L'audience a repris. Une avocate de parties civiles indique que nombre de ses clients se sont sentis frustrés de n'avoir pas pu entendre la diffusion de l'enregistrement du Bataclan hier.
"On voudrais savoir si on pourrait rejouer l'enregistrement en fixant un rendez-vous".
Le président indique qu'il va y réfléchir et "je me demande par ailleurs, suite à l'audition de monsieur @Arthur_Dvx [président de @lifeforparis ] si d'autres éléments d'enregistrement ou des images ne doivent pas être diffusés au cours de ce procès. Je vous avertirai."
Place au témoignage de Marie-Claude Desjeux, présidente de la @FENVAC : "en 2013, je perds un frère en Algérie sur un site gazier où 40 otages seront exécutés".
"La mission qui est la mienne est de porter les valeurs de la Fenvac et donner un sens à la douleur des victimes."
Marie-Claude Desjeux : "Pourquoi témoigner ? Pour moi c'est un devoir. Tous nos administrateurs sont victimes ou familles de victimes, ils ont tous une histoire, une expérience, mais tous ont le même ressenti"
Maire-Claude Desjeux : "La société nous impose d'aller plus vite, pour elle plus que pour nous"
La présidente de la Fenvac décrit des victimes dans "un trou noir, déconnectées, broyées par des chagrins" : "Vous devez faire face à des choses matérielles. Alors, lorsqu'on vous tend une main, vous vous y accrochez comme à une bouée de sauvetage".
Marie-Claude Desjeux explique avoir été personnellement touchée par les attentats du #13Novembre 2015 : "un de mes nièces se trouvaient à La Belle Equipe, son compagnon y est mort, elle a été blessée. Je l'ai convaincue de venir témoigner à la barre."
Marie-Claude Desjeux : "il vous faut savoir que si un attentat similaire se produisait la @FENVAC ne pourrait plus intervenir auprès des victimes en raison d'un profond changement dans la politique d'aide aux victimes."
Marie-Claude Desjeux : "la question qui se pose est celle du comment. Comment les victimes directes et indirectes se relèvent-elles après avoir été victimes du terrorisme? On ne se complaît pas dans le statut de victime. Respectons-les, tout simplement, ce sont nos héros."
Marie-Claude Desjeux au sujet du @FONDSDEGARANTIE : "en France, nous avons un système de prise en charge d'aide aux victimes qui est unique, beaucoup nous l'envient en Europe. Mais force est de constater qu'ici la chaîne a parfois failli."
Marie-Claude Desjeux : "je voudrais remercier toutes celles et ceux qui sont venus témoigner. Vos messages d'amour et de courage sont les seules réponses à cette barbarie. Beaucoup de larmes ont coulé dans cette salle depuis 5 semaines, mais nous sommes fiers de vous."
Marie-Claude Desjeux : "je voudrais remercier les journalistes : le travail qu'ils effectuent aujourd'hui vient atténuer l'effet intrusif des médias dans les premiers instants. Mais je m'élève contre ceux qui ont dit dans une tribune que les victimes étaient dans un cocon."
Président : "cette interrogation autour de la notion de cocon fait écho à savoir ce qu'il faut diffuser ou non. Se pose la question de savoir s'il faut diffuser ou non certains sons, certaines images."
Marie-Claude Desjeux : "les victimes sont capables de tout entendre et voir."
Marie-Claude Desjeux : "les victimes ont besoin de pouvoir reconstituer l'histoire. C'est dur, c'est difficile mais pour beaucoup je pense que c'est rédempteur. Mais c'est leur libre choix, je ne pense pas qu'on puisse avoir de vue déterminée sur ce sujet."
Me Kempf (défense) : "vous avez déposé un mémoire devant la chambre de l'instruction à l'encontre de mon client Yassine Atar, évoquant des charges lourdes et multiples".
Marie-Claude Desjeux : "Cette démarche me paraît normale."
Place au témoignage de François Zimeray, président de l' @afvt_org : "je suis président de cette association depuis quelques semaines seulement. Il y a une spécificité dans les victimes d'attentats terroristes, qui les relie entre elles, quelles que soient les circonstances"
François Zimeray : "l'association a été créée à la suite de l'attentat du DC10 d'UTA et elle a traité les situations de 150 attentats dans le monde. Dans l'accompagnement des victimes, dans ce moment très singulier ou on passe d'une destin personnel à l'écriture de l'Histoire."
