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Feb 19 47 tweets 10 min read
En quoi la France se distingue des autres pays sur la recherche sur le Covid long ?
Pour appréhender la question, il faut remonter à un courant en psychanalyse, puis en psychiatrie, qui étudie les troubles dits "somatoformes".
Cette vidéo l'éclaire.
Thread
Avant d'aller plus loin, je tiens à préciser que je n'émets que peu de doute que, tout autant que les autres médecins, ceux de cette branche sont sincères. Ils ont la conviction que les syndromes post-viraux relèvent uniquement, ou quasi uniquement, du concept "somatoforme",
renommé plus tard en "troubles somatiques fonctionnels".
J'ai le sentiment, mais des historiens de la médecine pourraient être plus précis que moi sur la question, que l'origine de ce courant est double.
Il y a bien sûr le dualisme de Descartes à ce sujet. C'est-à-dire le fait de
voir l'esprit et le corps comme deux entités distinctes. C'est à peu près le fondement de quasiment toutes les religions. C'est une conception philosophique qui reste très largement prédominante dans toute la philosophie d'un certain nombre de pays européens, dite "philosophie
continentale". À l'inverse de cette philosophie qui repose surtout sur des paradigmes, la philosophie dite "analytique", plus anglo-saxonne, est une branche bien plus vivante et bien moins dogmatique car elle ne cesse d'intégrer les découvertes en neurosciences sur la conscience.
En neurosciences, plus personne ne considère l'esprit comme une entité qui transcende la matière. Il reste moultes débats sur la nature de la conscience bien sûr.
Sur lesquels la philosophie analytique avance sans rien rejeter de la science.
À l'inverse, une médecine de psychologisation s'est développée assez tôt dans l'Histoire et stipule que certaines maladies n'ont pas de "substrats biologiques/organiques".
Cette médecine voit son terrain être chamboulé par toutes les découvertes récentes en neurosciences et en
intelligence artificielle. Mais, à la différence des courants religieux ou psychanalytiques que l'on évoquera plus après, elle essaie tant bien que mal d'intégrer les neurosciences dans ses principes.
Je livre juste ici un avis très personnel : il me semble que la médecine des
"troubles somatiques fonctionnels" entre dans une crise existentielle : des résultats en neurosciences peuvent confirmer certains aspects de cette branche de la psychiatrie, mais d'autres entrent en nette contradiction avec certains de ses dogmes.
L'autre racine profonde concernant les troubles somatiques fonctionnels (TSF) est la psychanalyse. On remarque que la branche qui étudie les TSF a emprunté du vocabulaire à la psychanalyse.
L'histoire de la médecine est jalonnée de maladies qui sont restées très longtemps inexpliquées,et qui furent attribuées dans leur intégralité à des troubles psychosomatiques. Au sens propre : des troubles où une entité non biologique pour ces praticiens, l'esprit, transfère par
une essence mystérieuses ses instructions au corps. Mise au point à ce stade : bien sûr que les pensées agissent sur les autres organes que le cerveau. Mais ce qu'il se passe dans notre cerveau, qui agit sur les autres organes tout comme ces derniers interagissent avec lui,
est on ne peut plus organique.
Il y a quelques années, cette branche médicale a été confrontée à un dilemme. Les TSF étaient diagnostiquables lorsqu'il n'y avait pas de causes biologiques objectivables. Mais ça commençait à coincer un peu avec les découvertes incroyables
sur de nbx mécanismes biologiques très subtils, mais pas encore tous bien compris. La définition a légèrement évolué mais l'ancienne vision reste de mise, on le voit dans la vidéo en intro de ce thread et dans l'interview du Pr Ranque donnée à L'Express.
lexpress.fr/actualite/scie…
Dont voici le texte intégral (désolé pour la petite entorse aux droits d'auteur de L'Express, allez acheter le dernier numéro qui contient un dossier sur covid long).
Les médecins des TSF distinguent les "dysfonctionnements" des atteintes dites "lésionnelles". Cette distinction est très artificielle en réalité. Tout dysfonctionnement dans le corps humain, dans tous les organes même le système nerveux central, ont un substrat organique.
