Je suis très jeune et sur mon premier poste quand je suis contactée sur la permanence pour Léane, 6 ans. Sa maman, Betty, l'a amenée à la gendarmerie, un peu paniquée... Sa fille lui a fait des confidences pendant qu'elle lui faisait sa toilette, et elle est inquiète.
Léane lui a dit que son papa l'avait touchée. Betty explique être séparée du père de l'enfant depuis plusieurs années. C'est lui qui est parti, il a rencontré quelqu'un et il ne la prend pas souvent, un week-end par mois peut-être ?..Elle est rentrée de chez lui hier soir.
Ce matin dans la salle de bains & alors qu'elle nettoyait Léane avec un gant de toilette, la petite lui a dit que son papa l'avait touchée et lui avait fait mal. Betty a tout de suite eu peur, elle a vécu des choses très douloureuses dans sa famille... Et ça fait écho chez elle.
Les gendarmes tentent de la rassurer et me contactent sur la perm : je prescris un examen médical de l'enfant & une audition Mélanie, c'est-à-dire selon une procédure particulièrement adaptée aux mineurs, pour ne pas les stresser, ou en tout cas le moins possible.
2 jours après, bilan : Léane décrit avec ses mots d'enfants des attouchements au niveau du sexe. Le médecin a relevé des rougeurs dans cette zone, ce qui ne vient ni infirmer, ni confirmer ses déclarations. Les gendarmes vont commencer leur enquête.
Ils entendent des proches de Léane et de sa maman pour vérifier que l'enfant n'a pas récemment changé de comportement, donc audition de la nounou et de l'équipe scolaire : rien a signaler, Léane est éveillée, joyeuse, une petite fille parfaitement équilibrée.
Les témoins décrivent une situation conflictuelle entre Betty et Bastien, mais sans incidents majeurs, juste des difficultés à se parler, se comprendre, mais sans s'étendre là dessus auprès des tiers... Les gendarmes vont aussi faire l'environnement du mis en cause
en auditionnant des membres de son entourage. Betty l'a de toute façon déjà prévenu qu'il ne pourrait pas exercer son droit de visite le temps de l'enquête, donc il n'y aura aucun effet de surprise lorsque Bastien sera entendu... Ses parents, ses amis proches, sa soeur,
sa nouvelle compagne... Tout le monde est convoqué à la gendarmerie. Il ressort des auditions que personne n'imagine Bastien commettre de tels actes... De l'avis unanime, c'est impossible. Ces affirmations là n'ont que peu d'influence : pour des raisons évidentes,
il est rare qu'un agresseur sexuel soit perçu comme tel par son entourage. En revanche les proches de Bastien expliquent que Betty a très mal vécu la séparation, son ex compagnon l'ayant quittée pour 1 autre femme, avec qui il est toujours, et qui vient d'annoncer sa grossesse.
Tout le monde décrit des rapports très tendus et affirment que depuis la rupture, Betty a beaucoup de mal a laisser de la place à Bastien dans la vie de leur fille. L'exercice des droits de visite est toujours sujet à disputes, divers prétextes sont invoqués pour les empêcher...
Tant et si bien que parfois, Bastien renonce, pour ne pas perturber Léane. Pourtant le père et la fille sont proches, il s'occupe beaucoup d'elle, il l'emmène dans la famille... La petite a été ravie d'apprendre qu'elle allait avoir 1 petit frère ou 1 petite soeur.
Bastien finit par être placé en garde-à-vue. Les gendarmes n'ont comme indices que les déclarations de Léane, ces rougeurs pas discriminantes, et les conclusions de l'expertise psychologique réalisées entre temps... L'enfant a répété la même chose à l'expert. Les mêmes mots.
L'expert dit n'avoir pas de raison de douter de la parole de Léane mais attire l'attention sur l'influence du conflit parental sur elle.