François Zimeray : "Et puis, il y a ce que l'on fait de ce qui reste en nous. On ne vit pas de la même façon après un attentat. On vit avec l'attentat en soi et on essaie d'en faire quelque chose, dans l'association. On pense déjà à l'après-procès avec des actions de témoignage".
François Zimeray : "dans le travail de témoignage dans les collèges et lycées, la transmission de l'expérience personnelle de ces victimes ne laisse pas intacts ces jeunes. Nous intervenons en milieu carcéral aussi. Et je crois que cette rencontre est fondamentale".
François Zimeray : "il y a peut-être pire que la haine, c'est la déshumanisation : ne pas voir que l'on a un être humain en face de soi. Cela doit être une réflexion dans tout le corps social et c'est une des missions des associations de victimes de terrorisme."
François Zimeray : "nous sommes très présents dans ce procès, nous accompagnons les victimes. Mais aussi dans les procès qui viendront et je pense en particulier au grand travail qui nous attend pour le procès de l'attentat de Nice [le 14 juillet 2016 ndlr]"
Place au témoignage du docteur Didier Ollat, 51 ans, chirurgien orthopédiste à l’hôpital Begin au moment des attentats du #13Novembre 2015 : "nous avons reçu une vingtaine de blessés que j'ai pris personnellement en charge à partir du dimanche matin."
Dr Ollat : "très rapidement, à l'hôpital militaire, se sont mises en place nos pratiques de chirurgie de guerre avec une gare de triage pour recevoir les blessés et les catégoriser et puis ensuite les prendre en charge en chirurgie viscérale et en chirurgie orthopédique."
Dr Ollat : "dans ce type d'événements, on ne sait jamais combien de blessés peuvent arriver et donc à l'entrée les gens sont entièrement déshabillés, on recherche tous les orifices de projectiles, toutes les lésions pour estimer le degré de gravité. Il faut que ce soit rapide."
Dr Ollat : "et puis on commence les mesures de réanimation pour les blessés les plus graves. Puis, on place au bloc opératoire, on commence par une désinfection par toutes ces plaies de sont pas nettoyées. On enlève les tissus qui ne sont pas gardables, on fixe les fractures".
Dr Ollat : "on laisse les plaies ouvertes pour ne pas qu'elles s'infectent. C'est la prise en charge classique pour des plaies par projectiles. Les sept premiers jours, c'est la lutte contre l'infection. Les 8 semaines suivantes c'est le processus de réparation osseuse."
Dr Ollat : "et puis pendant neuf mois, c'est le processus de réhabilitation fonctionnelle avec la gestion des handicaps s'ils existent.
7 jours, 8 semaines, 9 mois. C'est le schéma classique."
Dr Ollat : "il y a souvent des choix à faire, et des choix parfois difficiles. On est régulièrement amenés à faire des amputations secondaires. Et donc ça fait un nouveau traumatisme sur le plan psychologique pour le blessé".
Dr Ollat : "on a reçu un peu plus de 20 blessés sur l'hôpital Begin et un peu plus de 20 sur l'hôpital Percy. Soit environ 50 sur les deux hôpitaux militaires."
Après la notion de "golden hour" hier, le Dr Ollat évoque celle des "minutes de platine". Notamment dans le cas d'"une plaie d'artère fémorale, vous avez deux ou trois minutes, il y a un débit excessivement fort, en plus le rythme cardiaque est élevé en état de stress. "
Interrogé sur les identifications des blessés, le Dr Ollat explique : "on numérote les gens, cela peut paraître barbare mais c'est pour pouvoir avoir une identité. Les gens peuvent arrivés inconscients, il peut y avoir des erreur d'interprétation des papiers."
Dr Ollat : "dans la chirurgie de guerre, il y a un problème d'afflux et d'incertitude. Sur les lésions balistiques, les petits éclats ne posent pas de problèmes particuliers et on ne va pas tous les chercher. Il y a des vieux soldats plein d'éclats et ça ne pose pas de problème."
