, mais qui progresse en valeur du fait de l'augmentation des prix (je vous renvoie à mon #JourDeMarché d'il y a deux semaines).
même si l'on observe une orientation à la hausse depuis 2013, 2021 est clairement hors-norme, je le répète (j'ai vraiment l'impression de radoter, mais je vous préviens, ce n'est pas fini).
côté manga, les deux courbes sont quasiment parallèles. à nouveau, on a vu il y a deux semaines combien le segment s'organisait autour d'un standard de prix autour de 7€ très largement majoritaire. rien de surprenant donc.
niveau tendance, on voit un petit coup de mou sur la période 2013-2015, puis une tendance assez nettement à la hausse, et donc le pic hors-normes de l'année 2021, avec des ventes plus que doublées (+108%).
alors, pourquoi 2021 aussi haut? je vais essayer de lister les différentes dynamiques qui, à mon sens, y ont contribué, en les évoquant dans un ordre chronologique (chacune construisant sur la précédente).
1. l'assainissement du segment du manga qui s'opère justement durant le "coup de mou" de 2013-2015. on passe d'un marché reposant sur 3 séries best-seller, à un marché reposant sur 7 séries best-seller (pour aller vite).
en gros, le rattrapage de la publication japonaise pour ces best-sellers (Naruto, One Piece) a entraîné un fléchissement mécaniques des ventes (moins de sorties), mais a permis une forme de diversification, tant du côté des éditeurs que des lecteurs.
2. l'arrivée progressive du lectorat adolescent des années 2000-2005 (premier boom du manga) dans la vie active, avec l'augmentation de pouvoir d'achat qui l'accompagne.
rajoutons à cela l'émergence d'un lectorat enfant dont les parents ont un regard "apaisé" sur le manga, et qui le considèrent comme une lecture légitime. ce sont là deux aspects qui sont ressortis dans l'étude sur le lectorat de la BD réalisée par @LeCNL en 2020.
3. le positionnement marqué des plateformes de streaming sur les anime japonais, qui ont probablement "réactivé" certains anciens lecteurs de manga, mais ont également servi de vitrine aux séries best-sellers qui y sont en bonne place.
rappelons cette observation de GfK: "1,5 million d'acheteurs de BD en plus en 2021: les données GfK Panel Consommateurs Culture valorisent ainsi à 7,2 millions le nombre total d’acheteurs de BD en France en 2021, en augmentation de +27%".
sans le détail, il n'est pas possible de savoir si le manga représente la majorité de ces nouveaux recrutements, mais le nombre conséquent de premiers volumes de séries japonaises dans le Top 50 (comme vu la semaine dernière) semble aller dans ce sens.
il est possible également que la progression du roman graphique (29% du segment BD DE GENRES en 2021, contre 24% en 2020) soit également due à l'arrivée d'un nouveau lectorat, attiré par ce genre de proposition éditoriale.
4. la pandémie qui, dans un contexte de diminution drastique des voyages et de fermeture des lieux culturels, a vu le report d'une partie des dépenses de loisir vers le livre en général, et la bande dessinée en particulier.
outre l'augmentation du nombre d'acheteurs de BD en France, GfK observe aussi un panier moyen en progression, avec "+2 articles en moyenne par acheteur".
5. le Pass Culture, qui comme je l'ai expliqué la semaine dernière, a donné un coup de pouce supplémentaire à des dynamiques déjà très positives.
on a ainsi la conjugaison de facteurs structurels (l'assainissement du manga), sociaux (l'évolution du lectorat), promotionnels (le positionnement des plateformes de streaming), conjoncturels (la pandémie) et institutionnels (le Pass Culture).
au sein de tous ces facteurs, celui qui soulève le plus d'interrogation est le facteur conjoncturel lié à la pandémie -- et ce, d'autant plus qu'il est vraisemblablement largement responsable de la forte augmentation du panier moyen.
(j'ai évoqué plus haut l'augmentation du pouvoir d'achat du lectorat manga qui arriverait dans la vie active, mais c'est une tendance longue, dont l'effet est progressif. une progression aussi subite que celle de 2021 est donc probablement liée à un autre facteur)
toute la question va donc de savoir si cette position privilégiée de la bande dessinée dans son ensemble au sein des pratiques de loisir va perdurer une fois la pandémie passée (en étant optimiste et en partant du principe que oui, il y aura une fin au COVID).
voilà, c'est tout pour cette semaine, merci de votre attention. comme toujours, réactions/suggestions/remarques sont les bienvenues.
