Thread by @SirYesSir29

Dans le quotidien d'1 parquetier, il y a des justiciables qu'on croise régulièrement, et c'est rarement pour le meilleur.
Michel est de ceux là.
Il a un gros casier, des conduites sous l'empire d'un état alcoolique, des outrages, des rébellions, condamnations prononcées

1 peu partout en France. Michel a connu 1 parcours d'errance, fait de précarité, de déménagements au gré de rencontres + ou moins hasardeuses, d'incarcérations suivies de transferts dans des régions lointaines...
C'est sa dernière condamnation qui va me faire connaître Michel.

Agression sexuelle sur mineure de 15 ans, 3 ans d'emprisonnement et 5 ans de suivis socio judiciaire. Michel a fait pas loin de 3 ans de prison, moins les réductions de peine. Il n'avait pas de projet de sortie permettant d'envisager 1 aménagement de sa peine,

il l'a donc purgée en détention, puis il a été libéré, sur mon ressort. C'est là qu'entre en jeu le suivi socio judiciaire, sorte de super probation devant permettre un contrôle serré et notamment des soins réguliers, sous la surveillance du juge d'application des peines.

C'est là que ça coince... Michel n'a aucune envie de se soigner. Il boit, beaucoup, depuis trop longtemps pour qu'il puisse même se souvenir à quel âge précis il a commencé...Et les médecins, parler, tout ça, très peu pour lui, merci bien. Il veut qu'on le laisse tranquille.

Le service pénitentiaire d'insertion et de probation a sermonné Michel : le suivi socio judiciaire (SSJ) n'est pas 1 option, c'est 1 peine, et il va y avoir des soucis s'il entend ne pas s'y soumettre. Michel, toujours plus ou moins embrumé, un peu têtu, a continué a ne pas aller

aux rendez-vous. Son conseiller d'insertion et de probation a averti le JAP. Recadrage ferme... Michel a vaguement dit qu'il allait faire un effort, mais il a continué a rater des rendez-vous avec son médecin, à ne faire aucune démarche pour lutter contre son addiction...

Elle est pourtant en lien avec TOUTES ses condamnations, y compris la plus grave : Michel s'en est pris à une petite fille de son entourage alors qu'il était, comme très souvent, très alcoolisé.
Le JAP perd patience, & en toute logique met à exécution 1 partie de la peine

encourue pour violation du SSJ, à hauteur de 2 mois. Michel va aller 2 mois en prison parce qu'1 peine pour violation de ce suivi, ça ne s'aménage pas le plus souvent.
Un matin les policiers vont chercher Michel et me l'amènent, parce qu'1 condamné qui part en prison rencontre

le procureur avant d'aller en maison d'arrêt.
Les enquêteurs m'ont prévenue : Michel est dans 1 triste, triste état. Il a été interpellé dans un état d'ébriété avancé, et a du dégriser de longues heures avant de m'être présenté.
Il a 62 ans et en paraît 15 de plus.

Il est sale. Sale?? Ce n'est même pas le mot. Michel s'assied, pardon s'écroule sur la chaise en face de moi, un petit bonhomme malingre, rougeaud, qui porte son addiction de façon visible... Ses vêtements sont raides de la crasse et des vomissures dans lesquelles il baignait

quand les policiers l'ont ramassé, au sol, assommé par sa cuite du jour. Très vite son odeur m'assaille et le coeur au bord des lèvres j'ouvre la fenêtre derrière moi, ce qu'on évite de faire en présence de prévenus ou de condamnés dont la destination est la détention...

L'escorte se met entre la fenêtre et Michel, qui me regarde d'1 air 1 peu absent. Je lui pose quelques questions, son état de santé. Il tout de détraqué Michel, le coeur, le foie, il a des médicaments mais il oublie... Des addictions? Il plaisante et croasse plus qu'il ne rit.

1 seule, l'alcool, tous les jours, & beaucoup. Des soins pour ça ? Mais naaan, ca fait pas loin de 50 ans qu'il consomme, c'est pas maintenant que...Michel se tait, fataliste."Mais ça vous ramène en détention là Monsieur?.." Il hausse les épaules. Ouais il loupe les rendez-vous,

parce qu'il oublie, parce qu'il dort, parce qu'il cuve... Et parce qu'il a pas envie. "Mais vous aviez bu quand vous avez fait du mal a cette gamine non?" Il hoche la tête, et hausse les épaules.
Michel se détruit, et ne voit pas ce qu'on vient faire là dedans.

Il me met en colère un peu, parce qu'il a fait du mal autour de lui et ne fait rien pour éviter que ça recommence ; il me fait de la peine, parce qu'il a manifestement perdu tout contrôle ; et je me sens mal de ça mais il me dégoûte, cette odeur, cette foutue odeur,

je dois être livide et je finis par abréger l'entretien que je finis en toute hate tellement je n'en peux plus... Je tends tous les documents nécessaires à la mise à l'écrou à l'escorte, un "bon courage" que j'adresse tant à Michel pour l'exécution de sa peine

qu'aux policiers qui vont s'enfermer dans 1 voiture avec lui... Et le voilà quittant mon bureau, les épaules basses, le pas traînant...
Je vais revoir Michel. Régulièrement.
Il ne justifie pas de son adresse, ce qui est obligatoire pour les condamnés inscrits

au fichier des délinquants sexuels, et ce tous les ans. Il est donc plusieurs fois condamné pour ça. En trop mauvaise santé pour faire un TIG, pas assez fortuné pour payer des amendes, rétif à tout suivi... La justice se heurte à l'inertie de Michel, sur qui tout glisse.

Il finit par écoper de nouvelles peines d'emprisonnement, qu'on essaye d'aménager, mais le bracelet ne marche pas, la semi liberté non plus... Le SSJ n'est toujours pas respecté, le JAP s'impatiente... Michel finit par retourner en détention, et multiplie les audiences,

les aller-retours dedans/dehors... C'est inutile, c'est rageant, mais tout le reste a été tenté.
Un matin d'hiver le commissariat m'appelle. Michel est en alerte FIJAIS. Encore. Et il a 3 mois d'emprisonnement à exécuter...Encore.
Ils vont aller chez lui le chercher..Je soupire.

C'est dans 1 sale état qu'ils trouvent Michel, à demi inconscient. Ça a l'air + grave que d'habitude, pire que son éthylisme habituel, hop à l'hôpital... Michel n'en ressortira jamais.
Son foie a décidé d'arrêter toute coopération avec son propriétaire... Il est en train de

le lâcher. Michel s'éteindra quelques jours plus tard, dans ce petit lit d'hôpital, seul.