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Pierre Jova @PierreJova
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Ce message d’une profonde intelligence nous fournit l’occasion d’une mise au point sur ce cliché persistant à gauche : la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre serait le symbole de la répression DES COMMUNARDS (nous ne sommes pas sourds). Si vous voulez bien m’suivre. ⬇️
Je précise que je ne suis pas historien, mais simple amoureux de Montmartre, et journaliste dans le civil. Ces messages - susceptibles d’être corrigés - n’engagent que moi. Je suis vacciné, il m’arrive de manger du quinoa et je soussigné ne pas avoir de compte en Suisse.
Pour commencer, rappelons que la butte de #Montmartre à toujours été une terre de prière, fréquentée par les druides gaulois, puis par les Romains, qui bâtirent des temples dédiés à Mercure et à Mars. Vient ainsi le nom de Mons Martis (mont de Mars).
Vers 475, sainte Geneviève, patronne de Paris, à l’époque au sens strict, fait bâtir une chapelle en l’honneur des martyrs chrétiens de la Rome païenne, dont saint Denis, premier évêque de Paris. Le Mons Martis devient le Mons Martyrum (mont des Martyrs). Un nom attesté au IXe s.
Sur ce lieu de piété populaire, sont érigées au XIIe s. l’église Saint-Pierre (toujours là) et l’abbaye royale des bénédictines de #Montmartre (détruite à la Révolution). C’est à Montmartre que saint Ignace et ses compagnons fondent la Compagnie de Jésus, en 1534.
À noter que #Montmartre est déjà identifié comme un sanctuaire national. Le roi Charles VI s’y rend en pèlerinage pour guérir de sa folie. Les Parisiens y prient pendant la guerre de Cent ans, puis après la défaite de Pavie, en 1525, où le roi François Ier fut capturé.
C’est dans ce même contexte de patrie en danger et de défaite militaire qu’émerge l’idée d’une nouvelle église à #Montmartre. Elle est formulée par Alexandre Legentil, qui l’est beaucoup plus que l’auteur du message à l’origine de ce fil de discussion.
Disciple du catholicisme social, Alexandre Legentil (1821-1889) fut le propriétaire du grand magasin de tissus « Au Petit Saint-Thomas », alors situé rue du Bac. Chef d’entreprise humaniste et innovant, il mène une politique de bas prix, et fixes, en respectant ses employés.
Épouse d’Alexandre, Marie Legentil (1828-1920) fonde la Société d'enseignement professionnel des femmes, pour transmettre aux jeunes femmes issues des classes populaires des formations artistiques et techniques. Elle s’occupera de femmes et d’enfants pauvres jusqu’à sa mort.
Après l’invasion prussienne de la France et la défaite de Sedan, le couple Legentil fuit Paris, vite assiégé, et se réfugie a Poitiers. Dès novembre 1870, Alexandre Legentil émet le vœu d’édifier une nouvelle église à Paris.
Voici un extrait de ce Vœu : « pour faire amende honorable de nos péchés (...) et faire cesser les malheurs de la France. Nous promettons de contribuer à l'érection à Paris d'un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus ». Il est rédigé en janvier 1871.
NOVEMBRE 1870. JANVIER 1871. Or, la Commune de Paris s’est tenue entre mars et mai 1871. 😱 Le projet du Sacré-Coeur de #Montmartre est donc antérieur au Temps des cerises. J’espère ne pas briser celui de certains confrères.
Ce que Alexandre Legentil déplore, en écrivant son Vœu, outre les « malheurs qui désolent la France », ce sont les « attentats sacrilèges commis à Rome contre les droits de l'Église et du Saint-Siège ».
En effet, l’Italie s’est emparée de Rome en septembre 1870. Les États pontificaux n’existent plus. Le pape s’enferme au Vatican. Pour les catholiques français de l’époque, c’est la double peine. Une nouvelle église n’est pas de trop pour conjurer de tels cataclysmes.
Par la suite, « Le Vœu national », devenu une confrérie patriotique et spirituelle, obtient le soutien de l’Eglise, en décembre 1872. Le 24 juillet 1873, l’Assemblée nationale (majoritairement monarchiste) vote une loi d’utilité publique en faveur du projet.
Le terrain est cédé à l’archevêché. La construction repose entièrement sur une souscription populaire. Débutée en 1875, elle n’est achevée qu’en 1923.
Entre-temps, la Commune a fait de #Montmartre son symbole. C’est là qu’elle est née, le 18 mars 1871, lorsque les troupes d’Adolphe Thiers échouèrent à récupérer les canons de la Garde nationale, devant l’hostilité du petit peuple, refusant la capitulation face à la Prusse.
Ce jour-là, les généraux Clément-Thomas, vieil opposant à Napoléon III (et artisan de la répression de juin 1848), et Lecomte, soldat de métier, sont lynchés par la foule. Leurs propres hommes donnent les derniers coups de crosse. Premiers morts de cette guerre fratricide.
Le lieu est donc loin d’être anodin. « Oui, c'est là où la Commune a commencé, (...) que s’élèvera l’église du Sacré-Coeur ! », écrit Hubert Rohault de Fleury, beau-frère d’Alexandre Legentil, autre inspirateur du Vœu, après la pose de la première pierre en 1875.
Décrivant les communards comme des « énergumènes avinés », mus par la « haine de l’Eglise », ce dernier exprime un sentiment partagé par beaucoup à l’époque. En saccageant des églises et en fusillant l’archevêque de Paris, la Commune a offert un visage peu amène aux catholiques.
Je renvoie au billet de @dePLUNKETT1 sur Mgr Georges Darboy, publié en 2011. Personnifiant toute la complexité de la période, l’archevêque fut sacrifié par Thiers, pour justifier la lourde répression de la Commune. plunkett.hautetfort.com/archive/2011/1…
Pourtant, l’idée que le Sacré-Coeur réponde à la Commune n’est pas exprimée dans la loi de 1873 (alors que l’Assemblée, anti-communarde, avait tout loisir de le faire), ni par l’Eglise. Reste que la nouvelle basilique, coïncidant la répression, sera symboliquement perçue ainsi.
Concluons : le Sacré-Coeur de #Montmartre n’a pas été construit pour « expier » la Commune de Paris, même si le lieu de sa construction et sa vocation de repentance entrent en résonance avec elle.
En toute hypothèse, ce mythe a de beaux jours devant lui. Tant la réécriture romantique de la Commune reste une référence commode pour certains bourgeois soucieux de cultiver une posture prolétarienne, mais se gardant bien de fraterniser avec les communards d’aujourd’hui.
Bref, relisons Frédéric Ozanam, hélas disparu avant la Commune, qui écrivait en 1836 : « il y a beaucoup d'hommes qui ont trop et qui veulent avoir encore ; il y’en a beaucoup plus d'autres qui n'ont pas assez, qui n'ont rien et qui veulent prendre si on ne leur donne pas. »
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