Thread by @pierrealchaize

Régulièrement, je lis des fantasmes sur les archives du Vatican, sur leur prétendus secrets très anciens.
Alors rappelons que les "super mega hyper secrètes" archives du Vatican ont été saisies et inventoriées par l'empire de Napoléon Bonaparte.

Retour sur un mythe :

En décembre 1797, le général Leonard Mathurin Duphot est à Rome. Les armées françaises sont en Italie et Duphot est auprès de Joseph Bonaparte pour inspecter les troupes de la République cisalpine, fusion des républiques cispadane et transpadane, "républiques sœurs".

Lors de ce mois de décembre, les républicains français résidant à Rome, probablement pour emmerder le Pape, décident de faire la fête en concurrence à celle de la Nativité.

Les choses s'enveniment, et une émeute se forme très vite. Mais les soldats pontificaux interviennent. Duphot descend dans la rue pour calmer les choses et se fait proprement ASSASSINER par les suisses du pape.

Autant dire que le pouvoir français le prend TRÈS MAL. Ils décident de monter sur Rome et de prendre la ville. Ce qui est accompli le 15 février 1798.
Très vite, les français s'emparent de tous les leviers utiles pour gouverner la ville et les territoires attenants.

Revenons aux archives. Il existe au XVIIIe siècle 2 dépôts d'archives pontificales. Celui du Vatican et celui du château Saint-Ange. En 1772, Giuseppe Garampi, préfet des archives du Vatican et du château, conseille à Clément XIV de réunir les 2 dépots en 1 seul.

Comme d'habitude, le pouvoir décide d'appliquer une seule partie de l'idée. Un même homme, Marino Zampini, est nommé préfet des deux dépôts, mais les fonds ne sont pas déplacés.

C'est une simple unification administrative, qui est en plus tempérée par la nomination de deux coadjuteurs (Callisto Marini et Gaetano Marini, aucun lien de parenté).

Revenons aux français. Ceux-ci, une fois arrivés à Rome par la force des canons, et après avoir déclaré la République Romaine, s'intéressent très vite aux archives.

Et là, COUP DE THÉÂTRE : les français font de la politique et jouent la rivalité des responsables administratifs de l'ancienne administration. Ils refusent de reconnaitre un autre préfet que Gaetano Marini.

Pire, le général Laurent de Gouvion-Saint-Cyr (le successeur d'André Masséna à la tête de l'armée de Rome) confie à Marini la gestion de la bibliothèque Vaticane.

Suite à une sombre histoire de clés qu'il refuse de confier à des soldats un peu chiants, Marini demande même à ce que les archives du château Saint Ange soient transférées au Vatican.

En une seule journée, les français réussissent donc à recoller deux fonds que l'administration romaine n'avait jamais pu réunir. Et après, on glose sur l'efficacité allemande !

S'ensuit une période de crise. En novembre 1798, le Royaume de Naples envahit la ville, qui est reprise un mois plus tard par les français. Un an plus tard, les napolitains, cette fois soutenus par ces bons vieux anglais, reprennent Rome. Fin de la République Romaine.

Mais que deviennent les Archives, durant tout ce conflit ? Et bien Gaetano Marini, qui a désormais, grâce aux français, l'entière gestion de TOUTES les archives, se démène comme un beau diable pour esquiver toutes les demandes spoliatrices.

Il se débrouille tant et si bien que lorsque le pape Pie VII arrive au pouvoir, il reste l'archiviste des deux fonds pontificaux.

Passons rapidement sur la haine qui grandit entre Napoléon Bonaparte et Pie VII.

Si, racontons quand même le

FUCKING

KIDNAPPING

du Pape

Le problème, comme toujours avec Rome, est une question de souveraineté, temporelle et/ou spirituelle. Ici, pour résumer, l'autocrate français exige que les états pontificaux soient ralliés à l'alliance contre l'Angleterre.

Le Pape, jouant de sa neutralité, refuse. Les français ripostent par une série de manœuvres réduisant la taille/souveraineté des états pontificaux. Et puis, brutalement, se disent que Poutine aura raison en 2014 et annexent carrément le tout en 1809.

Le Pape excommunie tout ce beau monde, mais c'était sans compter la brutalité classique des français. Début juillet 1809, un millier d'hommes, sous le commandement d'Etienne Radet, envahissent le Palais du Quirinal, refuge de Pie VII.

Le général français va défoncer la porte de la chambre du Pape, qui s'habille avec précipitation pour recevoir le goujat.

Radet arrive et, sans délicatesse, exige que le Pape rejoigne l'Empereur.

Le Pape Pie VII, qui avait définitivement une classe certaine malgré ses autres défauts, répond un magistral " Non possiamo, non dobbiamo, non vogliamo ".

En substance " J'peux pas, j'dois pas, j'veux pas".

Ou "vas te faire cuire le cul"

Les français le prennent mal. Ils ENLÈVENT donc le Pape, comme de vulgaires narcotrafiquants.
Le souverain pontife sera ainsi prisonnier d'état, sans libération, jusqu'en 1812.

ET LES ARCHIVES ?
Patience, on y arrive.

Rome dépourvue de son Pape, il n'en fallait pas plus pour que les français fassent les prédateurs. A peine l'encre du Traité de Schönbrunn avait elle séché que l'Empereur, particulièrement vexé de l'opposition de Pie VII, décide de frapper un grand coup.

Il ordonne au général Miollis d'envoyer l’intégralité des archives pontificales en France. Notons qu'il n'en était pas à son coup d'essai, puisque les français s'étaient emparés des archives du Saint Empire, de la Galicie, du duché de Salzbourg et du Tyrol (conservées à Vienne).

Dans la nuit du 1er janvier 1810 est lancée la saisie générale et systématique de tous les papiers administratifs et historiques de la ville. TOUS.

En tout, 45848 registres d'archives sont saisis, et emportés dans 1352 caisses.

Bien sûr, tout n'y est pas. Mais les "archives secrètes" en font partie, dans 217 caisses envoyées séparément du reste directement à Paris.

Toutes ces archives sont finalement centralisées à Paris en 1813. L'ensemble représentait 3239 caisses et pesaient 408 tonnes.

Ces archives, stockées un peu partout sous les colonnades de l’hôtel de Soubise à Paris, ont été inventoriées et décrites.

Les colonnes de l’hôtel de Soubise, a l'angle de la rue des Archives et de la rue des Francs Bourgeois, dans le Marais, c'est ça :

Les archives rentreront à Rome en 1817. 5 ans qui seront employés à décrire, prendre connaissance et inventorier le tout.

Que retenir ?

QUE LES ARCHIVES DU VATICAN NE SONT PLUS SECRÈTES DEPUIS 200 ANS.

Merci d'avoir suivi ce fil inhabituel, mais on m'a trop sorti l'excuse des manuels d'arts martiaux conservés dans les archives ultra secrètes du Vatican pour ne pas avoir eu envie de rappeler un peu d'histoire.

Si vous êtes curieux, un excellent article, datant de Louis Prosper Gachard, historien et archiviste belge, raconte cette histoire et surtout cet inventaire titanesque.

persee.fr/doc/bcrh_0770-…

N'hésitez pas à partager, on ne parle pas assez des aventures archivistiques ici.

Nota : comme les esprits malins l'auront noté, cela ne concerne que ce qui est antérieur à 1817. Après, cela redevient du ressort de l'administration papale. Évidemment. D'où le souci sur les archives de la seconde guerre mondiale.

Moi, je dis, faut y retourner, tout piquer et revenir. Avec des hélicos lourds, ça se fait en une journée. Comme à l'époque, mais avec le trajet pour Paris en plus.