Bastien nie, avec force. Dans toutes ses auditions il affirme n'avoir JAMAIS eu de geste de nature sexuelle ni même sujet a interprétation
sur sa fille, jamais. Il n'a pas remarqué de rougeurs sur la zone intime de sa fille et pour tout ce qui relève de ce genre de problèmes, il en aurait parlé à sa compagne. Il est persuadé que Betty est à l'origine de tout ça, pour l'évincer de la vie de leur fille...
Depuis le début, c'est ce qu'elle cherche. Ce type d'arguments est commun en cas d'accusations de cette nature dans un contexte de séparation, mais impossible d'en tirer la moindre conclusion, ni dans un sens, ni dans l'autre. Ce que je sais c'est que Léane accuse son père
en quelques phrases & sans détails ce qui est normal vu son âge, & que Bastien nie. Je fais lever sa garde-à-vue & me fais transmettre le dossier pour étude...Je le lis, le relis... Et je le classe sans suite. Il n'y a pas d'éléments suffisamment clairs pour justifier 1 procès.
Je pense cette affaire terminée et je n'y songe plus vraiment quand je reçois une lettre de la nounou de Léane. La démarche est particulière et elle s'excuse par avance car elle s'inquiète peut-être pour rien... Mais elle indique qu'alors qu'elle l'aidait à se rincer
après être allées à la piscine, Léane lui a dit que maman l'avait frottée fort, fort, avant d'aller chez les gendarmes... Et elle montre son sexe. La nounou est étonnée, cherche à poser des questions sans induire les réponses, & comprend que maman a dit ce qu'il fallait dire...
Depuis ça la travaille, ça l'intrigue, et elle voulait me le signaler. Je reprends le dossier car moi aussi ces mots m'interrogent... La nounou est entendue par les gendarmes et répète, Léane lui a mimé un frottement en disant "fort fort" là ou le légiste avait relevé une rougeur
et a laissé entendre que sa maman lui avait dit ce qu'il fallait raconter sur papa aux gendarmes. L'enquête ne permettra pas d'aller plus loin : Léane ne réitère pas ces propos devant les enquêteurs, et ne parle plus de son père, ni de sa mère... Betty évidemment conteste
avoir monté cette affaire de toutes pièces mais je nourris de très forts doutes... Je finis par saisir le juge des enfants pour limiter les conséquences sur Léane du conflit entre ses parents...
Je penserai très longtemps à cette petite et à mon sentiment d'être incapable
de discerner le vrai du faux et de pouvoir la protéger comme je le voulais...
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Audience correctionnelle, comparution immédiate. Jordan, l'1 des prévenus, est jeune, à peine 21 ans, et sous curatelle, à cause d'un retard mental léger. Il s'exprime avec un défaut de prononciation très marqué, et bute sur les mots. Il touche des aides, que son curateur gère.
Une fois toutes les charges payées, il ne reste pas grand chose pour les loisirs de Jordan, qui ne cesse de réclamer en vain des rallonges... Il voudrait profiter de la vie comme tous les jeunes de son âge mais son curateur nous l'a expliqué : ses troubles le rendent influençable
et il a le chic pour se faire des "amis" qui profitent de lui, squattent son appart, pillent son frigo, et dilapident ses maigres économies en sorties et achats futiles. Par conséquent, les cordons de la bourse sont tenus bien serrés... Ce qui n'arrange pas Jordan.
ATTENTION HISTOIRE TRISTE
Jeune substitut, je remplace aujourd'hui 1 collègue, en vacances, sur 1 reconstitution criminelle. Histoire de ne pas avoir l'air d'1 plante verte & de pouvoir poser des questions pertinentes si besoin, j'ai travaillé le dossier, pour être au point.
