Thread by @Mar_Barbier

A la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour le procès de Sandra Muller, à l'origine de #balancetonporc, poursuivie en diffamation par Eric Brion.

Rappel des faits : le 13 octobre 2017, Sandra Muller, journaliste française expatriée à New-York, tweete : "#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends".

Quatre heures plus tard, elle envoie un second tweet : « 'Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit' Eric Brion ex patron de Équidia #balancetonporc ». Il sera retweeté 2500 fois.

Eric Brion, consultant et ancien directeur général de la chaîne de télévision Equidia, réclame 50 000 euros de dommages et intérêts, 15 000 euros de frais de justice, la suppression du tweet divulguant son nom et quatre publications judiciaires.

La salle d'audience est pleine (beaucoup de journalistes). Éric Brion et Sandra Muller sont présents, chacun derrière leur armée d'avocats.

L'audience est ouverte.

"Je vois que la salle est très remplie, dit la présidente. Je rappelle que nous avons besoin de sérénité et de calme."

Les témoins cités pour l'offre de preuve ne sont pas présents, précise Me Szpiner.

La présidente rappelle le contexte avec l'affaire Wenstein, producteur accusé de viol et de plus d'une 50e d'agressions sexuelles. "Ces faits ont eu une très forte résonance internationale"

Dans de contexte, Sandra Muller crée le hashtag #balancetonporc et publie ses deux tweets.

3e tweet : "95 % des femmes qui dénoncent des violences perdent leur emploi, la honte doit changer de camp #balancetonporc"

Le hashtag #balancetonporc sera utilisé dans plus de 80 pays, de l'Inde à la Colombie, et passera la barre du million de tweets en septembre 2018, explique la présidente.

"Dans ce dossier une offre de preuve a été signifiée qui annonce 4 témoins et 21 pièces", explique la présidente.

Outre les 50 000€ de dommages et intérêts et les 15 000€ de frais de justice, Brion demande la publication du jugement sur twitter.

Éric Brion est gérant d'une société de conseils aux médias ; Sandra Muller est journaliste indépendante qui édite la lettre de l'audiovisuel.

Éric Brion s'exprime à la barre :"Cela fait un an et demi que j'attends de m'exprimer devant un tribunal. Il y a eu un autre procès, sur les réseaux sociaux où il est impossible de se défendre. J'ai essayé, mais j'ai été condamné par le buzz."

Ce soir là, je croise Sandra Miller, on se connaît depuis 15 ans, elle m'attire. Je lui dis qu'elle m'impressionne et là je lui dis "tu es mon type de femme, tu es brune, tu as des gros seins"."

"Sa réaction est sans équivoque, l'attirance n'est pas réciproque. Lorsqu'elle part, je lui dis "c'est dommage, je t'aurais fait jouir toute la nuit"."

"Lorsque les tweets sortent 5 ans et demi plus tard, je suis en train de préparer l'anniversaire de la 2e fille, un ami m'appelle. J'appelle ma fille aînée, je dois lui expliquer."

Éric Brion parle d'une voix sombre, il est en veste de costume bleu marine et chemise blanche.

"Rapidement, je deviens le 1er porc. La suite va être une longue descente aux enfer, je deviens un paria. Mes contrats sont annulés."

"Des copains me tournent le dos, ma femme me quitte. Je reçois des menaces " on sait où sont tes filles", "tu es un violeur". Je ne sors plus, je ne dors plus, je sombre dans une profonde dépression."

"Ça ne s'arrête pas, Sandra Muller continue à s'acharner contre moi. Chacune de ses publications est un uppercut".

"Elle parle de dommage collatéral, je ne suis pas un dommage collatéral, je suis victime d'une frappe chirurgicale de Sandra Muller."

"Bien sûr, je serai comparé à Hervé Wenstein..."

"Cerise sur le gâteau, je suis comparé par Me Szpiner à Denis Baupin... Un homme pour qui je n'ai pas beaucoup d'estime."

"C'est d'une violence absolue, une jeune fille s'est suicidée, je peux le comprendre. La violence de certains articles, je ne mets pas tout le monde dans le même sac..."

"Ces réseaux sociaux sont une machine à broyer, avec laquelle on ne peut pas se défendre. Je vous remercie."

Nicolas Bénoit, avocat de Brion : "Ça fait un an et demi qu'il attend de procès, parce que lui n'en a pas eu. Il a été cloué au pilori. Aujourd'hui, c'est le temps de la raison, de la réflexion."

"Si ce mouvement #balancetonproc a permis de libérer la parole des femmes, il est basé sur un mensonge."

Nicole Bénoit "en sept mois 850 000 tweets, la radio, la télévision s'empare du phénomène. Au 72 heures, 900 articles."

Nicolas Bénoit : "Peut être que Mme Muller doit remercier M. Brion. Car c'est grâce à ce premier tweet que le mouvement s'est lancé. C'est quand elle lâche son nom en pâture que le hashtag devient viral."