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vous savez quoi? c'est un mercredi spécial aujourd'hui, puisque @livreshebdo vient de publier le top 50 des meilleures ventes de bande dessinée de l'année 2021. on est donc parti pour un #JourDeMarché un peu particulier, avec mon commentaire habituel.
pour les curieux qui seraient abonnés, ça se trouve ici: livreshebdo.fr/article/bandes…, avec un titre "spirituel" sur lequel je reviendrai un peu plus loin.
tout d'abord, on nous annonce depuis la rentrée dernière que 2021 allait battre tous les records, et c'est effectivement en bonne voie: ce top 50 cumule un peu plus de 9,5 millions d'exemplaires vendus, soit +89% par rapport au top 50 2020. ça donne le ton.
puisque le Festival d'Angoulême a révélé hier sa Sélection Officielle pour sa 49e édition, c'est l'occasion rêvée pour revenir un peu sur le fonctionnement de ce truc, et essayer d'apporter quelques réflexions à son sujet. #FIBD22
en théorie, le principe est simple, et opère en deux étapes: une Sélection Officielle effectuée dans la production de bande dessinée de l'année, dans laquelle un Jury va choisir les titres récompensés par le Festival.
jusqu'ici, tout va bien. sauf qu'il y a plusieurs sélections, plusieurs jurys, et plusieurs prix, et c'est là que ça peut devenir moins clair.
il y a eu pas mal de réactions sur le classement de Banana Fish ou de Tomie en "seinen" au moment de leur sortie en début d'année: en effet, les deux titres ont été publiés au Japon dans des revues classées "shôjo", phénomène qui n'est pas limité à ces deux titres en France.
cette situation pose la question de l'évaluation du véritable poids du shôjo en France, et de la réduction volontaire du genre de la part des éditeurs autour d'un plus petit dénominateur commun (et caricatural), à savoir les récits de romance.
curieux de voir ce qu'il en était vraiment au-delà des perceptions des un.e.s et des autres, je me suis (re)plongé dans les chiffres que j'ai utilisés pour le Panorama de la Bande Dessinée publié par @leCNL (centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/p…).
beaucoup de choses me viennent à l'esprit au moment du café en lisant cet article sur la question parfois épineuse de la réédition de certains titres de manga.
tout d'abord, le fait que cette pratique est monnaie courante dans l'édition, même si elle prend une tournure particulière dans le cadre de l'édition de manga, qui est de l'achat de droits.
du fait que ce soit de l'achat de droits, l'exploitation commerciale des mangas s'arrête de manière plus abrupte à la fin du contrat passé entre l'éditeur français et son partenaire japonais. d'où les annonces d'arrêts de commercialisation relayées sur certains sites.
petit thread matinal pour revenir sur ce que j'ai pu poster hier, alors que je regardais le webinaire organisé autour du 8e baromètre des relations auteurs/éditeurs (cf. scam.fr/Actualit%C3%A9…).
une question est revenue au cours de ces échanges, portant sur les à-valoirs, avec pas mal d'imprécisions autour de ce que cela représente, notamment de la part de Vincent Montagne (président du SNE).
ainsi, le système actuel repose sur le principe des à-valoirs: l'éditeur avance à l'auteur une partie des droits d'auteur que l'exploitation de l'oeuvre devrait rapporter. et lorsque l'oeuvre en question est publiée, l'éditeur se rembourse sur les premières ventes.
bon, je me rends compte que je n'ai pas très été actif ces derniers temps, que ce soit ici ou sur @_du9_, qui connaît une nouvelle période de sommeil. j'ai même raté deux Vues Ephémères à la suite, c'est dire.
il y a plusieurs raisons à cela, dont la vie en temps de pandémie, pas mal d'engagements ces derniers mois qui m'ont pas mal pris d'énergie, le décalage d'Angoulême (parce que je suis ce que les anglophones appellent "a creature of habit"), etc.
j'ai aussi commencé à travailler sur un gros truc dont je reparlerai en juin, mais qui m'enthousiasme pas mal. mais l'un dans l'autre, les journées n'ont que 24 heures, et j'ai régulièrement du mal à tout gérer de front.