Salut Twitter ! Aujourd'hui, je vais vous raconter comment on construit un article chez @arretsurimages sur un sujet sensible, en l'occurrence l'agriculture et les produits phyto, à partir d'un cas emblématique. Comme d'hab' je vais faire court (non).
Mardi matin, lorsque je vois passer la 658e baston entre les protagonistes habituels. Le fait que ça se focalise autour d'un pourcentage, repris tel quel sans contexte dans les médias, attise ma curiosité. Je le propose en conférence de rédaction : validé. arretsurimages.net/articles/linfo…
À ce stade, je me fiche assez profondément de qui a raison : je n'ai pas de passion ou d'avis formé sur le sujet. Accessoirement, si la Fondation Hulot a effectivement raconté n'importe quoi, c'est mieux pour moi dans un cadre de critique médiatique.
Première étape, je vais aller voir ce qu'est ce fameux NODU qui soulève les passions. Bon, visiblement, au ministère de l'Agriculture, on n'aime pas expliquer les choses trop simplement... agriculture.gouv.fr/quest-ce-que-l…
Je comprends qu'il a pour but principal de suivre les objectifs du plan Ecophyto. Et qu'il est présenté *hors* substances réservées à l'agriculture biologique (excepté le cuivre, 3 % de la QSA) ou traitements de semences (néonicotinoïdes). agriculture.gouv.fr/le-plan-ecophy…
Bon, l'autre indice, maintenant : la QSA, antérieure au NODU, et manifestement préférée de certains milieux agricoles. Pas mal, les barres jaunes sont elles aussi hors produits utilisables en agriculture biologique. Tiens, 2018 et 2019 semblent étranges. agriculture.gouv.fr/ventes-de-prod…
J'approfondis : les années 2018 et 2019 sont en réalité très peu pertinentes en termes de ventes, ce qui concerne QSA et NODU : beaucoup d'achats anticipés en 2018 pour éviter des taxes, destockage et conditions agro très favorables en 2019. uipp.org/app/uploads/20…
Bon, dans le meilleur des cas, on a une stabilité de 2009 à 2017, au pire les fameux 25 % de hausse, *très* loin des obectifs d'Ecophyto. En février 2020, la Cour des Comptes ne disait pas autre chose, choisissant aussi d'évaluer le plan selon le NODU. ccomptes.fr/system/files/2…
Le seul bon point dans tout ça : la baisse d'au moins 15 % des substances les plus toxiques, notamment à cause d'interdictions d'usage, sur fond de montée en puissance des produits "bio" (non dénués de toxicité par ailleurs), pour certains utilisés en bio et en conventionnel.
Il est temps de retourner au rapport de la FNH : ils simplifient beaucoup le rapport de suivi Ecophyto, en ne quantifient pas la baisse des produits les plus toxiques, en ne précisant pas que la comparaison est de moyennes sur 3 ans (plus solide). fondation-nicolas-hulot.org/reduction-des-…
Mais la FNH renvoie à ses sources, référencées en fin de rapport. Il va me falloir des interlocuteurs capables d'éclairer les lecteurs quant à la pertinence du NODU, et aller poser des questions à la fondation Hulot, qui a obtenu + d'articles que le ministère en janvier 2020.
Deux interlocuteurs de la FNH plus tard, dont @Samuellere et l'autrice du rapport @CarolineFaraldo, j'en tire qu'ils sont excellents communiquants, et que ça les a conduit à (un peu trop) simplifier des pourcentages qui n'étaient pour eux qu'une intro (choc) de contextualisation.
Pour le NODU, il me faut quelqu'un qui estime que c'est scandaleux côté monde agricole (je vois que la FNSEA est contre) et un chercheur en agronomie (je vois que les chercheurs semblent plutôt unanimes pour le considérer comme plus pertinent que la QSA). cahiersagricultures.fr/articles/cagri…
Je pars du débat sur Twitter. Côté agri, je vise @GrainHedger de @Fragritwittos, qui me paraît représentatif. Il m'explique ce qu'il voit comme un biais majeur du NODU : sa sensibilité aux variations de quantité entre produits en cas de substitution.
Côté recherche, je croise les tweets de @PVincourt, ex-Inra, bon pedigree scientifique, qui a pris la peine d'une critique détaillée d'un aspect du NODU : la variation induite par les durcissements de réglementation, qu'il évalue autour de 5 %.
Mais l'Insee assure que les NODU annuels sont recalculés rétroactivement (je ne le découvre qu'après publication -> MàJ). Le chercheur infirme aussi l'argument du monde agri, le NODU vise à éviter l'écueil des substitutions, il le juge meilleur que la QSA. insee.fr/fr/statistique…
Avec @GrainHedger, on papote échec total du plan Ecophyto : il est d'accord, mais en désaccord avec les raisons de la fondation. Pour lui, ce n'est pas une question de financement, la solution passant forcément par de nouvelles variétés plus résistantes.
Lui comme le chercheur reprochent surtout aux médias d'avoir recopié sans distance, ni contexte, ni liens vers les sources de référence (ah, les règles SEO : voilà ce que ca engendre) ce 25 % si effrayant, ne permettant pas au lecteur de voir aussi "le verre à moitié plein".
Mais il semble difficile de reprocher à la FNH l'utilisation de l'indice de référence du plan Ecophyto afin de juger son échec global. Échec qu'on retrouve aussi (dans une mesure moindre) avec les QSA, ou dans le dernier bilan annuel du syndicat des producteurs de produits phyto.
