Thread by @SirYesSir29

Il y a quelques jours, j'ai appris le décès de mon tout premier proc. J'avais 27 ans quand j'ai été nommée substitut du procureur dans son tribunal. Je me souviens de ses yeux ronds quand il m'a vue débarquer avec mon style gothique & mes éclats de rire qui raisonnaient fort.

Je me souviens de son oeil malicieux quand la 1ère fois il m'a tendu le téléphone de permanence et l'énorme classeur qui allait avec, et qu'il il m'a dit que pendant sa 1ère perm, il avait eu une prise d'otages et 1 évasion en hélico à la maison d'arrêt.

J'ai dû faire de grands yeux ronds car il a explosé de rire, et il m'a rassurée en me disant qu'il avait très bien géré, et que je gérerais tout aussi bien, et que de toute manière, je pouvais l'appeler nuit et jour si besoin. Je l'ai appelé, bien sûr, nuit ET jour.

Je débarquais régulièrement dans son bureau, avec ma petite pile de procédures qui me paraissaient insurmontables à résoudre : il était toujours dispo, patient... Je laissais mes questions dans son bureau et je repartais avec des réponses.

Pendant les vacances il se glissait dans les bureaux des collègues qui avaient du mal à traiter leur courrier, et il repartait avec autant de piles de procédures qu'il pouvait en abattre, sans jamais en parler.

Il m'a confié mon 1er dossier d'assises, "Sir vous n'en ferez qu'une bouchée", on a debriefé la peine qu'il était opportun de requérir... Il est venu écouter mes réquisitions et après on a encore débriefé, son oeil malicieux encore, "aller vite pour un substitut c'est bien,

mais aux assises il faut prendre son temps, ne jamais montrer qu'on a hâte de se rasseoir!" C'était un parquetier de talent, d'1 éloquence rare, simple et direct, et il parlait au coeur du jury et des juges...

Il m'a donné confiance en moi, il m'a appris a dire quand je ne savais pas, et a demander de l'aide. J'ai compris grâce à lui, s'il m'était venu à l'esprit d'en douter, comme il ne fallait jamais abuser de notre parcelle de pouvoir, et que la noblesse du ministère public

c'était de ne pas sombrer dans la caricature. L'humour, l'humanité, l'humilité dont je pense qu'il faut toujours faire preuve pour ne pas s'effondrer dans l'exercice de mes fonctions et mériter le respect, c'est notamment lui qui m'en a montré la voie.

Il était a la retraite depuis quelques années, je suis triste du départ de ce grand homme, et d'imaginer que plus personne n'entendra sa voix un peu bourrue, ses coups de gueule, son rire tonitruant.
Au revoir monsieur le procureur.
Et MERCI.