Dr Ollat : "vous avez le traumatisme psychologique du coup de feu, le caractère brutal et soudain, et ce traumatisme ressort au fur et à mesure de la prise en charge et du traitement des blessures. Car il y a toujours des complications possibles comme une surinfection"
Dr Ollat : "les fusil d'assaut sont approvisionnés par des balles blindées et chemisées qui ne sont pas sensés se fragmenter et champignonner. La Convention de Genève l'interdit.
Mais les projectiles, même blindés, lorsqu'ils ont une énorme énergie cinétique se fragmentent."
Dr Ollat : "si la balle de kalachnikov percute un os, elle va créer des éclats qui vont se comporter comme des projectiles secondaires. Et c'est pour cela que généralement vous avez un petit trou à l'entrée et un énorme trou à la sortie."
Dr Ollat : "on examine attentivement les orifices et en fonction, on essaie de déterminer quels organes ont pu être touchés. Ce qui pose d'ailleurs problème quand vous avez un orifice d'entrée et pas de sortie. Vous ne savez pas par où la balle est passée."
Le Dr Ollat sur le fait que les personnes qui ont gardé des éclats de balle dans le corps ne peuvent plus faire d'IRM : "vous n'avez plus la possibilité de faire une examen qui au court de votre vie peut vous être utile pour une pathologie médicale autre, c'est sûr."
Dr Ollat : "dans un traumatisme grave et important, vous avez un phénomène de sidération du système nerveux et des influx qui vont déclencher la douleur. Et donc c'est très fréquent que les blessés par balle pensent avoir été piqué par un moustique. C'est très variable"
Fin de l'audition du docteur Ollat. Place au témoignage du professeur Thierry Baubet, psychiatre, spécialiste de l'enfant et de l'adolescent, à l'hôpital Avicennes à Bobigny.
"Un certain nombre de parties civiles ont compté parmi mes patients, certaines le sont encore".
Thierry Baubet (@TBaubet ) : "les victimes et proches des victimes ont je pense dit tout ce qu'il y a à savoir sur le traumatisme d'un attentat terroriste, le deuil, et ce que ça crée comme douleur".
Thierry Baubet : "un traumatisme n'est pas un événement, l'événement est ce qui survient, le traumatisme est l'effet délabrant sur la personne qui survient de certains événements.
Tout événement ne peut pas faire traumatisme, il faut certaines caractéristiques."
Thierry Baubet : "ce qui est assez caractéristique du trauma est l'effroi, quelque chose qui est au-delà de la peur. Effroi vient du latin exfridare, quelque chose qui fait sortir de la tranquillité et généralement c'est assez définitif."
Thierry Baubet : "Les traumatismes proviennent d'événements qui impliquent un risque de mort ou de blessure grave et les violences sexuelles. Cela concerne les victimes directes et les témoins. En psychiatrie, c'est donc assez différent de l'interprétation judiciaire."
Thierry Baubet : "les traumatismes non-intentionnel sont ceux liés à un cyclone, une manque de chance. Dans les traumatismes intentionnels, il y a un humain, qui a été capable, les yeux dans les yeux, de commettre ces actes. Cela provoque un ébranlement beaucoup plus profond."
Thierry Baubet : "on sait tous qu'on doit mourir, on a éventuellement vu des personnes mourir, mais ce qu'on ne connaîtra jamais c'est ce que c'est que d'être mort. Le traumatisme c'est faire un pas au-delà. C'est comme si la mort était désormais à l'intérieur de soi."
Thierry Baubet : "les manifestations initiales au moment du trauma sont souvent celles d'un vide, d'un blanc de la pensée. Puis très vite apparaissent l'angoisse, le sentiment d'abandon, de haine. Et très vite, l'idée que ce qui vient d'être vécu ne pourra pas être compris."
Thierry Baubet : "Sur la question de monter ou non des images, mon point de vue, c'est que montrer ces images fait souffrir les victimes, jouir les bourreaux et ne permet jamais d'arriver à ce que les personnes qui n'étaient pas là arrivent à se représenter ce qui a été vécu."
