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Quelqu'un vient de sonner chez moi, alors que je n'attends personne.
Comme à chaque fois, j'ai arrêté de bouger.
De respirer.
De faire du bruit.

Et j'ai attendu que l'inconnu s'en aille, cachée dans mon propre appartement.

Pourquoi je réagis comme ça ?
Un thread ⬇️⬇️⬇️
Septembre 2010. Je suis chez moi, en train de défaire des cartons. Je viens d'emménager dans une petite rue tranquille du 14ème arrondissement de Paris.
L'immeuble est silencieux, normal pour un vendredi matin. Ma colocataire travaille et moi, je n'ai pas encore repris les cours.
Je discute tranquillement au téléphone avec mes parents lorsque l'on frappe à la porte. Je n'ai pas de judas alors j'ouvre.

Un homme en bleu de travail et des brosses de ramonage se tient devant moi.
Il m'indique qu'il a besoin d'accéder à notre chaudière. Je suis un peu étonnée de ne pas en avoir été informée, mais il m'explique que c'est affiché dans le hall de l'immeuble depuis trois semaines. Bon, j'étais en vacances, je n'ai sûrement pas vu le papier du syndic.
Je slalome entre les cartons, lui montre la cuisine. Il regarde la chaudière, l'ouvre, la referme et se retourne vers moi.

" Il va falloir que je fasse l'entretien. Vous en avez besoin pour l'assurance habitation. Je vous donne les papiers"
Je regarde la liasse qu'il me tend. Gloups ! 79€90 à régler dès l'intervention. Cela commence à me paraître bizarre.

Je lui indique que la chaudière vient tout juste d'être installée par le propriétaire et que notre assurance ne nous a rien demandé, sauf l'entretien dans un an.
Il ne veut rien entendre et m'explique qu'il doit intervenir.

Je tente de lui dire qu'il faut que j'en parle à ma colocataire et que nous le recontactons pour fixer un autre rendez-vous, mais qu'il est hors de question que je paye cette somme là, "maintenant" comme il l'exige.
Et là... ça part en vrille.

Il s’énerve, commence à crier et gesticuler que ce n'est pas une gamine qui va l’empêcher de faire son travail.
Je suis tétanisée. Ma maman, toujours au téléphone commence aussi à s’inquiéter et me dit de le faire sortir.

D'une voix mal assurée et tremblotante, je demande au ramoneur de s'en aller. "Monsieur, je vais vous demander de partir de chez moi. Vous me faites peur maintenant"
Le type se mets à hurler d'un coup "Pauvre conne ! Je partirai pas ! Vous pouvez pleurer, vous croyez que j'en ai quelque chose à foutre de vous ?!?"
En quelque secondes, j'ai l'impression qu'il rempli tout l'espace. Je me fige. Il me semble que seul mes yeux et mon cerveau sont actifs. Et mon cœur, qui cogne comme s'il voulait sortir de ma poitrine.
Je suis littéralement pétrifiée, je réalise brusquement que je suis seule, dans un immeuble peut-être vide, face à un type déchaîné qui, techniquement, peut décider de faire ce qu'il veut.
Vous êtes tranquille chez vous en train de papoter au téléphone, et 5min +tard vous êtes entièrement à la merci d'un inconnu, qui peut vous voler, vous frapper, vous violer.

J'avais l'impression d'avoir buggé, de ne rien comprendre à la situation et surtout, ne rien maîtriser.
Au téléphone, mon père me demande de lui passer l’intrus. D'un geste mécanique, je tends mon portable au ramoneur qui écoute mon père lui dire qu'ils sont en train d'appeler la police et qu'il ferait mieux de partir.
Il s'approche, fou furieux. Je crois qu'il va me frapper. Paniquée, j'essaye de calculer si matériellement, j'ai le temps d'atteindre la porte de sortie avant qu'il ne m'attrape.
Je suis prête à m'enfuir pieds nus de chez moi. Et en même temps, incapable de lever le moindre petit doigt.