L'hypothèse inverse, comme dit plus haut, reviendrait à considérer que des choses échappent à la matière dans notre corps, échappent à la biologie et aux lois de la physique. Cela revient à croire en l'âme (l'esprit qui transcende la matière). C'est une croyance,
ultra-répandue, mais qui n'a rien de scientifique.
Donc sur les causes fondamentales et objectivables des syndromes post-viraux, c'est tout juste si, du bout des lèvres, les médecins reconnaissent qu'on peut faire un peu de recherche fondamentale. Mais pas trop, hein, et la p
première chose qu'ils s'empresseront de dire au sujet de cette recherche fondamentale, c'est que c'est pas bon, pas bien fait, ne démontre rien, pas scientifique, ce qui est un sacré paradoxe quand on constate que leur discipline repose pour beaucoup sur des paradigmes jamais
démontré scientifiquement. Et quand ces chercheurs tentent par une étude d'apporter une caution scientifique à leur théorie, cela se termine par un fiasco méthodologique qui fait de la France la risée des experts en méthodologie et des équipes de
chercheurs des autres pays. L'étude qu'il produise (jamanetwork.com/journals/jamai…) est remplie d'incohérences grossières méthodologiques, d'erreurs de calcul, et les auteurs soit se terrent dans un silence gêné (l'auteur dit "correspondant" ne répond pas aux questions par mail que lui
envoie des chercheurs, pas plus qu'il ne répond aux commentaires publiés sur la page de l'étude.
Mais, sans doute par auto-persuasion, ils ne trouvent que d'horribles défauts au milliers de publications scientifiques sur la physiopathologie du covid long, décrètent dans leur
interview que leur discipline est très reconnue a l'étranger (non, elle est même une spécificité française), mais ce sont eux qui ont publié la plus biaisée et faussée des études sur le covid long, laquelle (car il a fallu plusieurs mois avant que les critiques argumentées
et publiées dans le journal scientifique - celui qui a publié leur étude - ne l'invalident), laquelle disais-je, leur a permis de récupérer un quart du financement de l'ANRS sur le covid long à ce jour.
anrs.fr/fr/actualites/…
Comme je l'expliquais dans ce tweet, cette branche psychiatrique est très loin d'accepter tout le process de la méthode scientifique, qui consiste à reconnaître qu'une hypothèse à laquelle on croit dur comme fer puisse être réfutée. Ils ont des dogmes.
Je précise à nouveau que je n'exclus qu'il puisse y avoir, dans cette hypothèse des troubles somatiques fonctionnels, des éléments véridiques. Car, contrairement à la plupart des tenants de ces hypothèses, je n'émets aucune certitude, ni qu'elle puisse être à 100% fausse,
ou à 100% vraie, parce que la certitude n'existe pas en sciences.
Je dis simplement que ce courant psychiatrique entend s'extraire de toute éventuelle réfutation selon les standards scientifiques. La rigueur méthodologique, pour nombre d'entre eux, n'est exigeable qu'aux autres,
celle qui concerne leurs propres hypothèses, eh bien, elle n'a pas lieu d'être ou bien est remise aux calendes grecques.
Depuis le début je parle d'un courant en psychiatrie. Sauf que ce courant a un poids énorme, majoritaire, aux seins d'instances médicales comme la HAS. Ce
sont avec leurs arguments d'autorité, trustant de nombreux postes des comités pour des recommandations pour le covid long, qu'ils décident de ce qui peut être dit ou ne pas dit dans ces guidelines.
Par exemple, ils diabolisent les PET-SCAN cérébraux (auxquels en général ils ne
comprennent rien) alors que ceux-ci sont sur le point, à l'international, de devenir des standards pour objectiver les atteintes cérébrales à même d'expliquer les symptômes neurologiques du covid long.
La France, sous leur pression, va être l'un des derniers pays à reconnaître
le covid long peut toucher les enfants.
Mais ce n'est pas tant pour eux une "défaite" si, comme le dit la professeure au webinaire cité en haut de ce thread, le covid long "peut apparaître sans covid", et "n'est pas lié à l'infection".
Ils reconnaissent les symptômes et les
souffrances, mais sont persuadés, que ce covid long a une explication simple (les explications physiopathologiques compliquées, eh bien elles sont compliquées, donc bon...) : c'est l'esprit et les comportements qui génèrent et entretiennent les symptômes, rien d'autres.