Thierry Baubet : "le travail de deuil commence avec la perte définitive d'un être aimé et par lequel on va devoir, après une phase de souffrance et de chagrin, parvenir à trouver une autre place à l'être aimé. Donc l'endeuillé souffre d'un vide immense lié à cette disparition."
Thierry Baubet : "dans le cas du #13Novembre les personnes endeuillées ont été aussi traumatisées : par la brutalité de l'annonce, par le fait d'avoir été sur place, par le traumatisme de la présentation du corps etc. Ce n'est donc pas du tout un deuil normal."
Thierry Baubet : "le jeune âge ne protège pas du traumatisme, il entraîne simplement des manifestations différentes. Les symptômes de traumatisme de l'enfant sont souvent minimisées voire déniées par l'entourage, y compris aimant, et les professionnels."
Thierry Baubet : "l'enfant, en grandissant, a besoin de construire des théories sur le fonctionnement du monde qui vont lui offre suffisamment de sécurité pour pouvoir grandir. C'est la croyance, par exemple, que son papa et sa maman seront toujours là pour le protéger."
Thierry Baubet : "et donc là, tout ce que l'enfant croyait s'est effondré. Et il faut faire attention parce que les symptômes de l'enfant sont généralement discrets et tus par l'enfant qui ne veut pas accabler ses parents. Donc il faut être vigilants."
Thierry Baubet : "pour les enfants endeuillés, l'annonce de la mort est particulièrement difficile par le parent, lui-même endeuillé. Les parents comme les enfants ont tendance a vouloir préserver l'autre génération. Les parents pensent qu'il ne faut pas montrer qu'on est triste"
Thierry Baubet : "le deuil d'un parent n'est jamais anodin pour un enfant. Cela a des conséquences sur l'ensemble de sa vie. Par exemple, cela multiplie par deux, par rapport à la population générale, le risque de suicide au cours de la vie. "
Thierry Baubet : "quand les parents ont des troubles post-traumatiques pas soignés, cela induit une modification de la parentalité, qui peut générer un syndrome d'anxiété chez un enfant."
Thierry Baubet : "et puis, il y a des stratégies familiales dysfonctionnelles qui sont parfois mis en place dans les familles : cela va de l'interdiction d'en parler au fait d'en parler continuellement."
Thierry Baubet évoque enfin la question du trouble post-traumatique pendant la grossesse : "c'est aussi un sujet d'inquiétude et des études sont en cours autour d'une prise en charge de ces troubles pendant la grossesse."
Thierry Baubet : "le traumatisme concerne l'ensemble de la famille. Il y a un grand désarroi des familles autour de ça et peu de réponses apportées pour y faire face."
Thierry Baubet : " l'étude de Santé publique France montre que la moitié des personnes exposées au #13Novembre 2015 n'est pas dans un parcours de soin."
Plusieurs raisons à cela : les mauvaises expériences, la honte, la crainte d'être rejeté, la stratégie d'évitement etc.
Président : "je pense à cet enfant qui a été confronté à cet attentat et qui a perdu sa maman et sa grand-mère dans cet attentat".
Thierry Baubet : "c'est une situation dont je ne peux pas parler. Mais malgré le chaos que cela produit, il y a des choses à faire tout de suite."
Thierry Baubet : "la culpabilité est un sentiment que l'on éprouve dans un objectif. Bien sûr les gens ne sont pas coupables dans la réalité. On peut leur dire. Mais leur dire : "ne te sens pas coupable" ne les aide en rien. En revanche, cela s'élabore en psychothérapie."
Thierry Baubet : "juste avant l'ouverture du procès, nous avons vu arriver en consultation certaines personnes qui n'avaient jamais consulté. Cela ne voulait pas dire qu'elles allaient bien, cela veut dire qu'elles tenaient. Et l'arrivée du procès leur a semblé trop."
Thierry Baubet interrogé sur la pertinence que des enfants assistent à l'audience : "cela dépend de beaucoup de choses, de l'âge de l'enfant, du contenu du jour du procès, de la manière ça a été préparé avec la famille avant. Si c'est fait de manière pédagogique, pourquoi pas"
Thierry Baubet : "je me demande si les procès d'assises ont déjà ressemblé à ça, je n'en suis pas sûr. Donc on est en train d'assister à quelque chose d'historique et donc ce sera à analyser sous toutes les coutures. Mais il est probable que cela apporte aux victimes."