Mon cerveau fonctionne à 10.000 à l'heure. Mon corps lui, est lourd comme du plomb.
Finalement, il change brusquement d'avis et jette mon téléphone sur le sol. Il récupère ses brosses et ses papiers et sort de mon appartement. Je referme le verrou d'une main tremblotante et m'écroule littéralement derrière la porte.
Je rassure brièvement mes parents, et je raccroche pour appeler la police.
Je commence à expliquer ce qu'il s'est passé, en mobilisant toutes mes forces pour être le plus claire possible lorsque j'entends des hurlements venant de l'appartement du dessus.
Le ramoneur a réussi à pénétrer chez ma voisine, une dame malade et âgée, et au vu du bruit, il est en train de la molester. Je bafouille au téléphone, la dame m'indique qu'ils envoient une unité de la BAC (Brigade Anti-Criminalité)
Je me recroqueville derrière la porte. Je suis incapable d’aller aider ma voisine. Physiquement incapable.
Tout mon corps tremble.
Les policiers arrivent en qq minutes et l'interpellent.
Lorsque j'entends qu'il l'ont emmené, j'ouvre ma porte et croise ma voisine et un policier.
Le reste est confus.
La vieille dame me remercie d'avoir appelé la police.
Je m'excuse de ne pas l'avoir aidé.
Elle pleure.
Le policier me dis qu'il faut venir témoigner.
Le fils de la voisine arrive.
Je pleure.
- Il faut témoigner quand ?
- Avant ce soir ce serait bien.
Je donne mon numéro de téléphone.
Un policier remonte, le ramoneur accuse ma voisine d'avoir volé ses brosses, il va fouiller le domicile.
Ma colocataire arrive et me prends dans ses bras.
Je pleure.
En fin d'après-midi, je me rends accompagnée d'un ami au commissariat.
Je ne viens pas porter plainte, juste témoigner pour ma voisine.

Je suis encore sonnée. J'essaye d'être le plus claire et factuelle possible pour raconter mon histoire au policier.
Gênée, je lui dis que "c'est un peu ma faute, je n'aurai pas du le laisser entrer".
Gentiment il m'explique : si l'on demande à qq'un de sortir de chez soi, et qu'il n'obtempère pas, il s'agit bien d'une violation de domicile. Même si on l'a laissé rentrer avant.
Bon à savoir.
Je décide donc de porter plainte pour violation de domicile.
Il m'explique que ce faux ramoneur s'est spécialisé dans l'arnaque des personnes âgées, et qu'il l'ont déjà interpellé la veille avec dans sa sacoche, plusieurs chèques obtenus par intimidation.
Le policier sort récupérer les documents qu'il vient d’imprimer. Je reste seule.
Sur le bureau, les papiers de l'affaire... Le nom du type est inscrit dessus. Je le note mentalement.
Plus tard, je découvrirai qu'il a un profil Facebook, plein de contacts. Des photos où il pose avec ses amis, en bermuda au bord de la mer.
Un type sympa quoi.
En janvier 2011, je recevrai un courrier du tribunal de grande instance de Paris m'indiquant que ma plainte a été classée sans suite, les faits et circonstance dont je me suis plainte n'ayant pu être clairement établis par l'enquête.
Les preuves ne sont donc pas suffisantes pour que l'affaire soit jugée par un tribunal. Lorsque j'ai quitté cet appartement en janvier 2013, la plainte de ma voisine était toujours en cours.
Les jours suivants on étés très bizarres. Il y a eu une part de déni, je me refusais presque à me dire que j'avais été agressée, n'ayant pas été molesté physiquement. Il a fallu un petit moment pour que je me dise que oui, moi aussi, j'avais été victime d'une agression.
J'ai repris les cours. J'ai mangé, dormi... Mais mon cerveau s'emballait souvent à l'improviste de son côté, me faisant revivre encore et encore un mélange confus de scènes.
J'avais l'impression d'oublier rapidement les détails, de mélanger l’enchaînement des événements, et en même temps, de découvrir des émotions que je ne pensais pas avoir ressenties sur le moment.
Lorsque le ramoneur était en train de hurler en face de moi, je me sentais engourdie, stupide, au sens strict du terme "stupéfiée". Mon corps et mon cerveau étaient comme déconnectés.
La peur, la terreur même et surtout, inattendue, la colère d'avoir eu ma vie, mon intégrité physique tout d'un coup suspendue au bon vouloir de quelqu'un d'autre, je ne les ai ressenties qu'après coup... mais durant des semaines.
Et surtout, cette question stupide, pour laquelle je n'aurai jamais de réponse, et que mon cerveau m'a servi en boucle des centaines de milliers de fois "qu'est ce que j'aurai DU faire pour éviter ça ? Qu'est ce que j'aurai PU faire ?"
Aujourd'hui, les émotions se sont calmées. Cette histoire lorsque je la raconte a toujours son petit succès. J'ai su rendre presque drôle l'épisode du faux ramoneur. (Désolée si pour ce thread je n'y suis pas parvenu)

