A la 17e chambre du TGI de Paris, pour le deuxième jour du procès intenté par Denis #Baupin à ses accusatrices, Mediapart et France inter.
Cet après-midi, le tribunal doit continuer d'entendre les prévenus. Hier, seul le directeur de la publication de Mediapart, Edwy Plenel, a été entendu. Il en reste donc onze...
Lenaïg Bredoux, journaliste à Mediapart, est appelée à la barre. "Je vais essayer de vous expliquer le plus précisément comment j'ai travaillé."
"Je suis journaliste politique depuis 8 ans à Mediapart. Très rapidement j'ai entendu des femmes raconter le sexisme en politique. Je suis en charge des partis de gauche, qui se disent progressistes, et dont certaines femmes décrivent des dysfonctionnements"
"J'ai été assez rapidement identifiée comme une interlocutrice possible sur ces sujets. En décembre 2011, une femme me dit qu'elle a entendu des femmes se plaindre de Denis Baupin, mais je n'ai rien de plus."
"Jusqu'à ce déjeuner entre Isabelle Attard et Edwy Plenel. On commence une première enquête sur la base des propos d'Isabelle Attard. On lui demande de se souvenir plus précisément, mais elle n'a pas décidé de témoigner donc c'est compliqué".
"La 1ere chose qu'on lui demande c'est où sont les SMS. Elle cherche son téléphone et ne le trouve pas. Mais très vite les portes se ferment, elle ne nous donne pas plus d'éléments. Je suis bloquée, tout simplement. Donc évidemment, on ne publie rien. C'est une enquête inachevée"
"Et puis le 8 mars 2016, Denis Baupin participe à une campagne pour les droits des femmes où il met du rouge à lèvres. Le 11, Elen Debost publié un post facebook où elle parle de "dégoût"."
"C'était il y 3 ans, on était avant #metoo. C'était un sujet beaucoup moins débattu qu'aujourd'hui. On parle encore de "libertinage" et de "sexualité à la française". Ce serait les puritains contre les libertins. Bien sûr ce n'est pas ça."
"Les femmes sont terrorisées. Elles ont peur pour leur famille, peur de perdre leur emploi, peur d'être discréditées définitivement."
"Être femme en politique, c'est déjà dur, mais femmes politiques victimes de violences sexuelles, elles ont peur que ça signe la fin de leur carrière"
Commence alors une enquête conjointe avec Cyril Graziani de France Inter. Lenaig Bredoux arrête de suivre l'Élysée pour Mediapart et se consacre à plein temps à cette enquête.
Les 2 journalistes recueillent 2 nouveaux témoignages en plus de celui d'Isabelle Attard : ceux d'Elen Debost et de Sandrine Rousseau. "Elles acceptent de témoigner à visage découvert, à condition de ne pas être seules".
"Isabelle Attard nous dit alors qu'elle s'est fait voler son téléphone. On lui demande si elle en a parlé à quelqu'un, on recueille le témoignage spontané (de ce témoin), qui confirme les faits".
"On essaye aussi de rencontrer un maximum de gens à EELV. Ça bruisse, on nous dit cette phrase qui veut tout et rien dire " tout le monde savait ". Nous interrogeons aussi les responsables."
"C'est à ce moment que nous rencontrons des sources essentielles à cette enquête. L'ancien bras droit de Cécile Duflot nous parle pour la 1ere fois des collaboratrices parlementaires à l'Assemblée et de faits à la mairie de Paris."
"Ils n'ont pas très envie de parler, ça met en cause l'ensemble du parti. Ce qui les motive c'est d'être militants d'un parti en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes et de ne pas avoir réagi."
"Les collaboratrices, c'est un sujet central. Bcp se plaignent de violences sexuelles et sont dans une grande précarité et dans un lien de subordination très fort avec des horaires très flexibles."
"Nous recueillons 3 témoignages, elles nous demandent d'être anonymes. Non seulement elles pensent qu'elles vont perdre leur travail, mais en plus qu'elles seront disqualifiées en n'en retrouveront pas."
"Moi, en ma qualité de journaliste, je ne peux pas leur dire que ce n'est pas vrai. Parce que dans ce genre d'affaire, la vérité c'est que c'est souvent le cas."
"C'est un cheminement, on tire les fils. Ça contribue à faire un tableau qui petit à petit se remplit, se remplit aussi de complexité. On arrive à 8 femmes qui rapportent des faits problématiques, mais on a interviewé des 10e de personnes".
"On parle de faits dans les années 90, la perception des violences sexuelles a changé. Certains témoins nous disent qu'à l'époque ils n'ont pas conseillé de porter plainte. D'autres expliquent leur rapport compliqué au statut de victime".
"Ce qui nous manque : c'est Denis Baupin. Le 8 avril, on reçoit cette lettre de son avocat nous demandant d'arrêter d'enquêter. Nous contactons Denis Baupin le 2 mai. Il nous renvoie vers son conseil."
"Il nous répond par courrier qu'il refuse. Nous renvoyons un mail pour insister. On est un mercredi soir, on espère qu'il va changer d'avis. Les jours passant on sent pas bien que son non est définitif et nous publions notre article le 9 mai."
"A la suite de la publication de cet article, nous recevons d'autres témoignages, de femmes dont nous n'avons jamais entendu parler. On refait le même travail pendant 3 semaines pour arriver à la publication du 2e article le 30 mai."
