Thread by @pierrealchaize

Pensez vous savoir ce qu'est un couteau suisse ?

Ah, prétentieux que vous êtes !

D'abord, posons rapido la question de ce qu'on pense quand on entend "couteau suisse". En fait, le couteau suisse de Victorinox. Issu d'une commande publique de l'armée suisse, ils posent une base de ce qui va devenir un classique : le couteau pliant multi usage.

Alors, le couteau pliant, hein, ce n'est pas la Suisse qui l'invente, soyons clairs. On en trouve depuis l'époque romaine (@ClementSalviani pourrait en dire plus je pense), voire avant, et si le couteau droit semble avoir toujours eu la majorité, le pliant est constant.

Qu'est ce qui fait la particularité du "couteau suisse" ? Principalement quelques éléments fondamentaux :

- Une production sérielle et massive
- Des usages fixés en amont
- Plusieurs outils dans le manche

Mais d'autres objets méritent l'appellation "couteau suisse" avant le marketing de la coutellerie moderne.
Le principal, enfin, du point de vue de ma lorgnette, c'est le baselard. Littéralement, le couteau de Bâle (Basel en allemand).

On pourrait y voir une autre forme de dague parmi les très nombreuses dagues dont j'avais parlé ici, par exemple, mais en fait, c'est beaucoup plus compliqué.

https://twitter.com/pierrealchaize/status/1165998866442936322?s=20

Oh, au passage, tous les duels du roman "Dune" ne se déroulent pas à la dague. Ça c'est dit.

Le mot "baselard", et ses cousins badelaire, bazelaire ou basler, désigne + une forme d'épée courte, comme on en rencontre des tas sur le territoire européen. Les catégories d'armes sont moins figées qu'on l'imagine, et surtout pas assimilables à un tableau de Donjons&Dragons.

D'ailleurs, une épée, dans le poème de l'Arioste "Orlando Furioso", porte le nom de "Basilarda". Mentionnée au chant XXV.

Mais un baselard, c'est quoi ? La silhouette est assez unique, alliant une lame large, à deux tranchants, avec une poignée bien visible. Une garde au dessus de la main, une forme de pommeau en T, faisant pendant à la forme de la garde. Sur ce panel d'armes suisses, à gauche.

On en vient, bien évidemment, au maniement de l'arme. Vous commencez à avoir l'habitude ici.
L'un des manuels qui mentionne expressément l'outil : le Cgm.558, conservé à Munich (qui possède une grosse grosse collection de manuels d'arts martiaux).
Vous lisez vous même ! "Bassler"

Le CGM558, grossièrement, est un recueil de maison (un haussbuch, dit-on) qui compile des arts martiaux, de la cuisine, un texte de loi (le miroir des saxons), un traité de fauconnerie, un texte d'astronomie, ainsi que diverses chroniques, comme une de la ville de Zurich.

On peut même développer. Voici le titre : "Item, j’ai enseigné à combattre, avec courtoisie et vaillance, avec l’épée et la lance, à cheval et à pied. Maintenant, je vais enseigner à combattre avec le baselard par les mêmes techniques que celles de la lance ou de l’épée"

S'ensuivent une liste détaillée de descriptions techniques, dans l'ordre suivant :
le coup croisé (krucz how)
le changement à droite/à gauche (der wechsel/zur legen siten)
l'estoc par dessous/à gauche(der under/zur lengen siten stich)[...]

[...]
le coup de dessus à droite/gauche (Ober how/zur lengen siten)
le coup penché (schlims)
la poursuite à droite/gauche (Nachrais/zur legen siten)
se retirer/reculer (abzuhen)
frapper depuis la couronne (us der krön)
le coup bas à gauche (under how von der lengen siten)[...]

Bref, un joli petit panel de techniques, bien foutu, bien goupillé, bien ordonné.
Différent du chapitre suivant, qui dit traiter non plus du baselard, mais de la dague (tegen), le suivant disant clairement qu'il parle du petit couteau (kurzen messer).

Terminons par une petite traduction d'une technique de baselard, histoire de vous donner l'occasion d'essayer avec votre double décimètre au boulot.

"Donnez un coup de dessous depuis votre gauche. Passez votre main gauche autour de son bras armé, par dessous, et attrapez l'adversaire à l'intérieur. Serrez votre bras autour du sien afin de le désarmer. Vous pouvez alors alors glisser le couteau sur sa gorge, ou l'estoquer Etc"

Cela dit, c'est une manœuvre assez classique dans le maniement des armes courtes. Comme ici, selon un ouvrage italien début XVe. Avec des dagues qui piquent.

Si vous êtes intéressé, voici une transcription et traduction littérale du manuscrit

docs.google.com/file/d/0B5z61Z…

Le manuscrit en lui même

daten.digitale-sammlungen.de/0003/bsb000353…

Les photos de baselard sont des illustrations de l’œuvre de mon camarade @Fab_Bladesmith :

historicalbladesmith.com/post/833156052…

Si vous avez aimé l'histoire et la présentation de ce couteau suisse sans tire bouchon ni tourne-vis, n'hésitez pas à partager, c'est une science inutile donc indispensable.
Et abonnez-vous, tant qu'à faire.

Je laisserais le docteur @Hugorodru proposer une explication alternative au baselard :)