Le « trou de la sécu », ça n’existe pas !
(fil à dérouler)
A partir du graphique précédent, il faut poser deux questions :
1) Existe-t-il un besoin de financement de la sécurité sociale ?
👉Oui, tous les ans depuis 20 ans !
2) Existe-t-il un « trou de la sécu » ?
👉Non, c’est un construction politique.
Dire qu’il y a un besoin de financement de la sécurité sociale signifie, d’un point de vue comptable, qu’il y a pour une année donnée moins de recettes que de dépenses. L’éventuel besoin de financement est lié à l’évolution des dépenses ET des recettes.
Dire qu’il y a un « trou de la sécu » est c’est accepter une construction politique et médiatique qui induit une façon de problématiser les comptes la sécurité sociale et qui souffle une réponse politique naturalisée : le contrôle des dépenses.
Le « trou de la sécu » ce n’est pas un constatation statistique d’un problème objectif. C’est un agenda politique. Les mots et les chiffres sont en ordre de bataille pour convaincre d’une mauvaise gestion conduisant à des déficits et à un endettement prétendument insoutenable :
Les mots : dépense, déficit, dette, gaspillage, gabegie, opportunisme, fraude, mauvaise gestion, inefficacité, performance, efforts, lourdeur, etc.
Les chiffres : 44,4 milliards de déficit, 30 000 euros de dette publique à la naissance, dette publique supérieur à 100% du PIB, plus de 2 000 milliards d’euros de dette publique, 56% de dépense publique dans le PIB, etc.
Mais, comme l’explique Julien Duval, le « trou de la sécu » est un mythe. Une histoire que l’on raconte pour faire peur aux enfants. C’est une légende urbaine, comme la dame blanche, qui induit le « bon comportement » : ne prenez personne en autostop la nuit !
L’objectif de ce fil est de proposer 3 types d’argument qui permettent de démontrer la dimension mythique du « trou de la sécu » (il y en a d’autres, je ne cherche pas l’exhaustivité).
1)Si on avait fait une analyse coût/bénéfice en 1945, la sécu n’aurait jamais été créée.
L’argument habituel pour critiquer la sécurité sociale est de dire qu’elle coûte trop d’argent. Quel paradoxe ! On serait trop pauvres aujourd’hui pour financer la sécurité sociale alors qu’elle a été développée en 1945/6 dans un pays ruiné par la guerre ?
Au 1er juillet 1946, le nombre d’assurés passe de 14 à 20 millions, le montant des prestations est revalorisé, les conditions d’ouverture des droits deviennent plus généreuses (60h de travail au lieu de 60 jours), et il faudrait aujourd’hui faire payer le passage aux urgences ?
L’explication fondamentale de l’extension de la sécu et du pouvoir pris par les ouvriers dans les comités d’administration de la sécu est la résistance face à l’État et au capital – avant, pendant et après la guerre.
Il n’y a pas de consensus sur la sécu en 1945 et dès 1949 on trouve trace d’un débat sur l’utilité même de l’institution en raison de ce qu’on appelle pas encore le « trou de la sécu ». L’argumentaire critique contre l’institution est étrangement contemporain.
« Ce sont les complaisances de certains médecins, les accommodements de certains pharmaciens, c’est la feuille de soins qui est signée plusieurs fois au lieu d'une, c’est la mère d'un assuré à qui l'on ouvre un dossier en la faisant passer pour la conjointe,
ce sont aussi la multiplication des dossiers à l’approche des vacances ou au moment des grèves, avec l’absentéisme qui en résulte et les incidences néfastes sur la production,
ce sont les demandes de cures pour passer des vacances à peu de frais, les abus auxquels donnent lieu de simples rhumes [...]. », Jean Masson (PRS).
« si l'Union européenne [...] devenait une réalité, et si les barrières douanières tombaient, comment pourrions-nous aligner nos prix sur ceux de la concurrence étrangère, alors que les charges sociales chez nos voisins sont inférieures aux nôtres ? », Pierre André (PRL).
« sur le marché international, il ne suffit pas de se contempler il faut se comparer » Comment faire face à « des ouvriers japonais qui continuent à se nourrir d'un bol de riz comme leurs ancêtres ? », Paul Reynaud (RI).
Si les arguments sont déjà-là, le rapport de force n’est pas le même et les arguments sur l’inefficacité de la sécu ne font pas encore le poids. Plutôt que de réduire les droits, les députés, sous la pression populaire, augmentent régulièrement les cotisations !
