[FIL] Guerres et #terrorisme, épisode 4. Le débat sur les causes du terrorisme se poursuit @lobs @BibliObs. Nous répondons à la tribune mobilisant "des études" pour faire croire à un lien de causalité entre interventions militaires et attentats terroristes nouvelobs.com/bibliobs/20201…
Rappel: le débat a été déclenché par cette tribune du 14/11 nouvelobs.com/idees/20201114… (ép. 1). Nous y avons répondu le 21 nouvelobs.com/idees/20201121… (ép. 2). Puis 2 chercheurs nous ont répondu le 26 nouvelobs.com/idees/20201126… (ép. 3). C’est à cette dernière tribune que nous répondons ici
1/ Passons sur les attaques ad hominem nous reprochant d’être tous "affiliés ou proche de l’Ecole militaire", ce qui est faux en plus d’être ignorant (l’EM est un lieu, pas un établissement), et nous comparant à G. W. Bush (reductio ad Bushum, sophisme de la mauvaise compagnie).
2/ Les auteurs citent 3 études dont 2 ont des données anciennes (1968-2001, 1970-2005), antérieures même à l’apparition du terrorisme djihadiste, ce que les auteurs semblent ignorer lorsqu’ils parlent de "tous les attentats d’inspiration islamiste depuis les années 1970" (sic).
La Global Terrorism Database qu’ils citent recense plus de 190 000 attaques terroristes dans le monde depuis 1970. On y trouve pêle-mêle l’IRA, les FARC, l’ETA, les Khmer rouge, le PKK, etc.
start.umd.edu/research-proje…
La base de données IMI utilisée par l’une des études citées compte comme "interventions" le coup d’Etat à Chypre, la guerre civile libanaise, une mission de l'ONU au Tadjikistan et l’envoi d’aide humanitaire au Pakistan après un tremblement de terre.
k-state.edu/polsci/interve…
On a du mal à comprendre comment des données aussi hétérogènes peuvent permettre de conclure quoi que ce soit de définitif sur le lien présumé entre nos interventions militaires et les attentats djihadistes qui nous frappent.
La 3e étude conduite par les auteurs eux-mêmes est plus ciblée puisqu’elle porte sur la période 2014-2016 mais, comme la tribune, elle fait appel à la notion de "loup solitaire", pourtant remise en cause dans la littérature spécialisée.
tandfonline.com/doi/full/10.10…
Elle est aussi biaisée puisqu’elle ne s’intéresse qu’aux attentats commis pendant l’intervention de la coalition en Irak/Syrie, excluant notamment l’attentat de Mehdi Nemmouche à Bruxelles (mai 2014) et ceux déjoués en France fin 2013 et début 2014 donc avant l’intervention.
Rien ne permet donc d’affirmer que "les statistiques" ou "les études" valident la thèse de la causalité interventionnisme>terrorisme. Ce ne sont pas "les" études mais certaines d’entre elles, choisies pour aller dans le sens désiré… et qui pourtant n’y parviennent pas.
Enfin, renvoyer les contre-exemples nombreux que nous citons (d’attentats non explicables par des interventions) au rang d’"anecdotes" (les victimes apprécieront), est tout aussi révélateur d’une démarche plus idéologique que scientifique…
… une démarche qui écarte d’emblée les faits qui ne valident pas le présupposé de départ voulant à tout prix que "nous" soyons responsables des attentats qui nous frappent.
3/ D’une manière générale, l’approche quantitative est limitée pour expliquer les attentats terroristes, parce qu’il s’agit d’événements par définition rares et idiosyncrasiques, dont il n’existe pas de définition indiscutable ;
- parce que les statistiques amalgament des théâtres, des contextes et des types d’interventions hétérogènes pour tenter d’en tirer des vérités universelles alors que nous parlions essentiellement du cas français, à ne pas confondre avec le cas américain, par exemple.
- parce qu’il faudrait pouvoir intégrer non seulement les attentats commis mais aussi les tentatives d’attentats et les attentats déjoués ; et bien sûr parce les études confondent corrélation et causalité, ce qui est un sophisme bien connu (cum hoc ergo propter hoc).
4/ Revenons au débat de fond. De la même manière que les auteurs de la première tribune ne disent pas qu’il y a toujours un lien entre interventions militaires et attentats terroristes, nous ne prétendons nullement qu’il n’y en a jamais.
Il s’agit d’un motif parmi d’autres, la violence djihadiste étant multifactorielle. Notre désaccord porte sur la question de savoir s’il s’agit d’un lien fort (causalité stricte) ou d’un lien "souvent indirect et ténu, et la plupart du temps opportuniste" comme nous l’écrivions.
Or, Daech donne tort à nos contradicteurs. Dans un article de 2016 au titre explicite ("Why we hate you and why we fight you") publié dans Dabiq (n°15), Daech hiérarchise 6 motifs, la politique étrangère (PE) à la fin, et écrit que "cette raison de vous haïr est secondaire".
En France, @LoBindner montre que la PE n’est que l’une des explications mobilisées par les djihadistes et qu’elle ne se réduit pas aux interventions mais inclut "surtout" la présence et l’influence, les relations avec les régimes locaux, le passé colonial.
icct.nl/publication/ji…
Ecarter cela et prétendre connaître les "vraies" motivations des terroristes, mieux qu’eux-mêmes, serait paternaliste. En même temps, ce serait cohérent avec la tendance, observée dès la première tribune, à nier l’agentivité des terroristes. Comme s’ils n’étaient pas autonomes.
