L'auditeur de justice, futur magistrat, fait pendant sa formation un stage en établissement pénitentiaire. 15 jours. Moi ça a été à la maison d'arrêt de l'Elsau, à Strasbourg. On porte un uniforme de surveillant, les chaussures aussi, qui font mal au pied...
Je ne sais pas si l'Elsau est mieux ou pire qu'ailleurs... Mais je me souviens ce sentiment d'oppression en détention. Le bruit des clés, incessant. Passer 1 porte, attendre qu'elle soit sécurisée, ouvrir la suivante. Le bruit permanent de toute façon, les cris.
La saleté des lieux, le sol jonché de déchets en bas des fenêtres. L'odeur d'humidité et des corps sales ; à l'époque (ça a peut-être changé) un détenu pouvait prendre 2 douches par semaine...Je me souviens la promiscuité, l'entassement à plusieurs par cellule.
Les toilettes sans séparation du reste de la cellule. Une heure de promenade par jour, peu d'activités, peu d'accès aux soins. L'obstacle de la langue pour certains détenus étrangers. D'autre déclarés aptes à la détention mais souffrant manifestement de troubles psychiques.
Les trafics. Les violences. La solitude. La tension permanente... ce sentiment de soulagement quand le soir je franchissais la dernière porte entre le dedans et le dehors.
Je suis parquetier, la détention n'est pas 1 tabou pour moi, et j'estime que certains faits et certains profils méritent une privation de liberté. Les crédits de réduction de peine visent à amoindrir la tension en détention en brandissant devant les condamnés une carotte...
Sortir plus tôt si on se tient tranquilles. Pour ceux qui font plus que se tenir tranquille, soins, scolarité, formation, indemnisation de la victime?.. Réductions supplémentaires de peine, sous le contrôle du JAP.
Je n'en peux plus des messages contradictoires : hier libérations sous contrainte à gogo, avec sorties anticipées même sans projet... Et aujourd'hui, suppression des crédits de réduction de peine?.. Ça n'a pas de sens. Le parcours carcéral d'un condamné doit avoir 1 sens...
Le travail du SPIP, du JAP doit avoir un sens. Ce sens ne doit pas être dicté par l'envie de faire plaisir à l'électorat, qui souvent ne connaît ni sa justice, ni ses prisons.
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1 morceau de ma vie de juge d'instruction : ce soir la nuit tombe, je viens d'apprendre une mauvaise nouvelle sur le plan perso. Je pleure au volant mais même si j'ai juste envie de rentrer chez moi & me rouler en boule, il n'en est pas question : c'est jour de reconstitution.
Une reconstitution à l'instruction ça se programme des semaines voire des mois à l'avance : en l'espèce, les faits se sont déroulés sur la voie publique dans un quartier dit mal fréquenté et les policiers ont donc mis en place une importante sécurisation des lieux.
Donc, en forme ou pas, j'ai prévu mon combo baggy-baskets de reconstit', je serre les dents, & go. Les yeux humides et le liner qui a coulé n'échappent pas au directeur d'enquête qui me connaît bien...1 main sur l'épaule, "ça va?..", je hoche la tête, je souris...Show must go on.
Cabinet d'instruction, je reçois aujourd'hui Joseph. Joseph et moi, on ne s'entend pas. Je l'énerve. Il est détenu provisoire depuis quelques semaines & commence déjà à trouver le temps long...Pour ne pas l'énerver encore +, je me dispense de lui indiquer que ça risque de durer.
Joseph est mis en examen pour enlèvement et séquestration. J'ai été saisie suite à la découverte au domicile de Didier d'1 mare de sang au sol. 1 grande mare de sang. Et pas de Didier. Les gendarmes ont par contre retrouvé sa voiture, son téléphone, sa carte bleue.
Didier habite à la campagne, où serait-il allé à pied?.. Il est entrepreneur et ne quitte JAMAIS son téléphone. Ça ne sent pas bon, pas bon du tout...Le parquet s'est empressé de saisir un juge d'instruction ; bingo, je suis l'heureuse gagnante.
Un samedi de perm. C'est l'été, il est tôt, l'air a cette fraîcheur si agréable... Je chantonne en allant au commissariat où je suis conviée au traditionnel petit dej-debrief organisé quand c'est 1 OPJ avec qui je m'entends bien qui est d'astreinte... Quand soudain je la croise.
Elle sort du commissariat. Elle a 1 poignet bandé, le bras immobilisé contre le buste. Elle porte un débardeur & sans exagérer, les parties visibles de son corps, visage inclus, sont presque recouvertes de meurtrissures, d'ecchymoses, de blessures. Sa lèvre est fendue
elle a le nez enflé, un oeil au beurre noir. Les épaules basses, les yeux dans le vague, elle ne répond pas à mon "bonjour" timide... Le petit air joyeux que je fredonnais reste coincé dans ma gorge, plus du tout envie de chanter. Je rejoins l'OPJ et bien sûr il m'explique
Plusieurs personnes m'ont demandé après avoir lu mes thread comment 1 magistrat fait pour supporter la souffrance au quotidien. Pour beaucoup d'entre nous, ça se fait aisément, comme un médecin supporte la douleur et parfois la mort. On le doit, pour les justiciables, on le fait.
Par contre les années passant je supporte de moins en moins les injonctions à faire mieux, à faire plus, sans les moyens qui vont avec. Le gouvernement qui se "saisit du problème", crée une nouvelle incrimination, une nouvelle procédure, balance du recrutement gadget...
Marre d'être comptable avec le greffe, les enquêteurs, les éducateurs PJJ, les conseillers d'insertion et de probation des ratés d'1 machine alors qu'au quotidien on HURLE qu'il lui manque des rouages. La réponse ? "Mettez de l'huile". Et ben scoop, la machine marche mal.
Elle est petite & emmitouflée dans son grand manteau violet Carole, là, sur le banc des parties civiles pas loin de moi. C'est vrai qu'il fait froid dans la salle d'audience en cet après-midi de décembre. Comparution immédiate. Le fils de Carole joue dans la salle des pas perdus.
Surveillé par sa grand-mère, le petit Pierre, 5 ans, joue à sauter sur les grandes dalles en pierre du sol gris. Il n'a rien à faire dans 1 tribunal. Mais nous sommes là. Parce que Carole a 1 hématome violacé autour de son oeil. Que ce n'est pas la 1ère fois. Et que ça suffit.
Avant hier dans la soirée Carole a appelé les gendarmes, au 17. On a versé au dossier la bande son de l'appel. Carole appelle à l'aide & ce qui déchire le plus le coeur, ce ne sont même pas ses pleurs à elle mais la petite voix de son fils qui demande à son papa d'arrêter.
María s'avance à la barre de la cour d'assises. Je siège en tant qu'assesseur dans une affaire de meurtre, une affaire sordide. Ana est morte égorgée, sauvagement, par un homme à qui elle vendait son corps, Victor, pour quelques dizaines d'euros.
María a appris tout à la fois que sa mère avait perdu la vie & de quelle manière elle la gagnait. María est jeune, même pas 20 ans, & belle ; sur son visage on reconnaît les traits qu'on distinguait à grand peine sur les photos de la decouverte du cadavre supplicié d'Ana.
María ne parle pas français. Par le biais d'une interprète, la voix étranglée, elle raconte qu'Ana était une bonne maman. Elle s'occupait bien d'elle. Elle était venue en France parce que dans son pays, c'est la misère. María pensait qu'elle vendait des fruits et des légumes.