Je vais bien.
En revanche, lorsque l'on frappe chez moi, j'ai toujours une bouffée d'adrénaline. Même neuf ans après les faits, même après avoir déménagé deux fois, mon cœur rate toujours un battement lorsque je n'attends personne et que l'on frappe à ma porte.
Souvent je ne réponds pas. Je n'en suis pas capable. Je me cache dans mon appartement, j'arrête de faire du bruit, et j'attends que l’intrus s'en aille. Parfois, je me force et je décroche l'interphone, ou je regarde par le judas.
J'ai dis à tous mes amis et à toute ma famille de toujours me prévenir s'il souhaitent passer chez moi. Juste pour ne pas ressentir ce petit frisson de peur lorsque la sonnette sonne.
Les cicatrices sont là, ça ne sert à rien de les nier.
Cela mène a de drôles de comportement parfois. Un jour un facteur de la poste a fait un forcing de dingue pour me vendre un calendrier. Il ne voulait pas partir, il m'a réclamé un verre d'eau et une fois dans l'appartement est revenu à la charge pour son calendrier.
Il ne s'en peut-être pas compte, mais son insistance me renvoyait à l'épisode du faux ramoneur. A un moment la terreur était telle pour moi que je suis allée chercher mon porte-feuille et je lui ai donné le premier billet que j'ai trouvé.
Juste pour qu'il sorte de chez moi, qu'il s'en aille.

Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle entre le comportement de ce facteur et le harcèlement de rue d'ailleurs.

Pour lui il essayait juste de réussir sa vente en insistant comme un fou.
Pour moi, ça me renvoyait à l'agression que j'avais vécu quelques mois avant.

Les types qui abordent dans la rue pensent peut-être draguer "juste" un peu lourdement.
Mais ils arrivent après des dizaines d'agressions vécues par la fille qu'ils abordent ou ses proches.
Le facteur voulait "juste" me vendre son calendrier (que j'ai déchiré dès qu'il est sorti de chez moi. 20 euros de fichu hein ! 😅)

Mais le faux-ramoneur voulait "juste" entretenir ma chaudière (ou faire semblant) au début.

Et c'est parti en vrille, totalement.
Comment voulez-vous qu'on sache si le mec qui nous aborde, sonne chez nous va prendre un refus poli "normalement" ou passer directement à l'agression verbale ou physique ?

On a aucun moyen de savoir en fait.
Donc, n'abordez pas les femmes dans la rue.

Ne faites pas semblant de vouloir un verre d'eau pour pénétrer dans le domicile des femmes à qui vous voulez forcer la main pour un calendrier.

Et prévenez moi si vous voulez passer chez moi avant de sonner ou de frapper à la porte!😚
Fin du thread, c'était fort long 😅

Bon ceci dit, 2010 c'était une année pourrie car après je me suis faite agresser deux autres fois (une fois dans le métro)(et une fois dans le RER mais là c'est parceque je suis intervenue pour aider une fille qui se faisait agresser 💪)
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