La croyance ancrée et dogmatisée dans cette hypothèse les ferment à tout ce qui pourrait la contredire, et même simplement la nuancer.
Finalement, ce n'est pas si "grave" que le covid long commence enfin, en France et en retard sur la plupart des autres pays, à être reconnu
chez l'enfant, puisque pour eux le "covid long" n'est pas lié au covid ou à même l'infection au SARS-CoV-2.
Pour conclure, bien sûr qu'il ne faut écarter aucune hypothèse, mais il est indispensable que d'une part les financements allant vers telle ou telle hypothèse soient
en phase, et non en total décalage, avec le niveau de preuve scientifique, les précédentes publications scientifiques et le relatif consensus présent. Et d'autre part, il est indispensable que les chercheurs qui soutiennent telle ou telle hypothèse acceptent la règle de la
réfutation scientifique. S'ils produisent une étude au sujet de laquelle ils sont incapables de répondre aux critiques qui exposent des biais rédhibitoires, biais qui inversent littéralement la conclusion, eh bien comme tout le monde dans le milieu académique, ils doivent être
en capacité de reconnaître leurs erreurs, et s'ils ne peuvent démentir des biais rédhibitoires, rétracter leur étude.
On ne peut pas restaurer en France une confiance en la science académique, si ces passe-droits à la méthodologie scientifique sont tolérés, et même récompensés.
Or c'est le cas ici : la HAS contribue à entériner l'idée que certains courants, certaines chapelles, peuvent échapper à la médecine basée sur des preuves. L'ANRS, peut-être influencée par des arguments d'autorité (qu'ils soient directs, énoncés par des chercheurs, ou indirects,
via des études faussées qui ont passé le barrage du peer-reviewing), n'accorde plus cette équité auprès des chercheurs et déroge à la médecine par la preuve.
Enfin, ces hypothèses devraient être maniées avec la plus grande prudence parce qu'elles peuvent vite poser
des problèmes éthiques. Quand, comme c'est le cas dans l'interview de L'Express que j'ai citée plus haut, la Pr explique qu'il faut, d'une certaine façon et en substance, faire revenir à la raison, lui faire comprendre qu'il n'y a pas de problème biologique dans son corps et que
c'est son esprit qui le trompe inconsciemment, il y a des questions déontologiques qui se posent. Cela vire très vite au discours infantilisant et humiliant pour les patients qu'il faut selon elle, gérer et guider pour leur expliquer ce qu'ils ont. La narration du patient, de ce
qu'il vit, est reléguée au second plan. Il y a un manquement total à des principes éthiques, qui posent la question de la prise en compte, d'autonomisation et de responsabilisation du patients.
Face à une maladie émergente, sur laquelle le Pr Ranque elle-même, dans la vidéo,
reconnaît qu'on ne sait pas grand-chose, l'humilité a disparu. Exit la médecine basée sur la narration, sur l'expérience des patients. C'est le retour au médecin-sachant qui a autorité sur le malade "incapable de comprendre". L'expérience vécue par le patient doit servir
aussi au diagnostic qui ouvre le champ à différents diagnostics, et donc différentes pistes thérapeutiques.
Cela a un impact énorme sur l'orientation vers des spécialistes.
Cette approche, héritée d'un enseignement de la médecine où jamais le médecin ne doit montrer de doutes,
ni reconnaître qu'il a pu se tromper, pose un problème éthique que les quelques médecins sur Twitter, a fortiori ceux qui se prétendent de l'Evidence Based Medicine, devraient appréhender, tout comme les équipes de direction des instances comme la HAS, l'ANRS,
ainsi que le ministère de la Santé, représentés pour le covid long par @olivierveran et Xavier Lescure, tout autant que les représentants politiques et les élus politiques.
Il faudrait sans doute alerter des députés impliqués dans la question du covid long comme @MIRALLESMP ou
@MichelZumkeller. Je pense que c'est aussi le rôle des médias de jouer le contre-pouvoir face aux dérives des logiques de chapelles médicales qui s'exonèrent de la preuve scientifique.
/Fin.