Autrement dit, s’il y a un besoin de financement de la sécurité sociale, il est toujours possible de préférer l’amélioration de la couverture plutôt que la réduction des droits, l’augmentation des cotisations plutôt que la réduction des dépenses.
2)Les déficits ne sont pas liés à une mauvaise gestion mais aux crises du capitalisme et aux réponses qui y sont apportées.
Le résultat comptable de la sécu dépend des dépenses mais aussi des recettes. Or, la sécu est une institution pro-cyclique, lorsque l’économie va les comptes sont plutôt au vert, lorsque l’économie ne va pas les comptes sont plutôt au rouge. Pourquoi ?
Les ressources proviennent des cotisations sociales et de la CSG qui dépendent du niveau de l’emploi. En période de crise économique, l’augmentation du chômage implique une réduction des recettes. On peut alors regarder le graphique du début de fil d’un autre œil.
C’est ce que @ZemmourMichael a montré pour la dette covid-19. Alors que l’Etat aurait pu prendre la dette créée par ses décisions politiques à sa charge, il la transfère à la sécu. L’Etat aurait payé 1 milliards d’intérêt par an, la sécu en paiera 10 !
Non, en 2008, la sécu souffre de la crise économique dites des subprimes. C’est toujours la même chose :
-2002-03 : crise liée à l’éclatement de la bulle internet
-2008-2009 : crise des subprimes
-2020- ????: crise du covid-19
Est-ce un problème ? Non, c’est normal et bienvenu. Heureusement que la sécu est là pour atténuer les effets des crises économiques.
La question n’est donc pas tant celle du « trou de la sécu » mais celle des crises du capitalisme !
Non seulement ce sont les crises du capitalisme qui ébranlent la sécu mais aussi les réponses qui y sont apportées. En effet, depuis une trentaine d’années, le principal outil de lutte contre le chômage est l’exonération de cotisation sociale.
Marginale avant, le point de départ de la politique d’exonération de cotisations sociales est donnée par Balladur en 1993. Depuis l’ampleur de cette politique ne cesse de croitre – tous gouvernements confondus.
Le dernier exemple en date est le CICE inventé par François Hollande et pérennisé par Emmanuel Macron. Entre 2013 et 2017, le montant des exonérations uniquement à ce titre a représenté 100 Milliards d’euros.
Pourtant, la politique d’exonération des cotisations est un échec permanent. Le CICE aurait permis de créer 100 000 emplois en 5 ans. Soit, 100 000 € par poste créé. A titre de comparaison, le salaire annuel d’une infirmière en début de carrière est de 35 000€ brut…
La plupart des exonérations sont compensées par l’État qui verse à la sécu le manque à gagner. On pourrait se dire que cela n’impacte pas les comptes de la sécu. C’est en partie vrai mais c’est oublier deux choses :
a)L’État doit s’endetter pour financer les cotisations plus payées par les entreprises. Si aujourd’hui les taux d’intérêt sont faibles, cela n’a pas toujours été le cas, et on se rappelle l’époque où l’on s’inquiétait de la notation financière de la dette de la France.
b)L’État préfère une politique de l’emploi globalement inefficace au financement de la sécurité sociale. En 5 ans de CICE (100 milliards), l’État aurait pu payer la dette hospitalière (30 milliards) et investir dans l’hôpital public.
Dernière chose : plutôt que de planifier l’austérité budgétaire pour équilibre le mythique « trou de la sécu », l’État pourrait décider de lutter contre la fraude aux cotisations sociales (7 à 9 milliards) et contre la fraude fiscale (25 à 100 milliards).
3)La sécurité sociale est en pleine forme financière, même si la financiarisation de sa dette est extrêmement couteuse.
Si l’État a d’un côté affamé la sécu en jouant sur ses ressources, il a aussi trouvé une solution au problème qu’il a créé de déficit chronique en créant la CADES. Cette dernière a pour objectif d’amortir la dette sociale (dette de la sécurité sociale).
Or, d’après un rapport du CADTM : « La Cades [créée en 1996] a donc remboursé, fin 2011, 59,6Mds d’€ de capital en versant 38,3Mds d’€ d’intérêts et de commissions. C’est ce qu’on appelle une affaire très rentable mais pour qui ? ». cadtm.org/Que-faire-de-l…
Le refus d’augmenter les cotisations sociales, et même la volonté de les réduire, a conduit à un endettement extrêmement coûteux, au plus grand bénéfice des banques et des marchés financiers.