Comme s’ils avaient besoin pour exister que nous leur fournissions des motifs (notre politique étrangère, sinon notre politique intérieure). N’est-ce pas cela l’arrogance occidentale : croire que les autres ne se déterminent que par rapport à nous ?
5/ La motivation de ceux qui défendent la thèse d’un lien fort est au fond l’anti-interventionnisme. La prescription sous-jacente de cette thèse est qu’il faudrait cesser d’intervenir, pour ne pas en subir les conséquences "à la maison". De là, 2 questions pour finir.
a) Pour peut-être réduire le risque terroriste chez nous, assume-t-on de laisser mourir les autres ailleurs, voire se commettre des génocides ? Fallait-il laisser Daech massacrer les Yézidis ? Combien de morts chez eux pour peut-être en éviter chez nous ?
b) La non-intervention ne peut-elle pas, précisément, accroître le risque terroriste ? Sans intervention au Sahel et au Levant, de puissants califats, en plus de massacrer les populations locales, disposeraient de moyens considérables pour commettre des attentats chez nous.
L’intervention militaire, jamais suffisante, peut se révéler nécessaire et, si elle a un coût et n’est pas sans conséquence, c’est aussi le cas de la non-intervention. "Ce n'est jamais la lutte entre le bien et le mal, disait Aron, c'est le préférable contre le détestable".

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8 Sep
[FIL] Régulièrement, comme hier dans Mediapart, on tente de créer un "débat" sur les #drones armés en France. Si ça ne prend jamais, ce n’est pas parce qu’il est "confisqué", mais parce qu’il repose sur au moins quatre prémisses erronées. mediapart.fr/journal/intern…
1) D’abord, la prémisse que, si les Français ne se révoltent pas, c'est simplement parce qu'ils ne savent pas. En 2013 déjà, Grégoire Chamayou s’étonnait que la décision française d’acheter des drones américains n’ait pas "déclenché un tollé".
telerama.fr/monde/un-drone…
Il faut dire que, pour lui, acheter des drones américains était comparable à "importer en France les méthodes de torture de la CIA". D’où sa surprise. Et la seule explication qu’il y trouvait était que "l'opinion publique française est mal informée sur la question des drones".
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18 Mar
[FIL] Le risque d’une pandémie avait bien été anticipé, parfois très précisément, par les prospectivistes des 15 dernières années, alertés par l’épidémie de SRAS (2002-3).
1/ En 2004, le National Intelligence Council (NIC) américain anticipe qu’en 2020 seules deux choses pourraient stopper la globalisation (et non pas seulement la ralentir) : une guerre mondiale ou une pandémie.
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2 Jan
[FIL] Quelques commentaires sur cet excellent papier de @piosmo qui pose les bonnes questions : "jusqu’où la bascule doit-elle aller ? Le contraire de l’ingérence est-il la froide indifférence ?". lemonde.fr/idees/article/…
1/ Je ne pense pas qu’@EmmanuelMacron partage avec le président russe une vision selon laquelle "la question des valeurs s’efface au profit de la souveraineté". Ce qu’il dénonce est d’avoir voulu "imposer" nos valeurs, pas de les avoir tout court ou de les défendre.
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28 Dec 19
[FIL] Utiles rappels de @GerardAraud sur la #Libye (2011) dans son livre (p. 232-7). 1/ La résolution 1973 du CSNU autorisant l’intervention a bénéficié du soutien de la Ligue arabe via le Liban, prouvant au passage "que l’affaire n’était pas un ‘complot occidental’".
Elle a aussi bénéficié du ressentiment que Kadhafi suscitait en Afrique où "il n’y avait pas un Etat qui n’ait eu à déplorer ses ingérences", et du contexte des Printemps arabes faisant "qu’aucun pays ne voulait se retrouver du mauvais côté, celui des dictateurs en fuite".
2/ La proposition franco-britannique initiale ne demandait pas de "recourir à tous les moyens nécessaires". C’est la volte-face américaine qui a rendu le texte plus robuste, Washington ayant conditionné son soutien à la non-ambiguïté sur l’autorisation de recours à la force.
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20 Dec 19
[FIL] Pourquoi est-il important de ne pas laisser dire qu’après (seulement) "les Etats-Unis, le Royaume-Uni et Israël" la France avait armé ses drones ? Pas seulement parce que c’est faux. Le problème n’est pas de savoir si la France est le 4e, le 16e ou le 35e Etat à le faire.
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Ce faisant, on oublie qu’une quinzaine d’Etats ont des drones armés, et parmi eux des pays arabes, africains, asiatiques, qui bien souvent achètent des drones chinois. L’armement du drone est un phénomène global et la Chine est le premier "proliférateur". nationalinterest.org/blog/buzz/real…
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25 Oct 19
[FIL] Merci à @m_debos pour sa contribution à un débat important sur les War Studies. J’y vois toutefois une série de confusions, voire un sophisme dit de l’épouvantail puisque la position que vous réfutez n’est pas celle que j’ai défendue.
1/ Parler d’un "retard français" des études sur la guerre n’est pas dire qu’il n’y a pas, en France, des travaux nombreux, importants, reconnus sur ce sujet, a fortiori sur des concepts plus larges tels que "conflits" et "violence". Evidemment qu'il y en a, et depuis longtemps.
C’est dire que ces travaux ne constituent pas un ensemble disciplinaire reconnu : c’est un fait objectif qu’il n’y a pas, en France, de département de War Studies (WS), délivrant des diplômes de WS, produisant des docteurs en WS, comme ça se fait ailleurs (idem pour les RI).
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