Thread by @SirYesSir29

Tribunal pour Enfants, les 5 prévenus sont alignés en rang d'oignons devant la barre, plus ou moins inquiets, plus ou moins bravaches. Cette audience vient clôturer plus de dix-huit mois de procédure et le tribunal a du pain sur la planche : plus de 40 infractions à juger,

de nombreuses victimes présentes dans la salle, et des parcours éducatifs pour le moins contrastés selon les mineurs concernés. L'affaire a commencé sur une de mes perm, ça tombe bien, je suis substitut en charge des mineurs. Des gendarmes me parlent d'une augmentation

des vols avec effraction sur leur secteur, avec toujours le même mode opératoire:1 fenêtre ou 1 baie vitrée est cassée à coups de pierre, la maison est intégralement fouillée avec soustraction des moyens de paiement, téléphone, tablette, bijoux... & du véhicule quand il y en a 1.

Ensuite, les moyens de paiement sont utilisés & le véhicule est retrouvé incendié. Les enquêteurs ont opéré des recoupements entre plusieurs faits de vols, escroqueries à l'aide de cartes bancaires volées, falsification de chèques, dégradations de véhicules par moyen dangereux...

Les différents dossiers sont regroupés et la Brigade des Recherches locale saisie ; en quelques semaines, les investigations avancent vite et s'orientent vers un duo de mineurs qui demeure sur mon ressort, que je ne connaissais pas jusque là, appelons les Thomas et Alexandre.

Thomas a 15 ans. Ses parents sont commerçants & ont bien réussi dans la vie, cumulant tous les signes extérieurs de succès ; c'est le petit dernier de la famille, il a des frères & soeurs qui travaillent. Il est dans 1 lycée privé où il cumule absences & incidents disciplinaires.

Alexandre a 16 ans. Il est fils unique, 1 père ingénieur souvent absent, une maman mère au foyer. Ses parents sont séparés et ne s'entendent pas. Il va au lycée, où sa scolarité se passe mal.
Aucun des deux suspects ne s'était jamais fait repérer défavorablement au niveau pénal.

Les faits sont en général commis à 3 ou 4 ; 3 autres mineurs sont identifiés comme y ayant pris part, mais de manière ponctuelle. Le temps de l'enquête, de nouveaux faits ont été commis, toujours de nuit, & générant un gros préjudice : 3 nouveaux véhicules ont été brûlés.

Il devient urgent de mettre 1 coup d'arrêt à leurs agissements & 1 matin, à 6 heures, les parents des suspects ont la mauvaise surprise de voir des gendarmes débarquer en nombre et perquisitionner leurs domiciles, découvrant un certain nombre d'objets provenant des vols.

Alexandre, Thomas & leurs comparses sont sortis du lit et placés en garde-à-vue. Les gendarmes les soupçonnent d'une quinzaine de cambriolages, de conduite sans permis, d'escroqueries et falsifications de chèques, d'incendies de plusieurs véhicules... 48 heures de garde-à-vue

pour interroger 5 suspects sur autant de faits, c'est peu...Le directeur d'enquête m'a fait 1 tableau qu'il met à jour après chaque audition avec les indices, les aveux/accusations des 1 & des autres... C'est laborieux mais on avance, on élimine les faits où les indices manquent.

Le surlendemain des interpellations, 6h30 du matin, j'ouvre le tribunal aux gendarmes qui escortent les prévenus et m'apportent la volumineuse procédure en vue de la présentation des mineurs devant le juge des enfants. Ils ont petite mine, et moi aussi :

j'ai passé la majeure partie de la nuit à enregistrer sur notre logiciel Cassiopée les suspects, les victimes, les multiples infractions commises... La journée va être longue, entre entretiens avec les avocats, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)...

