Tribunal Correctionnel, comparution immédiate. 1 sensation de malaise plane tandis que le président interroge Vincent, poursuivi du chef de vol avec violences au préjudice d'1 vieille dame de + de 85 ans.
Il y a 4 jours, alors qu'Irene se promenait dans un parc avec son chien,
elle a vaguement perçu que quelqu'un arrivait très vite derrière elle et avant d'avoir le temps de réagir, elle a senti que quelqu'un lui arrachait sèchement le petit sac qu'elle portait en bandoulière. Oh elle n'a pas tenté de résister... Comment l'aurait-elle pu?..
Elle a été déséquilibrée par la secousse ; il faut dire qu'Irène a l'habitude de marcher lentement, précautionneusement, car avec l'âge, son pas est devenu hésitant et sa vue a faibli. Irène chute donc, et voit du coin de l'oeil son agresseur partir... Elle a lâché la laisse
de son petit chien, & c'est ça qui l'inquiète le plus, pas son sac, pas la douleur qui vient de lui vriller la cheville...Des promeneurs dans le parc se précipitent vers Irène et récupèrent son Yorkshire. La vieille dame pousse 1 cri de douleur lorsqu'elle tente de se relever...
On appelle les secours, elle est amenée à l'hôpital, et le diagnostic tombe rapidement : cheville cassée. Le commissariat, averti, requiert un médecin légiste : 45 jours d'ITT. Les policiers vont auditionner Irène, très choquée, à l'hôpital. Son fils est à son chevet.
Elle ne peut pas décrire avec précision son agresseur, ça a été trop vite : elle peut juste dire qu'il semblait jeune, qu'il portait une casquette et un pantalon rouge. Il n'a pas ralenti quand elle est tombée, il a décampé en courant... Elle ne peut rien dire de plus.
Les quelques témoins sont auditionnés, le signalement du suspect se précise... Il va très vite permettre aux policiers de remonter à lui en utilisant la carte bancaire de la victime, bien rangée dans son étui avec le code secret, qu'Irene oublie souvent, inscrit d'1 petite
écriture tremblante sur 1 morceau de papier plié en 4... Les enquêteurs n'ont qu'à se procurer les bandes de vidéo surveillance du distributeur automatique de billets où le suspect a retiré autant de liquide que possible pour identifier le voleur, bien connu de leur service.
Vincent a - de 25 ans.Ce n'est pas la 1ère fois que le commissariat a affaire à lui:il a à de multiples reprises été placé en garde-à-vue, notamment pour des vols (à l'arraché, souvent). Lorsque je suis avertie de l'identité du suspect, je demande au directeur d'enquête de caler
par avance un rendez-vous avec l'expert psychiatre, car la question de son discernement va se poser, comme à chaque nouvelle procédure le mettant en cause... Vincent est sous curatelle, ce qui rend l'expertise obligatoire. Surtout, il a des troubles psy graves. Il n'arrive
pas à se soigner correctement et se voit donc périodiquement administrer des médicaments par le biais de ce qu'on appelle des "injections retard" dont les effets durent plusieurs semaines, ce qui évite qu'il arrête son traitement. Quand il est soigné, il ne va pas très bien ;
quand ce n'est plus le cas, son état mental devient véritablement préoccupant. Dans tous les cas, Vincent est manifestement perturbé, et son état est visible, même pour un non initié en matière médicale. Ça le rend vulnérable, et il a d'ailleurs outre ses multiples visites
au tribunal correctionnel connu la cour d'assises depuis le banc des parties civiles, après des semaines de cauchemar où il a subi des faits de séquestration, d'extorsion avec arme & de viol, de tristes sires ayant décidé de s'approprier ses quelques centaines d'euros d'AAH
sans oublier de lui faire au passage très mal et très peur. Ces faits l'ont perturbé plus encore, et Vincent a continué de commettre des vols, des violences, des infractions à la législation sur les stupéfiants entre ses multiples hospitalisations.
Avant hier, comme d'habitude,
Vincent s'est laissé interpeller sans difficulté. On a retrouvé le sac d'Irène en perquisition, et il a immédiatement reconnu les faits.
La suite de sa garde-à-vue ressemble à toutes les autres auparavant : avant même toute audition, Vincent est présenté à 1 expert psychiatre...
Qui aboutit aux mêmes conclusions que toutes les fois précédentes. Vincent a des troubles psychiques graves, mais il comprend la différence entre le bien & le mal. Son discernement est altéré, mais il est accessible à la sanction pénale. Vincent peut donc être poursuivi, et jugé.
Les faits sont graves, parfaitement établis, commis en état de récidive légale... Le risque de réitération est important : ce n'est pas la 1ère fois que Vincent, qui ne travaille pas et est dans 1 grande précarité, commet des délits similaires. Je vais le poursuivre,
et en comparution immédiate. Je me procure des éléments en provenance de son dossier de curatelle, notamment 1 expertise psy assez fouillée... La garde-à-vue se passe sans problème particulier, Vincent reconnaît les faits d'1 voix monocorde, sans affect, sans exprimer de remords.