Thierry Baubet : "ll y a différents facteurs susceptibles d'aggraver le stress post-traumatiques.
Des éléments liés à l'événement lui-même : le fait qu'il y ait des corps, des corps abîmés, la privation de liberté, la proximité avec la scène etc. ... "
Thierry Baubet : "il y a des éléments liés à la personne : avoir déjà été confronté à un événement traumatique, des troubles psychiatrique, la question du sexe pose question
Et puis tout ce qui tient à l'entourage : le niveau socioéconomique, la reconnaissance de soi etc."
Thierry Baubet : "le traumatisme vicariant est l'effet sur le psychisme du traumatisme des autres. C'est le cas des personnes qui recueillent des récits : les avocats, les psy, la cour. Cela ne cause pas de stress post-traumatique mais on peut avoir des images intrusives etc."
Me Giffard (PC) : "une question sur les enfants nés dans les années qui ont suivi ?"
Thierry Baubet : "ils peuvent être exposés sous la forme d'un impact à travers la modification des relations parents-enfants. L'important pour les parents est déjà de bien s'occuper d'eux-mêmes"
Thierry Baubet : "c'est une sorte de rideau qui protégerait la plupart des gens du néant et une fois que c'est déchiré, on sait que c'est là. Et on ne revient pas à la façon dont on voyait les choses avant. Par contre, on va apprendre à vivre avec cette intranquillité. On a vu."
Thierry Baubet : "il y a chez les victimes une quête éperdue de reconnaissance de leur préjudice et les expertises [dans le cadre de l'indemnisation par le @FONDSDEGARANTIE ndlr] qui conduisent à une non-reconnaissance d'un préjudice peut aggraver leur état."
Thierry Baubet : "il m'arrive de recevoir des parents endeuillés de leur enfant, tous me parle de l'absence de mot pour qualifier leur état. Je les invite à trouver un mot pour eux, ça peut être : désanfanté."
L'audience est suspendue jusqu'à 16h45 avec la suite des auditions des psychiatres et psychologue.
L'audience reprend avec l'audition du docteur Catherine Wong, 59 ans, psychiatre.
"Veuillez nous excusez pour le retard", l'accueille le président qui l'autorise à consulter ses notes (comme pour les témoins précédents).
Catherine Wong : "une partie de mon activité est d'être psychiatre conseil de victimes et c'est dans ce cadre que j'ai rencontré un certain nombre de victimes du #13Novembre
Mon rôle était d'identifier les conséquences psychiques à moyen ou long terme."
Catherine Wong a ainsi rencontré 199 victimes du #13Novembre 2015. "On va interroger des gens pour identifier un certain nombre de symptômes. Et pour cela, on interroges les victimes sur trois temps de leur vie : avant les faits, au moment des faits et après les faits."
Catherine Wong : "les gens ne sont pas nés le #13Novembre et en fonction de ce qu'elles ont vécu avant, on va chercher certains symptômes ou pas. Puis, on va leur demander de raconter les faits, sur la manière dont ils les ont vécus."
Catherine Wong : "on va aussi écouter la manière dont ils parlent des faits. Il y a des victimes qui, encore aujourd'hui, parlent des faits au présent : "je suis dans la salle". Ils n'en sont pas encore sortis.
Puis, on va parler de l'après, ce que ça a changé dans leur vie".
Catherine Wong : "il y a deux types de conséquences : des conséquences communes à tout le monde et d'autres spécifiques à certaines victimes.
La première conséquence c'est la perte de l'insouciance. Quand on a 30 ans, la mort ne nous concerne pas encore pour nous."
Catherine Wong : "cette perte de l'insouciance, on appelle ça la solastalgie c'est-à-dire la nostalgie d'un monde qu'on aime mais qui n'est plus le même. Pour toutes les victimes de l'attentat, le monde ne sera plus jamais le même."
Catherine Wong : "c'est comme en CP le jour où vous comprenez que les formes géométriques sont en fait des lettres. Plus jamais vous ne pourrez les revoir comme des lettres. Pour les victimes des attentats, elles ne pourront plus jamais voir le monde de la même manière."