"Même dans son livre, elle dit que ça n'était que des avances déplacées et qu'il n'a jamais été son patron."

"Sandra Muller insinue qu'il y aurait d'autres victimes de M. Brion". Il cite un tweet où elle dit qu'elle a des "témoignages à la pelle".

"Donc oui, à 3 jours de la prescription, M. Brion comprend qu'un procès sera le seul moyen de laver son honneur."

"Il suffit de regarder les tweets, toutes les victimes qui ont répondu à l'appel à dénonciation de Mme Muller ont dénoncé des faits qui se sont produits dans le cadre de leur travail."

"Comment ça a été compris ? Comme l'imputation d'un harcèlement sexuel. Le propos est donc bien diffamatoire puisqu'il implique une infraction pénale, qui n'est pas vrai."

La cagnotte mise en ligne par Sandra Muller précise qu'elle a dénoncé un "harcèlement sexuel". "Il n'y a aucune contestation possible !" lance l'avocat.

(La présidente du tribunal a précisé au début qu'il s'agissait d'une audience civile, le tribunal se baserait donc sur les écrits des avocats pour rendre sa décision. Donc ces plaidoiries et déclarations sont uniquement pour les journalistes et le public dans la salle).

"Les propos tenus par Éric Brion ne sont pas ceux rapportés par Mme Muller. Il n'a jamais reconnus ces propos mais "DES" propos déplacés et il s'en est excusé."

"M. Brion s'est excusé, Mme Muller n'a pas bougé d'un iota pour rattraper son erreur, son mensonge."

Marie Burguburu, avocate d'Éric Brion : "c'est un peu le procès de la bonne foi et du mensonge, dans une période d'hypermoralisation avec twitter, le média le plus puissant du monde."

"C'est le procès d'une usurpatrice qui a commis un hold up en surfant sur la vague Wenstein, qui lui était accusé de viol. Elle s'est mise en scène, puisqu'elle n'a jamais été agressée par Éric Brion, pour faire un bon business.

"Elle n'a même pas inventé le mot de porc, elle l'a emprunté à Marcella Iacub qui elle a eu les couilles (je ne sais pas si je peux dire ça dans un tribunal) de s'attaquer à un homme puissant."

"Si on n'a pas le droit de se défendre avec un procès, alors il n'y aucune différence entre les tueurs de Charlie et un lynchage collectif aveugle."

"Cette usurpatrice en voulait à Éric Brion avant le tweet, avant la soirée de 2012. Elle lui en veut de ne pas s'être abonné à sa lettre. Elle l'a dit, elle l'a écrit."

4 ans après les faits, Me Burguburu explique que Sandra Muller a demandé à Éric Brion de ne pas la "bloquer sur facebook".

"Quand l'affaire Wenstein sort, cette agression d'une infinie violence ressort et elle lance son hashtag" ironise l'avocate de Brion.

"Ce soir là, ces deux reconnaissent qu'ils avaient bu, il y a aussi le ton, le regard et le contact. Ils se connaissent depuis 15 ans."

"Tu as de gros seins" : "Moi je prends, ça ne me déplairait pas", lance Me Burguburu.

"Je vais te faire jouir ou je t'aurais fait jouir" : "l'un est au conditionnel, ce n'est pas tout à fait la même chose" continue l'avocate.

"Quand elle dit qu'elle a des 10e de témoignages, elle sous entend que c'est un récidiviste. Elle pouvait enfin venir défendre sa vérité ! Mais non, il n'y a pas un seul élément venant corroborer ce qu'elle dit."

"Y'a pas de harcèlement sexuel, pas de harcèlement sexuel au travail, y'a peut être une drague lourde, ça n'est pas interdit. Je revendique le droit à la drague."

"Si on commence à interdire la drague au travail, vu que 50% des couples se rencontrent au travail, je suis extrêmement inquiète sur le taux de natalité !"

Me Burguburu : "Oui, c'est un peu prétentieux de penser maitriser l'orgasme des femmes, c'est toujours susceptible soit de se dérober, soit de se feindre. Ce n'est pas de moi mais du marquis de Sade."

"Elle a bousillé la vie d'Éric Brion parce qu'un acteur l'avait physiquement agressé avant (l'avocate lit un extrait du livre de Sandra Muller). Donc je me demande s'il n'aurait pas mieux valu qu'Éric Brion lui mette un poing dans le visage !"

"Je ne comprends pas pourquoi ce n'est pas cet acteur qui est le porc !"

"Ces accusations portent atteintes à toutes celles qui sont réellement victimes", plaide Me Burguburu, qui lit les réponses au tweet de Sandra Muller.

"Il n'y a qu'un malheur, c'est qu'Éric Brion est un gentleman. Il avait une compagne, il ne l'a plus. Il a essayé de protéger ses parents, ses deux filles, ses amis. Le téléphone ne sonne plus... Et puis l'envie d'en finir."