Lorsqu'il est déféré devant moi, la gêne m'envahit : il répond à mes questions son regard éteint perdu dans le vague, mollement avachi sur sa chaise...Quand je lui demande après lecture du chef de poursuite s'il comprend les faits reprochés il répond "la vieille" d'1 voix sourde
puis se tait,bouche entrouverte. Son conseil est tout aussi consterné que moi. Je sais déjà qu'à l'issue de l'audience Vincent ira grossir les rangs des détenus qu'on imagine + aisément hospitalisés en psychiatrie. Il a déjà bénéficié d'énormément d'alternatives à l'incarcération
& a déjà été condamné à des sursis avec obligation de soins, en réalité il est suivi dans ce cadre depuis des années non stop, & il se soigne : il reçoit ses injections retard, mais ça ne suffit pas à empêcher la commission de délits. Le seul moyen d'éviter de nouvelles victimes
est l'internement, que le psychiatre a en l'espèce écarté, ou la prison, même si cette perspective me révulse.
A l'audience Irène n'est pas là : son fils est venu avec 1 lettre de celle-ci qui n'est pas capable de se déplacer & demande 1 renvoi sur intérêts civils. Les débats
se concentrent donc sur Vincent, inerte, qui assiste plus à son procès qu'il y participe. Il répond aux questions du président sur les faits & sa situation par monosyllabes & à la question "avez vous quelque chose à ajouter?" il demande si son curateur, présent à l'audience,
peut aller lui acheter des cigarettes avant qu'il parte en prison.
Lorsque l'escorte lui passe les menottes pour l'y amener, je pense à ce que seront les prochains mois pour lui, entre isolement et hôpital psy, jusqu'à sa libération, et ses prochains passages à l'acte.
Je suis malheureusement tellement convaincue que je vais le revoir que je ne peux qu'espérer que la prochaine fois, il relève d'1 hospitalisation d'office.
C'est en traînant les pieds et après avoir 1 dernière fois réclamé des cigarettes que Vincent quitte la salle d'audience.

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8 Jul
Je suis juge d'instruction et je reçois un jeune homme suspecté de vol avec arme. Il a été mis en examen par mon prédécesseur, il y a bien longtemps déjà : d'abord incarcéré, il a ensuite été placé sous contrôle judiciaire. Les faits remontent à plus de 2 ans et demi maintenant.
J'ai pris connaissance de la procédure en détail et il me reste à interroger David, le seul mis en examen dans le dossier.
Il est soupçonné d'avoir volé un véhicule avec un comparse qui n'a pas été identifié. Ils se sont alors rendus dans une supérette, armés.
Là, cagoulés, gantés et respectivement munis d'1 pistolet et d'1 fusil à pompe, ils ont menacé le personnel présent afin de se faire remettre le contenu des tiroirs caisse. Les victimes n'étant pas assez rapides à leur goût, l'1 des malfaiteurs -portant le fusil- a tiré en l'air,
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13 Jun
Audience correctionnelle, il y a des années ; Audrey est appuyée sur la barre & lève 1 sourcil amusé. Sur le banc des parties civiles Alex, son compagnon, tassé sur lui-même, les yeux rivés au sol, l'air misérable. Audrey est poursuivie pour violences conjugales.
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30 May
Hilda regarde le tribunal d'un air hagard. Difficile de déterminer si elle ne comprend pas les questions du tribunal ou si elle feint de ne pas comprendre la manière dont le président cherche à la pousser dans ses derniers retranchements... Ayant lu le dossier, je penche
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23 May
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21 May
Substitut en charge des mineurs, je suis aujourd'hui présente dans le bureau de ma collègue juge des enfants, qui a souhaité ma présence. Elle reçoit aujourd'hui une famille que je connais déjà : le mois dernier, j'ai fait juger le père, Aziz, en comparution immédiate.
Il a été condamné à 3 ans d'emprisonnement, pour trafic de stup, cannabis, cocaïne. J'ai également poursuivi ses deux fils, 13 et 14 ans, devant le juge des enfants : ils servaient de rabatteurs et ramenaient de nouveaux clients, notamment mineurs, pour papa.
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14 May
Comparution immédiate ; je suis juge d'instruction et je siège aujourd'hui en tant qu'assesseur, comme une a deux fois par semaine. Le ressort où j'officie est marqué par une délinquance très forte, la Cour d'Assises est très chargée et ses délais sont très longs...
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Les juges d'instruction siègent souvent en compa : on sait pertinemment au vu de l'encombrement de nos cabinets, qui fonctionnent à flux tendu, que nos délais sont déjà très longs et qu'on est déjà au delà du nombre gérable de dossiers. On accepte donc, bon gré mal gré,
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