Jeune JI à l'époque, je l'avais rencontré quand il était venu dans mon bureau, j'avais chargé sa brigade d'une commission rogatoire dans une affaire de cambriolages en série. La trentaine, le regard pétillant, un humour dévastateur. Je le revois me donnant du "Mme le juge" à
chaque phrase, un ton empreint de respect mais aussi d'un soupçon d'irréverence.
On est vite devenu amis, rien de plus mais rien de moins non plus.
A travers lui, j'ai découvert l'envers du décors, la vie d'un gendarme OPJ. Ce qu'il se passait une fois que j'avais envoyé ma CR.
Je programmais une interpellation, pour moi une date d'interrogatoire dans mon agenda, pour lui une opération pouvant mal tourner.
Je demandais une surveillance dans un dossier de stup, pour moi l'espoir d'obtenir des preuves, pour lui le stress de se faire repérer.
Il me racontait ses découvertes de cadavres, pour nous un coup de fil dans la nuit, pour lui des images qui allaient le hanter pendant des semaines.
Grâce à lui, j'ai pris la mesure du travail des policiers et gendarmes. Des risques qu'ils prennent chaque jour dans leur métier,
pour me permettre de faire le mien, et pour protéger tout le monde d'une manière générale.
A travers ses yeux, sa douleur, j'ai vécu ce que les PV me racontaient. Moi j'étais au chaud dans mon bureau pendant que lui était dehors à risquer sa peau, en première ligne face aux fous.
Au bout de 2 ans, il est parti, il avait demandé à rejoindre une plus grosse boutique.
Il avait gravi quelques échelons.
On s'était un peu perdu de vue.
J'ai reçu des nouvelles au hasard d'une réunion avec d'autres enquêteurs, j'étais passée au Parquet entre temps.
Il était intervenu sur une interpellation, dans le cadre d'une affaire de stupéfiants.
Il est mort dans la course-poursuite qui avait suivi.
Je me revois chanceler un peu et quitter la pièce sans un mot, pour aller aux toilettes pleurer toutes les larmes de mon corps.
Le drame d'hier a fait remonter tout cela, m'a rappelé une fois encore que les gendarmes, les policiers exercent l'un des métiers les plus durs et les plus beaux qu'ils soient.
Qu'ils sont là pour nous protéger nous, au péril de leur vie.
Qu'il est facile de les juger, de les
critiquer, mais combien serions-nous à faire leur boulot ?
A être en première ligne, quand il s'agit d'enfoncer une porte sans savoir ce qu'il y a derrière ?
À affronter la violence et l'horreur des hommes ?
Et à risquer leur vie pour sauver celle d'inconnus ?
Ce soir je repense à mon ami, à tous ceux morts comme lui et surtout à tous les autres, toujours vivants.
Et je vous dis merci, du fond du cœur.
Vous faites l'un des métiers les plus nobles qui soient.
Vous êtes nos chevaliers.
Je pleure avec vous.
Je partage votre souffrance.
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Petit thread sur la comparution immédiate.
C'est une procédure qui devait à la base rester plutôt exceptionnelle = réservée aux affaires simples, dont l'enquête est terminée et dont les faits (notamment leur gravité) justifient une réponse immédiate.
Car la CI est une justice d'urgence = le suspect est immédiatement conduit au tribunal après sa garde-à-vue pour y être jugé le jour même (je simplifie et squeeze le JLD). Et s'il est condamné, il peut partir immédiatement en prison, quelque soit le quantum de la peine.
Pour comparer, la procédure classique de jugement devant un tribunal correctionnel, c'est : après avoir été entendu par les enquêteurs, le suspect reçoit une convocation à l'audience prévue quelques mois plus tard. Et le jour de l'audience, si peine de prison il y a, le principe
"donc vous vous êtes constitué partie civile pour la dégradation de votre rétroviseur, avez-vous chiffré votre préjudice ?"
"Oui je demande 30 000€ pour le préjudice moral et 150€ pour la franchise"
(véridique)
"Combien demandez vous pour votre préjudice Madame, suite aux coups reçus ?"
"Je ne sais pas, je vous laisse décider"
"C'est impossible"
"...."
[et de voir les avocats souffler gentiment un montant à ma pauvre partie civile]
Sinon nous cette semaine, c'était les AG du tribunal.
L'occasion de faire un point sur la situation en terme d'effectifs notamment.
Petit exposé explicatif, sachant que ce qui se passe dans mon TJ se passe dans la majorité des autres TJ.
L'état des lieux = 4 postes vacants de magistrat, 6 postes de greffier.
C'est pas nouveau, c'était déjà le cas l'année dernière, mais ça s'est juste encore aggravé avec des départs en retraite non remplacés.
Depuis plusieurs années, pour pallier ces vacances de poste, on déshabille Pierre pour habiller Paul = on retire tel greffier /magistrat de tel service qui allait pas trop mal pour les affecter à un service qui était en train de couler.
Pourquoi filmer et diffuser les audiences est une très mauvaise idée ?
Déjà, les audiences correctionnelles et la plupart des audiences civiles sont déjà publiques = tout le monde peut venir y assister, s'il pleut dehors et que vous savez pas quoi faire, vous pouvez rentrer.
1/19
Les journalistes sont les bienvenus et la PQR se fait un plaisir de raconter les comptes rendus d'audience dans ses pages.
Avec les noms des justiciables en fonction de la délicatesse du journaliste /des demandes des avocats.
2/19
L'argument de la publicité ne tient donc pas. Alors, oui, diffuser un procès facilite l'information = plus besoin de se déplacer, on peut regarder les audiences bien au chaud dans son canapé.
Mais pour un avantage de confort, combien d'inconvénients majeurs ?
3/19
La loi de mars 2020 a créé des nouvelles peines, telles le sursis probatoire.
Notre logiciel Ksiop n'est toujours pas à jour 6 mois + tard, ces nouvelles peines lui sont toujours inconnues, les greffiers s'arrachent les cheveux.
Suite..
Concrètement, le Tribunal prononce 6 mois sursis probatoire, le logiciel ne connaît pas cette peine et sort donc "6 mois ferme".
Pareil pour le mandat de dépôt à effet différé :
Suite..
Ce mandat doit être immédiatement signé par le président.
Sauf que Ksiop ne connaît pas non plus cette nouveauté, donc impossible de sortir la trame, le greffier doit à nouveau bidouiller une autre trame.
Que de temps de perdu et de risques d'erreurs !!!
Suite..
Sur la détention provisoire pour des infractions peu graves (comme crever des pneus) : ça m'est déjà arrivé de la requérir (et de l'obtenir) quand j'étais proc.
Je me souviens notamment d'une affaire de filouterie d'aliments (=partir d'un resto sans payer).
(suite)
Le type avait déjà été condamné pour ça plusieurs fois (amende, sursis, TIG..), sachant qu'avant, il y avait déjà eu des RAL, des CSS "préjudice peu important" etc..
Il recommence, je lui délivre une COPJ en plaider coupable.
Il recommence le soir même de sa sortie du commissariat, je suis sympa, la perm est chargée, nouvelle COPJ.
Deux jours après, rebelote, encore une filouterie, GAV, là je le fais deférer devant moi, je lui remonte les bretelles en lui disant que la prochaine fois, c'est la CI.