Ma collègue m'avait prévenue, cette procédure est terrible, et elle avait raison. Léa a 1 petite trentaine, elle ne travaille pas, elle a 1 petit Dylan de 4 ans environ, 1 garçonnet adorable, métis, qu'elle élève seule. Le papa? 1 courant d'air, vite parti sans laisser d'adresse
quand il a su qu'elle était enceinte. Elle galère Léa, elle a eu 1 parcours heurté, n'a plus de liens avec sa famille... Dylan est 1 petit garçon adorable, et au dossier on a des photos d'un ange qui rit toujours aux éclats. Il rit mais il ne parle pas du tout.
Manuela attend son tour sur le banc des prévenus. Son legging bariolé, ses grosses baskets, ses cheveux décolorés relevés en chignon lâche et sa moue boudeuse... Elle ne change pas vraiment. Ça fait des années que je la connais, et des années qu'elle se retrouve sur ce banc.
Je suis une toute jeune substitut en charge des mineurs quand je rencontre Manuela, 15 ans à peu près. Un profil fracassé comme les juges des enfants en voient défiler tant. Un père courant d'air, parti depuis longtemps. Une mère polytoxicomane et peinant à gérer le quotidien.
Les enfants ont toujours connu le défilé des travailleurs sociaux et de temps en temps les placements quand Maman était dans une période "sans"... Les aînés de Manuela ont quitté la maison très tôt et à présent, la grande, c'est elle. La vie à la maison est dure à supporter.
Audience correctionnelle, comparution immédiate. Amir, prévenu, est mécontent. Il a le sentiment que le procureur (votre serviteur) & le tribunal se moquent de lui, & il le fait bruyamment savoir, l'avocat de permanence chargé de le défendre se faisant pour sa part tout petit.
Amir a été interpellé il y a 4 jours. Les gendarmes l'ont arrêté alors qu'il quittait le domicile de son ex compagne, mère de ses enfants, où 1 discussion houleuse venait d'avoir lieu. Comme souvent, il s'est énervé, a cassé des objets & a menacé son ex de tout 1 tas de misères.
L'objet de la discorde? Officiellement, les droits de visite d'Amir, qu'il entend exercer quand il le souhaite malgré 1 jugement JAF très clair qui en fixe les modalités. Officieusement ? L'ex d'Amir refait sa vie & ça ne lui plaît pas DU TOUT. Il est donc venu, à l'improviste.
La pluie de SMS des environs de 6h fait plaisir ce matin. Je suis substitut et les 3 interpellations dans un dossier dont je dirige l'enquête depuis des semaines se sont bien passées. Cette procédure a nécessité beaucoup de travail, et mes enquêteurs sont éparpillés,
1 groupe à BORDEAUX, 1 à CRETEIL & 1 à LYON. Il y a environ 2 mois, Anthony, Jérôme et Julien sont venus sur mon ressort, pour de soi-disant vacances... Vacances qui en réalité avaient pour but, en + de passer du bon temps, de se faire de l'argent facile, sans risque.
Ils ont décidé de s'en prendre à des victimes qui n'oseraient pas se plaindre : des prostituées. Par le biais d'un site de rencontres qui permet de prendre RDV pour une relation tarifée, ils ont depuis 1 cyber café noué contact avec Ana, 1 prostituée étrangère.
Hervé se tient bien droit à la barre. Il est mal à l'aise. 56 ans, aucune mention au casier, rien ne le prédestinait à comparaître devant le Tribunal Correctionnel. Rien, jusqu'à ce soir-là, où il a tué un homme et son fils. Hervé est là pour homicide involontaire.
L'ambiance est pesante, comme souvent, comme toujours dans ce genre de dossiers. Sur le banc des parties civiles, Laura et sa fille Emma, se raccrochant l'une à l'autre comme depuis des mois, depuis ce soir-là où leur vie a explosé. Un samedi pluvieux, tard.
Christophe est allé chercher Matteo, son fils, chez ses parents où il a passé quelques jours. C'est un peu loin... Il a mangé chez eux puis a installé son petit dernier, bien sanglé, dans son réhausseur à l'arrière, où il s'est très rapidement endormi.