Catherine Wong : "les victimes ont ensuite ce qu'on a appelé le syndrome du survivant. On aimerait se dire qu'on se comporte en héros. Et en fait, on se rend compte qu'on est humain, qu'on cherche à sauver sa peau. Et cela engendre une énorme culpabilité"
Catherine Wong : "si on est parti en marchant sur les autres, la culpabilité est énorme. Si c'est le résultat du hasard : celui qui a pris une balle est à côté de moi et pas moi, aussi. C'est injuste."
Catherine Wong détaille ensuite le syndrome du stress post-traumatique : le phénomène des intrusions. "Ce n'est pas "je me souviens" c'est que tout d'un coup un éclair, une odeur, n'importe quoi vous remet immédiatement, sans que vous puissiez contrôler, dans l'événement."
"Cela surgit n'importe quand, parfois plusieurs fois par jour. Et vous vous retrouvez sous le feu des balles."
Catherine Wong cite l'exemple de cet amateur de vin qui ne peut plus ouvrir de bouteille de blanc sans sentir l'odeur de la "pierre à fusil" et se retrouver au Bataclan.
Vient ensuite les stratégies d'évitement. "Et l'évitement, engendre l'évitement" explique Catherine Wong qui cite cette victime "j'habite au fin fond de la Creuse dans un champs. Et à ce prix, je n'ai plus d'évitement."
"Il a tout évité, donc il n'y en a plus."
Vient ensuite l'hyperactivité neurovégétative. "On est sur le qui-vivre, avec le coeur qui bat, donc on n'est pas bien" explique Catherine Wong.
"Ce syndrome de stress post-traumatique va conduire à chercher des psychotropes naturels : alcool, tabac, cannabis"
Autre complication du syndrome de stress post-traumatique: la dépression "plus encore chez les personnes plus petits producteurs de sérotonine" explique la psychiatre Catherine Wong.
Qui poursuit avec d'autres types de complications : somatisation, scarification.
Catherine Wong : "le tatouage est en partie une scarification et donc il y a eu beaucoup de tatouages après ces événements. D'autant que le tatouage a aussi une vocation de souvenir de ce qui s'est passé."
Autre complication encore : les suicides et tentatives de suicides.
"Elles ont été multipliées par dix la première année", explique Catherine Wong. "On estime que le syndrome de stress post-traumatique est le plus fort risque suicidaire chez les jeunes adultes."
Catherine Wong : "pour un certain nombre de victimes qui avaient ce qu'on appelle un terrain antérieur invisible, cet événement va multiplier ce phénomène."
Catherine Wong : "j'ai rencontré trois personnes avec un traumatisme de Diogène et qui vivent recluses en accumulant les détritus avec quelqu'un qui vient apporter à manger et permet la survie."
Pour d'autres, une régression infantile "avec des adultes qui reprennent un doudou".
Catherine Wong : "enfin, un traumatisme tel qu'ils l'ont vécu, on ne peut pas le mettre en mots."
Elle cite l'exemple de ce patient qui n'en a pas parlé à ses proches, par incapacité à dire ce qui lui était arrivé le #13Novembre 2015.
Catherine Wong : "on a observé que c'est plutôt entre trois et quatre ans qu'on observe une certaine stabilisation. Avant deux ans c'est quasiment impossible. La majorité des victimes ont été consolidées autour de trois ans."
Catherine Wong : "quel que soit le mode opératoire, les victimes se sentent concernées par un nouvel attentat. Que ce soit un attentat au couteau ou l'attentat de Nice par exemple. Et cela cause une réactivation."
Catherine Wong interrogée sur les suicides des victimes survivants du #13Novembre : "ils ont échappé à la mort et pourtant ils se donnent la mort. Tout simplement parce que la vie est insupportable."
Me Josserand-Schmitt : "ils choisissent d'arrêter de souffrir?"
- tout à fait.
Fin de l'audition de Catherine Wong, le dernier témoin de la journée est Marie de Jouvencel, 71 ans, psychologue spécialisée en neuropsychologie.