Les 2 journalistes tentent à nouveau de contacter Denis Baupin. "On sait bien que dans ces affaires, il peut y avoir une forte différence de perception. Peut être que Denis Baupin ne s'est pas rendu compte de la gravité de ces faits"
"Nous contactons à nouveau Emmanuel Pierrat qui, bonne surprise, nous fixe un rdv avec Denis Baupin. Il pose 2 conditions : que ce soit enregistré et qu'il n'y ait pas de off"
"Arrivé au rdv, les conditions changent : pas d'enregistrement pour la radio et Me Pierrat demande à pouvoir intervenir. 3e condition : que son client puisse tenir des propos off. On lui explique que ce n'est pas possible sur des faits aussi grave, c'est inapproprié."
"Nous refusons cette condition et allons donc être éconduits du cabinet sans même avoir vu Denis Baupin."
"En septembre 2016, on publie un dernier témoignage. La directrice d'autolib, qui sera la 4e plaignante. Article pour lequel il n'y a pas eu de plainte en diffamation".
Première question du président du trib. sur le "règlement de compte politique". Lenaig Bredoux : "Très rapidement, cette possibilité a été écartée. On a interrogé 40, 50 personnes de toutes sensibilités chez EELV, certaines ne sont pas au parti. Elles ne se connaissaient pas."
"Ça ne pouvait pas être un complot" insiste Lenaïg Bredoux.
On passe aux questions d'Emmanuel Pierrat, avocat de Denis Baupin. "Dans votre enquête, avec beaucoup de guillemets de ma part, il y a des cas de harcèlements sexuels seulement par SMS. Qu'est-il advenu de ces SMS ?"
Lenaig Bredoux : "J'ai été assez claire mais je vais répéter, je n'ai rien à cacher. Isabelle Attard nous a dit qu'on lui avait volé son téléphone."
E. Pierrat "je vous prends pour une journaliste intelligente, vous savez que nos SMS sont gardés partout... Avez-vous lu ces SMS ?
- on a écrit qu'elles disaient avoir reçu des sms et on a interrogé des témoins de ces SMS. C'est le cas de plusieurs députés."
- "Vous savez ce que c'est cet objet ? demande Me Pierrat à la journaliste en brandissant un téléphone.
- un téléphone.
- c'est celui de Denis Baupin mis sous scellé pendant 3 mois."
"Vous avez lu dans l'enquête judiciaire les SMS ? Votre journal avait un long article la semaine dernière dessus.
- pour une part, oui.
- vous n'avez pas eu le temps ? Ca ne vous intéresse pas ?".
Le ton monte.
L'échange est interrompu par la greffière qui n'arrive pas à prendre des notes.
Me Pierrat : "Nous avons fourni une copie des SMS qui concernent Mme Attard, Debost, Rousseau. Une journaliste un peu chevronnée devrait pouvoir lire en quelques jours ces SMS !"
"Évidemment qu'au cours de l'enquête journalistique, et pas de l'enquête de police, nous aurions voulu lire ces SMS", répond très posément la journaliste.
"J'ai pris connaissance la semaine dernière des SMS versés à dossier."
Les avocats haussent le ton.
"On laisse la prévenue répondre !" tonne le président.
"Nous avons sollicité Denis Baupin, répète la journaliste.
- c'est un peu court...
- on n'a pas toujours la réponse qu'on veut", sourit le président.
"C'est dommage que votre intelligence s'arrête au moment où il faut lire des SMS", tacle Pierrat.
- Me Tordjman : il faut arrêter les commentaires désobligeants !"
Me Pierrat : "je pose les questions que je veux, d'autant que cette audience est live-twittée (coucou).
- Le président : "les live-tweets sont autorisés, vous posez vos questions pour le tribunal par pour les live-tweets. J'ai un jugement à écrire, moi !"
Me Pierrat donne les noms des témoignages anonymes en demandant que les "professionnels de la presse" ne les donnent pas.
- "l'audience est publique, coupe le président. On ne peut pas dire de ne pas donner les noms !"
"Je suis mal à l'aise que nous donnions en audience publique les noms de témoignages anonymes", répond Lenaïg Bredoux.
Me Pierrat : "Vous interrogez Caroline de Haas pour qui un homme sur 3 est un agresseur mais pas des femmes proches de Denis Baupin ?
- nous avons fait des choix, que j'assume."
Me Pierrat donne une liste de noms de femmes et repose la même question à chaque nom à la journaliste.
- "Non mais maître !, tonne le président. Laissez parler la prévenue !"
"L'idée n'était pas de faire parler toutes les femmes que Denis Baupin a croisé dans sa vie" indique Lenaïg Bredoux.
"Ces personnes ne sont pas des inconnus péchés dans le métro... dit Me Pierrat.
- elle vous a répondu, elle a fait des choix", dit le président, visiblement agacé.
Me Pierrat interroge Lenaïg Bredoux sur les enquêtes qu'elle n'a pas publiées. "Ce que nous ne publions pas n'existe pas", répond la journaliste.
"Je n'ai pas à expliquer les choix du parquet, je suis là comme journaliste" répond la journaliste à Me Pierrat qui l'interroge sur la prescription des faits.
Lenaïg Bredoux : "Nous on a eu un cheminement de journalistes, elles (les accusatrices de Denis Baupin NDLR) ont eu aussi un cheminement qui les a, pour certaines, amené à porter plainte au cours de l'enquête préliminaire."

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