Le soir venu, l'ensemble des mineurs est mis en examen & sous contrôle judiciaire. A cet âge-là & pour une 1ère rencontre avec l'autorité judiciaire, la détention n'est pas envisagée. Thomas & Alexandre sont placés dans des foyers, le cadre familial apparaissant insuffisamment

cadrant. Alexandre va parvenir, bon gré mal gré, à s'adapter au foyer, mais pas à gérer ce qui l'a poussé vers la délinquance, sa consommation massive de cannabis qu'il lui fallait financer. Il s'enferre dans un petit trafic de stupéfiants, peine à raccrocher à la scolarité...

Ses parents sont peu présents, trop occupés à régler leurs comptes & y consacrant d'ailleurs beaucoup d'énergie. Alexandre est 1 enjeu dans ce conflit : ses problèmes passent au second plan, le but étant surtout d'identifier qui du couple parental est responsable de cet échec.

Les choses sont plus compliquées encore pour Thomas. Il fait, les uns après les autres, exploser tous les placements. Le juge serre le cadre : centre éducatif renforcé, échec, centre éductif fermé, de même... Où qu'il se trouve, Thomas commet de nouvelles infractions, fugue...

Les défèrements se succèdent, Thomas n'entend rien : ses parents sont alors présents & manifestent à chaque fois de la colère & du mépris, désignant leur fils comme "le mauvais objet" de la famille, le canard boiteux. Pourtant, peu après, ils le couvrent de cadeaux...

Peut-être que Thomas a besoin de + que la simple satisfaction de tous ses besoins matériels ? Que ça ne suffit pas?..En tout cas les perspectices s'étrécissent à chaque nouvel échec & 1 jour, lasse & en l'absence de toute autre possibilité, je requiers son placement en détention.

Ses yeux sont secs & ses machoires serrées lorsqu'il part en maison d'arrêt, menottes aux poignets. Il a 16 ans : il restera détenu jusqu'à son procès.
Le jour de l'audience, les comparses de mon duo infernal font valoir que leur présence ici est 1 accident de parcours,

ce que tout semble démontrer. Le suivi par la PJJ s'est bien passé, la scolarité suit son cours, papa maman ont resserré les boulons...
C'est + compliqué pour Alexandre, qui ne fait pas le malin mais voit ses éducateurs décliner ses difficultés : les stup, toujours, les dettes

& les mauvaises fréquentations qui vont avec, la formation qui patine car c'est dur de se lever avec le cerveau perpétuellement embrumé...
Thomas est 1 boule de nerfs. Ses parents ne se sont pas déplacés, ayant annoncé avoir trop honte pour assister à ça. Il toise ses juges

& ne feint même pas d'être pétri de bonnes intentions. Il ne veut pas d'1 suivi, pas d'1 foyer, il ne veut rien en fait sauf qu'on lui foute la paix. Il n'a même pas le bon sens de paraître regretter les faits, même en entendant les victimes décrire les angoisses & désagréments

que les faits ont entraîné pour elles. L'adolescent, qui va sur ses 17 ans, ne semble avoir amorcé aucune réflexion, n'avoir pris aucun recul sur ses passages à l'acte et son parcours, et la PJJ elle-même se montre pessimiste.
Mes réquisitions sont sévères, évidemment,

au vu du nommbre de faits commis par des mineurs qui n'étaient en rien dans le besoin et qui ont témoigné d'une parfaite indifférence au sort d'autrui. J'ai bien sûr la dent particulièrement dure envers Thomas, qui n'a pas progressé d'un iota depuis les faits.

Mes réquisitions sont globalement suivies, le tribunal pour enfants minorant simplement les quantums réclamés : les co auteurs de Thomas et Alexandre écopent de peines de travail d'intérêt génral. Quant à mes 2 larrons, ils sont condamnés à 1 peine mixte, avec une partie ferme

et une partie assortie d'une sursis avec mise à l'épreuve avec obligation de se former ou se scolariser pour tous les deux, de se soigner pour Alexandre. Ce dernier verra la peine ferme de sa peine aménagée ; Thomas, lui, reste purger la sienne en détention.