Marie de Jouvencel détaille le concept de "mémoire traumatique" : "elle est essentiellement émotionnelle, indicible".
Marie de Jouvencel : "la mémoire traumatique est extrêmement précise dans certains aspects mais elle ne vient pas s'intégrer à un processus de fabrication d'un souvenir. Au contraire, elle vient à la place. Donc ce ne sont pas des souvenirs mais des réminiscences."
Marie de Jouvencel : "les situations terrorisantes vont sidérer la pensées et les fonctions cognitives se figer. Les doses de stress intense vont être une menace pour tout l'organisme par la sécrétion de cortisol."
Marie de Jouvencel raconte le cas d'une victime qui a repris une activité professionnelle mais "a oublié le fonctionnement de son service." Pour une autre victime, ce sont "des troubles de mémoire dans la vie quotidienne". Pour une autre encore "des troubles d'attention"
Marie de Jouvencel : "l'exposition des victimes directes et indirectes à des émotions excessives provoquent des dysfonctionnements cérébraux qui modifient la façon dont ces victimes traitent les informations de l'environnement."
Marie de Jouvencel : "la société civile a une mémoire collective, les victimes une mémoire traumatique. La société civile souhaite continuer à en entendre parler, les victimes le redoutent. La société civile conserve un souvenir contextualisé, les victimes ont des reviviscences."
Marie de Jouvencel : "être une victime renvoie à la question de l'identité. La reconstruction identitaire, avec ses handicaps acquis, peut être aidée par des groupes thérapeutiques qui permettent de limiter l'enfermement."
Me Victor Edou (PC) : "beaucoup de victimes ont évoqué un mécanisme de dissociation"
Marie de Jouvencel : "cette dissociation vient avec cette déconnexion cérébrale où le cerveau vient préserver l'ensemble de l'organisme et le corps se dissocie d'un psychisme qui reste figé".
Fin de l'audition de Marie de Jouvencel et de la journée d'audience.
Elle reprendra mardi à 12h30 avec les premiers interrogatoires des accusés sur leurs parcours de vie.
Le compte-rendu de l'audience du jour, illustré par @ValPSQR est à retrouver ici >
Un dernier tweet pour vous souhaiter un excellent week-end.
C'est @sophparm qui sera aux manettes du live-tweet toute la semaine prochaine pour les interrogatoires d'accusés, le temps pour moi de quelques jours off.
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Les premiers à venir à la barre sont les proches de Lola O., plus jeune victime décédée dans ces attentats. Elle avait 17 ans.
Sa tante est la première à témoigner : "Lola était la fille unique de ma soeur. Elle était ma première nièce. J'avais 20 ans."
L'audience reprend avec les premiers témoignages du jour, ceux de la famille de Cécile Misse, assassinée au Bataclan à l'âge de 32 ans avec son compagnon Luis Zschoche.
Vous pouvez également retrouver le témoignage d'Aurélie, qui a perdu son compagnon Matthieu Giroud au Bataclan, qu'elle a accepté de nous confié et que nous avons choisi de publier en intégralité > franceinter.fr/justice/proces…
Au programme aujourd'hui, la suite des témoignages des familles endeuillées du Bataclan.
La cour devrait également entendre le témoignage de Kevin, qui a du être amputé après avoir été blessé de deux balles.
Il nous avait confié son témoignage ici >franceinter.fr/attentats-du-1…
Parmi les personnes attendues à la barre Aurélie, compagne de Matthieu Giroud et mère de leurs deux enfants, Michel, grand-père de Maël qui se trouvait au concert.
Au programme aujourd'hui : les derniers témoignages de survivants du Bataclan (avant les auditions des proches des personnes assassinées à partir de demain).
L'avocate d'Osama Krayem demande la parole sur le fait que "des avocats de parties civiles se permettent d'interroger les interprètes sur la raison pour laquelle monsieur Krayem ne les sollicite pas pendant les auditions de parties civiles".
L'avocate d'Osama Krayem poursuit : "ces avocats ont demandé si monsieur Krayem était gêné par le fait d'avoir une interprète féminine ou d'entre les propos des parties civiles. Je tiens juste à préciser que monsieur Krayem a appris le français pendant ces 6 dernières années"