Thread by @SirYesSir29

ATTENTION HISTOIRE TRISTE
Jeune substitut, je remplace aujourd'hui 1 collègue, en vacances, sur 1 reconstitution criminelle. Histoire de ne pas avoir l'air d'1 plante verte & de pouvoir poser des questions pertinentes si besoin, j'ai travaillé le dossier, pour être au point.

Ma collègue m'avait prévenue, cette procédure est terrible, et elle avait raison. Léa a 1 petite trentaine, elle ne travaille pas, elle a 1 petit Dylan de 4 ans environ, 1 garçonnet adorable, métis, qu'elle élève seule. Le papa? 1 courant d'air, vite parti sans laisser d'adresse

quand il a su qu'elle était enceinte. Elle galère Léa, elle a eu 1 parcours heurté, n'a plus de liens avec sa famille... Dylan est 1 petit garçon adorable, et au dossier on a des photos d'un ange qui rit toujours aux éclats. Il rit mais il ne parle pas du tout.

Il souffre d'1 retard mental léger. Un diagnostic précis n'a jamais été posé, Léa n'étant pas encline à respecter les divers suivis susceptibles d'être mis en place... Les différents intervenants ont soupçonné un manque de stimulation de Dylan par sa maman.

Les services sociaux ont proposé de l'aide, mais Léa refuse: placée dans son enfance, son fils ne connaîtra pas le même sort.Dès que l'aide sociale à l'enfance insiste, elle déménage.En réalité la situation de Léa & Dylan ne fait pas envisager de placement, mais c'est sa hantise.

Léa aime son fils & veut lui donner une famille, et pour ça, elle lui cherche 1 papa...Mais un trentenaire fréquentable qui accepte un enfant qui n'est pas le sien, c'est compliqué, surtout que Dylan demande beaucoup d'attention, ça n'aide pas... Ca agace un peu Léa.

Il l'accapare, il lui prend tout son temps, c'est lourd à porter, elle est jeune & a sa vie à vivre... Un jour elle fait la connaissance de Thomas sur 1 site de rencontres.Pour lui c'est juste comme ça, une conquête, 1 passe temps, 1 fille de passage... Elle espère plus.

Ils ne se connaissent que depuis quelques semaines quand 1 jour, au petit matin, ils amènent Dylan, inconscient, à l'hôpital. Aux urgences l'équipe relève des explications incohérentes de la part du couple, elle dit l'avoir trouvé évanoui dans son lit, lui dans la salle de bains.

Des examens sont réalisés: l'état de Dylan est grave, il souffre d'1 hémorragie cérébrale importante. Il a 2 côtes cassées & des hématomes, peu visibles sur sa peau café au lait. Il s'enfonce. Quelqu'un de l'équipe médicale le prend en photo, c'est vrai qu'on voit peu de lésions.

Cette photo au dossier c'est la 1ère claque. Je suis incapable de l'expliquer... On dirait qu'il dort, mais c'est presque pire. Il est en fait en train de partir... Il décède moins de 24 heures après. Évidemment, l'hôpital a transmis 1 signalement à la permanence du parquet.

Très vite, Thomas & Léa sont placés en garde-à-vue. C'est lui qui en raconte le plus. Il a toujours trouvé Dylan encombrant, à pleurnicher. Il a découvert que le gosse était assez impressionnable et qu'une bonne gueulante et on ne l'entendait plus... Jusqu'à ce qu'il s'y habitue.

On est passés au stade supérieur... Les "corrections". Oh il dit ça d'1 ton détaché Thomas... En réalité il parle de gifles, fortes, coupant le souffle à Dylan, envoyé dans sa chambre. Le gardé-à-vue décrit la soirée de la veille de l'hospitalisation de l'enfant, froidement.

Il était malade & particulièrement pénible : alors qu'avec Léa ils avaient prévu 1 soirée apéro tranquille, il n'y en avait que pour lui. Ça a énervé Thomas. Léa aussi. Il y a eu une correction, puis 2... A la 3ème, Dylan suffoquait & était dans les vapes.

Ils l'ont mis dans la douche & arrosé d'eau froide, ça l'a réveillé d'1 coup, ça les a fait rire...La suite de la nuit, très arrosée, a été 1 suite de violences, de Thomas essentiellement mais selon lui de Léa aussi, sur Dylan épuisé qui réagissait à peine à la fin. 2ème claque.

Thomas ne comprend pas comment ils en ont arrivés là. Vraiment. Au matin le gamin était dans les vapes, Léa a paniqué et l'a réveillé, et ils sont allés à l'hôpital. "Et voilà". Il n'explique rien. Il n'émet pas de remords quand il apprend que Dylan est mort.

Léa pleure elle, mais ça sonne faux : ses explications sont confuses, elle n'a rien vu, puis n'a rien pu faire...Face aux déclarations de Thomas, qui ne la charge pas vraiment puisqu'il reconnaît être le principal auteur des violences, pas de réponse, juste des larmes...

A l'issue de leur garde-à-vue, Léa et Thomas sont mis en examen pour coups mortels aggravés, & incarcérés. Après avoir pris connaissance du dossier, j'avoue, je suis en colère. Écœurée, et en colère. J'appréhende cette reconstitution. Sur place, Thomas est déjà sur place. Fermé.

Il a appris que depuis le début de l'instruction Léa le charge, et manifestement ne compte pas se laisser faire. Elle arrive un peu plus tard et montre du chagrin de façon très démonstrative. Trop. Le juge la rappelle à l'ordre : on n'est pas au théâtre. Le ton est sec.

De fait, Léa en fait tellement qu'elle gêne tout le monde. Thomas rejoue sur 1 mannequin les gestes commis sur Dylan. Je détourne les yeux. Léa sanglote, fort. Décidé à rentre coup sur coup, il mime comme Léa a pris l'enfant par les cheveux et lui a cogné la tête... 3ème claque.

L'atmosphère est irrespirable dans le petit appart où on est entassés. Malgré la froideur de Thomas, son absence totale d'affects qui me glace,c'est elle qui crispe, qui dérange...Régulièrement, quelqu'un sort sur le balcon, pas pour profiter du soleil mais pour ne plus voir,

ne plus entendre, ne plus imaginer cet enfant supplicié à la place de ce mannequin.Quand Léa feint 1 malaise pour échapper aux questions du juge qui la dérangent avant de pleurnicher qu'on est "méchants avec elle", je surprends un regard de dégoût de la part de son propre avocat.

La reconstitution permet de se convaincre de 2 choses : elle n'a pas pu ne pas voir, ne pas entendre... Et elle ment. A son retour de vacances je résume la reconstit' à ma collègue, et je lui dis que je suis contente de ne pas monter aux assises. Je n'aime pas ce dossier.

Je n'aime pas cette colère sourde que je ressens, je n'arrive pas à voir autre chose que Dylan sur ce lit d'hôpital, et j'ai l'impression que cette image balaie tout. Les faits prennent toute la place, la personnalité des mis en examen s'efface...

Elle me répond que cette photo lui a valu quelques nuits perturbées, que les enquêteurs ont eu du mal à s'en remettre... Aux assises des mois plus tard, il n'y a qu'une association de protection de l'enfance sur le banc des parties civiles pour faire entendre la voix de Dylan.

Après une audience très tendue, Léa et Thomas sont condamnés, dos à dos, à la même peine.
Des années après, je me rappelle de cette photo, et je repense souvent à cet enfant qui riait tout le temps et qui ne parlait pas.