"Aujourd'hui, les avocats de la défense, sur un beau mot, vous parle de "beaupinade". Denis Baupin était accusé d'avoir agressé 8 femmes, ça n'a strictement rien à voir avec M. Brion contre qui aucune plainte n'a été déposée, pas même par Sandra Muller."

"Le préjudice est incontestable. 50 000€, on est très très loin du préjudice subi par M. Brion. Et on est très loin des gains gagnés par Sandra Muller. Elle vient de s'acheter un duplex à New-York".

"Elle a créé un amalgame violent avec Wenstein. On passe du viol à l'agression à la drague, qui est une main tendue. Vous déciderez dans quel monde nous voulons vivre, la perspective de ne plus pouvoir être draguée, j'ai choisi."

Francis Szpiner, avocat de Sandra Muller : "Quand j'étais jeune avocat, on poursuivait les femmes pour avortement. Aujourd'hui, les femmes ne se laissent plus faire."

"Les temps et le monde ont changé. Si vous aviez lu Sandra Muller de manière juste : vous avez une femme au festival de Cannes, elle y travaille. Un homme lui tient des propos dégradants, qui rabaissent celle qui les écoute."

"Si ce hashtag a eu du succès c'est parce que des milliers de femmes se sont reconnues et en ont assez d'être considérés comme des objets de plaisir ! Voilà la réalité de ce dossier."

(Me Francis Szpiner en chantre du féminisme c'est en ce moment à la 17e).

"Ces propos sont en réalité exacts, s'ils ne le sont pas dans la lettre, en tous cas dans l'esprit."

"Il n'est pas question de M. Wenstein mais de femmes harcelées au travail."

"C'est un terme générique, pas un délit spécifique, ce n'est pas #balancetonpatron."

"Mme Muller est de bonne foi, puisque les propos reproduits sont vrais."

"Quant à l'animosité personnelle... Vous savez, moi quand je plaide devant la 17e contre Plenel, je le hais, il me hait !".

"J'ai craint le pire, mais Me Burguburu s'est arrêté à temps. On a échappé à Vichy. Si vous ne savez pas faire la différence entre la délation et la dénonciation..."

"Hélas, Sandra Muller n'a pas de duplex, elle n'est pas riche, nous sommes les premiers qui pourrions nous en plaindre..." (rires dans la salle).

Me Szpiner calcule les dommages et intérêts demandés par Éric Brion : 130 000 euros. "Indécent" dit-il en comparant aux DI accordés à la victime du viol du 36 quai des Orfèvres : 20 000€.

Francis Szpiner cite Clemenceau : "La révolution est un bloc". Sandra Muller est devenue " une immense boite aux lettres des malheurs des femmes ".

"Vous rendrez justice à cette femme admirable et débouterez Éric Brion de ses demandes."

Le deuxième avocat de Sandra Muller, François Baroin (himself) commence sa plaidoirie.

"Quelle curieuse inversion des valeurs et des rôles que de se présenter ici en victime quand c'est M. Brion lui-même qui poursuit."

"Je veux bien croire que la vie de M. Brion ne soit pas facile, mais quand j'entends parler d'usurpatrice, de hold up... C'est encore une inversion des valeurs spectaculaire."

"Pour que tout change, rien ne change. Dans l'intervention de M. Brion il n'y a pas eu un mot, un regard pour Mme Muller."

"Nombreuses sont les femmes qui se sont reconnues dans cette liberté d'expression, elle a ouvert le chemin. C'est un cri qu'elle a lancé".

"Ce courage, cette force, cette dignité a amené les femmes à libérer leur parole mais aussi le législateur à se pencher sur la définition et le cadre de l'outrage sexiste."

"Une jeune femme en ce moment qui vient de Belgique, son frère est un rappeur très connu, dit des choses à la jeune génération et elle a sorti un clip."

François Barouin cite des extraits de la chanson d'Adèle "balance ton quoi".

"Soit vous la condamnez et c'est le bâillon supplémentaire, soit vous déboutez M. Brion de ses folles demandes."

Sandra Muller se met à la barre avec beaucoup de notes. "Mais je vais faire comme d'habitude, je vais être spontanée".

"Moi je vous parlerai pas de ma santé, ma fille est là dans la salle."

"Il y a eu plus de 20% de plaintes en France. C'est un mouvement qui n'a pas que libéré les femmes et je m'adresse à vous les hommes", elle pointe du doigt les 2 assesseurs.

"J'ai poussé un cri de colère sans aucune intention de nuire. Grave à #balancetonporc maintenant on ne parlera plus d'hystérie féminine mais de cri de colère."

Le tribunal met sa décision en délibéré au 25 septembre.

"L'audience est finie, vous pouvez sortir !" lance la présidente de la 17e au milieu du brouhaha.

Devant la salle d'audience...