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Feb 17
Interview du Pr Ranque dans L'Express sur le Covid long.
La 7e réponse va vous surprendre.
... et la 4e aussi. Tout comme la 5e, et la 3e.
Bref, ça tourne mal ! 😱 (Mais la photo de l'article est sympa).
[Thread] #LongCovid #ApresJ20 #covidlong #EM
lexpress.fr/actualite/scie…
"Il y a une proximité avec la maladie de Lyme ou le syndrome de fatigue chronique."

Je ne connais pas bien Lyme, j'en ai lu un peu plus sur le syndrome de fatigue chronique, que les recommandations internationales ont renommé en encéphalomyélite myalgique (EM).
Comme cette maladie existe depuis des lustres, on peut supposer que les hypothèses du Pr Ranque ont pu y trouver des réponses. Il faut comprendre ici qu'elle attribue l'EM à sa définition des troubles somatiques fonctionnels.
Mais l'EM est au cœur d'un scandale sanitaire.
Read 80 tweets
Jan 10
"Bon d'accord, l'étude JAMA sur le covid long est biaisée, comme toute étude, mais elle montre tout de même un élément intéressant. Ceux qui disent qu'elle est viciée, ce sont les associations de patients, mais c'est normal, elles refusent par dogmatisme la piste psy".
Thread 👇
La première raison pour laquelle les associations de patients dénoncent l'étude, c'est simplement parce qu'elle contient... une erreur rédhibitoire.

Un biais math. pire que le biais "temps immortel" qu'on retrouve dans les publications de Didier Raoult.
Ici, cela s'appelle
2/n
un biais de classification différentielle.
Mais qu'est-ce que c'est que ce truc-là et en quoi ce n'est pas juste un biais, mais une erreur méthodologique ?
Est-ce que les auteurs de l'étude ont répondu aux critiques énonçant cette erreur ? Peut-on l'expliquer aux patients,
3/n
Read 33 tweets
Dec 11, 2021
Concernant l'étude dans JAMA sur le covid long :
- les auteurs n'ont toujours pas répondu aux questions d'@apresj20 qui ont été transmises à l'auteur correspondant👇, refusent d'envoyer les questionnaires utilisés et les tableaux de données intermédiaires.
#LongCovid #ApresJ20
- embêtant : l'étude conclut l'inverse de ce que montrent les données. L'analyse des experts internationaux et d'@apresj20 👇
@LongCOVIDEurope
- gênant : les auteurs répètent dans les médias que malgré les biais, leurs conclusions restent valables car "en comparant les sérologie+ avec les sérologie-, notre étude prend en compte des personnes ayant une probabilité plus de 100 fois supérieure d’avoir été infectées" (sic)
Read 9 tweets
Nov 21, 2021
L'émission 24H Pujadas du mardi 16 novembre présente l'étude JAMA sur un lien supposé entre la croyance d'avoir été infecté et le Covid long, et énonce des graves contre-vérités et des fake news.
A 14' de l'émission, la journaliste @justinefrayss lci.fr/replay-lci/vid…
#JAMAgate
/ Justine Frayssinet dit que l'étude a suivi 27000 patients qui présentaient des symptômes persistants après une infection supposée au covid.
Cette information est totalement fausse.
L'étude ne parle que de 914 personnes.
/
@CheckNewsfr @AfpFactuel @decodeurs @20minutesFakeOff
"A total of 914 participants reported having had COVID-19 infection before the serology test, including 453 (49.6%) with a serology test result positive for SARS-CoV-2 (Table 2)."
C'est d'ailleurs toute l'habilité de l'étude qui impressionne avec une cohorte de 27 000 personnes /
Read 17 tweets
Nov 19, 2021
"People with long Covid present various symptoms, but we don’t find anything amiss when we examine them!"
Really?
Here’s a brief overview of physiopathology with objective evidence and biomarkers widespread in long Covid cases: [thread]
#FlawedJAMAStudy #ApresJ20 #JAMAgate
[1/10]
Hypometabolism of the central nervous system correlating to neurological problems, observed via PET scan of the brain:
sciencedirect.com/science/articl…
[2/10]
Hypermetabolism of various organs, observed via whole-body PET scan:
link.springer.com/article/10.100…
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