On observe alors une mécanique meurtrière pour la sécu : d’un côté, les crises du capitalisme réduisent les ressources et creusent les déficits qui s’accumulent en dette sociale, de l’autre côté, la sécu doit rembourser la dette à marche forcée quitte à approfondir l’austérité.
C’est ce que @ZemmourMichael a montré pour la dette covid-19. Alors que l’État aurait pu prendre la dette créée par ses décisions politiques à sa charge, il la transfère à la sécu. L’État aurait payé 1 milliards d’intérêt par an, la sécu en paiera 10 ! lemonde.fr/idees/article/…
Tout cela alors que la santé financière de l’institution est excellente: comme l’a montré H. Sterdyniak @atterres, en 2019, la sécu était bénéficiaire de 11,7 milliards et le déficit affiché (5 Mi) provient du remboursement à marche forcée de la dette. atterres.org/article/le-d%C…
Remboursement de la dette mise à part, la sécurité sociale était excédentaire depuis 2014 !
La dette de la sécu, en plus d’être créé par les crises du capitalisme, sert de justification à une austérité toujours plus glaçante.
Conclusion : le « trou de la sécu », ça n’existe pas !
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Pour la première fois depuis 1945, le PLFSS 2021 prévoit qu'en 2020 la part des cotisations sociales dans le financement de la sécurité sociale soit inférieur à 50% (48%). 1/4
C'est le résultat, depuis 1991, de la création de la CSG/CRDS et de la politique d'exonération des cotisations sociales, endossée par tous les gouvernements.
Tout cela au nom de l'emploi, alors que ces politiques n'ont jamais fait reculer le chômage (voir @buissonet)
3/4
Le gouvernement annonce un accord à 7,5 milliards pour le Ségur de la santé. Voici en quelques mots pourquoi on peut dire que cet accord relève de la logique de la médaille.
(Fil à dérouler)
Comment évaluer les 7,5 milliards ? C’est relatif : c’est beaucoup si on prend en compte les années de disette que connait l’hôpital depuis au moins le début des années 2000 ; c’est peu si on regarde l’état du système de santé.
Si le niveau des dépenses de santé (ONDAM) est toujours en augmentation, il augmente moins vite que l’augmentation des coûts (effet GVT, prix de consommables, etc.). Le budget augmente mais la capacité à produire baisse !
Comment défendre et étendre la sécurité sociale aujourd’hui ? En se rappelant qu’elle est issue de la lutte de classe, c’est-à-dire d’une lutte violente et illégale contre le capital et l’État.
Fil à dérouler à partir de mon article dans @SRContretemps
L’analyse historique de la sécurité sociale, de sa construction et de ses transformations, montre que c’est une institution politique issue de conflits non institutionnalisés.
Dire que la sécurité sociale est une institution politique signifie qu’elle met en jeu le pouvoir de décider de ce qu’il convient de faire. La sécu ce n’est pas qu’une question technique ou financière.
Depuis l’annonce du #déconfinement un débat occupe l’espace public : faut-il choisir entre l’économie et la santé ? Tout le piège repose sur la polysémie du mot économie.
Petit fil pour réfléchir.
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Que veut dire choisir entre l’économie et la santé ? Cela dépend de ce que l’on appelle économie. L’économie peut désigner une discipline scientifique (les sciences économiques) ou une sphère des activités humaines (l’économie française par exemple).
L’implicite de l’alternative économie versus santé est de choisir entre l’activité économique et la santé. Cette interprétation est problématique car la santé… est une activité économique. On se rend compte tout de suite que la réflexion n’ira pas très loin de ce côté-là…
A l’heure où face à la crise beaucoup souhaitent un renforcement de l’État dans l’économie, il est nécessaire de rappeler les deux origines contradictoires de la protection sociale en France : l’État et La Sociale .
Fil à dérouler ⬇️⬇️⬇️
Il faut opposer historiquement une approche de la protection sociale portée par l’État, où la protection est un instrument de la prédation, à une approche qualifiée de « La Sociale » dominée par un l’auto gouvernement des individus, notamment dans leur résistance à l’État.
L’État providence, dont Macron semble soudain se rappeler les vertus, est l’aboutissement de la guerre de masse moderne et les politiques sociales sont orientées vers les besoins de la guerre : populationnisme, enseignement, logement, santé, pensions retraite, invalidité, etc.).