Enfin bref, si vous voulez en savoir plus sur cet indice établi après des années de négo entre ministère, syndicats agricoles et assos environnementales, ou sur le volet plus médiatique, allez lire l'article (je vous ai dit de vous abonner ?). arretsurimages.net/articles/artic…
Et par souci d'exhaustivité, vous pouvez évidemment aussi lire celui d'Emmanuelle Ducros, en accès libre... on n'est pas du tout d'accord sur le fond, clairement. lopinion.fr/edition/econom…
Ainsi que celui de Géraldine Woessner, sur abonnement. J'espère que ce petit exposé de méthode journalistique était intéressant, au moins, vous savez pourquoi j'aboutis à d'autres conclusions que mes consoeurs... amp.lepoint.fr/2413294
Addendum : il est fascinant d'observer à quel point ce type de sujets soulève les passions et les intérêts. Je les suppose un peu lourds à porter à la longue pour les journalistes qui les traitent pendant des mois/années, quelles que soient leur opinions par ailleurs.
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"Une analyse du New York Times montre qu’il y a bien davantage de conflits d’intérêts potentiels au Renaudot qu’au sein des trois autres grands prix littéraires que sont le Goncourt, le Femina et le Médicis."
"Jamais de telles situations ne seraient tolérées pour des prix tels que le Booker Prize en Grande-Bretagne ou le Pulitzer en Amérique, dont la composition des jurys est renouvelée chaque année et où les jurés se récusent en cas de potentiel conflit d’intérêts."
"Se moquant de toute idée de changement, M. Beigbeder y voit un désir de “pureté” et de “perfection” venu des Etats-Unis. Mais en réalité, les appels à des réformes se multiplient aussi en France." Par @onishinyt et @ConstantMeheut.
Pourquoi il est impossible de prêter la moindre crédibilité à ce qui est publié chez @Quillette, et par extension aux traductions de ces articles publiées chez @LePoint : un thread où on va prendre un récent article en exemple, et en décomposer les sources les plus cruciales.
L'article, d'abord. @MBlackwell27 prétend y expliquer comment les militants #BlackLivesMatter se trompent sur les brutalités policières envers les Noirs et les minorités, études sérieuses à l'appui. Nous le verrons, les études, elles, sont sérieuses. quillette.com/2020/09/17/bla…
Objectif ? Exposer les biais des militants. "Si cela semble incroyable que le conformisme se manifeste en l'absence de preuves, le phénomène d'une croyance aussi scientifiquement infondée que massivement acceptée n'est guère nouveau", traduit Le Point. lepoint.fr/debats/racisme…
"Au cours de cette enquête, Rue89 Strasbourg a interrogé trois policiers strasbourgeois d’origine maghrébine. Chacun d’entre eux éprouve le sentiment de devoir redoubler d’efforts pour obtenir les mêmes notations que leurs collègues d’origine alsacienne."
"L’un se souvient de remarques sur son risque de radicalisation en lien avec l’islam. L’autre rapporte des références décomplexées au nazisme dans des boucles Whatsapp de policiers. [...] la @PoliceNat67 n’a pas donné suite, de même que le responsable syndical @alliancepolice 67"
"Pour commencer, "un rédacteur chef du média client repère un fait divers, un 'insolite' ou un crime sur un site web de la presse régionale." [...] Ensuite, en moins d’une heure, l’article d’origine est copié, recoupé, réécrit et publié."
"La maison mère de 6médias, Dioranews, fait partie de la Fédération française des agences de presse (FFAP), aux côtés de @afpfr et de @AP." Bref, une enquête nécessaire de @BressonVincent chez l'un des sous-traitants low cost des médias (notamment les matins, soirs et week-ends).
En février, Emmanuel Macron ne défendait pas encore une loi mais des mesures semblant mélanger indistinctement la lutte contre "l'économie souterraine" et "l'islamisme radical". Mais l'épidémie de Covid-19 a suspendu l'initiative... jusqu'à cet été, donc #autopromo
Les combats contre le crime organisé et le trafic de drogue ne me semblent pas faire débat outre mesure tant que ça se concentre sur les gros poissons. On en revient à ce fameux nombre de lieux fermés : pour quelle raison ont-ils subi des contrôles ? Extrémisme ou trafics ?
Prenons le ministère au mot : l'État a contrôlé plus de 200 kebabs et chichas car leurs propriétaires étaient de dangereux radicaux. La méthode "Al Capone" ne leur permet ni de s'en défendre au tribunal ni de solliciter la presse, soit les 2 seuls contre-pouvoirs disponibles.
Comment une modélisation préliminaire, sourcée prudemment par @afpfr, devient rapidement un fait avéré qui n'est plus revérifié par personne (dont l'AFP dans d'autres dépêches), jusqu'à figurer dans @Wikipedia fr/en. Deux exceptions : @SarahDadouch & @jdomerchet. #autopromo
Alors là, ça s'applique à un élément factuel relativement mineur, certes, mais le phénomène médiatico-journalistique est assez commun pour mériter article. Parce que ça se produit régulièrement, de la #PHR/#PQR aux dépêches en passant par les reportages et enquêtes au long cours.
Deux solutions possibles : la meilleure est bien sûr de tout revérifier au moindre doute avant publication, et/ou de rectifier systématiquement ensuite (MàJ web, erratum papier). Mais ça exige de gros moyens, hommage aux légendaires fact-checkers du @NewYorker.