Comment concilier l'agriculture et la biodiversité ? De la pâte à modeler, des crottes, et des petits animaux dans ce fil, que je t'invite à dérouler ⬇️👨‍🌾🐤🐞🌳
D'abord le constat. L'@IPBES a montré qu'il existe un déclin important de la biodiversité, avec des causes multiples : changement climatique, gestion des forêts, pratiques agricoles défavorables...
ipbes.net/news/Media-Rel…
L'agriculture n'a aucun intérêt à voir disparaître cette biodiversité. Plus il y a de biodiversité dans et autour d'un champ, plus il y a d'auxiliaires de cultures capables de réguler des ravageurs de cultures (c'est le rôle des auxiliaires par définition).
On va s'éviter ici le débat des bénéfices/risques des pesticides, simplement rappeler une chose importante: appliquer des pesticides et des insecticides en particulier, affecte les communautés du vivant. Moins il y en a, mieux c'est pour la biodiversité en général.
Pour concilier agriculture et biodiversité, mieux vaut donc lever le pied sur les pesticides, mais cela reste un jeu d'équilibriste compliqué. Si cette stratégie favorise les auxiliaires, elle peut favoriser les populations de ravageurs par la même occasion évidemment.
Alors concrètement cette biodiversité, comment la favoriser au champ ? Comment vérifier sa présence et son influence ? Ce sont des questions sur lesquelles on se penche depuis longtemps... Et voici ce qui a été fait à la ferme expérimentale d'Etoile-Sur-Rhône :
Une parcelle de 3 hectares a été mise en place dans laquelle on cultive des pêches, du colza, du blé, du soja, de la féverole. Le système est donc diversifié, inspiré de l'agroforesterie, en bio et AUCUN insecticide n'est appliqué.
La parcelle est entourée de haies composées de nombreuses essences d'arbres. Sur les bords et au milieu de la parcelle, on a laissé la place à des bandes arbustives, enherbées et fleuries. Une mare a même été installée à proximité. De quoi attirer déjà un paquet de biodiversité.
Puis on a installé dans et autour du système des aménagements destinés à des espèces auxiliaires qu'on cherche à attirer en particulier. Par exemple des nichoirs, poteaux et abris pour les mésanges, les rapaces et les chauves-souris.
Bref, des conditions optimisées pour la biodiversité. Et rapidement, on a vu du monde arriver sur la parcelle : des faucons, des pipistrelles... et des mésanges qui ont fait leur nid ! 😍
Coucou petite chauve-souris ! 🥰
Petit à petit, la biodiversité a donc reconquis cet espace cultivé. C'est chouette, mais finalement est-ce que nos auxiliaires agissent VRAIMENT sur les ravageurs des cultures ? Pour vérifier, il a fallu investiguer un peu plus et... vous allez être surpris par nos méthodes.
Pour voir l'activité des mésanges, on a disposé des leurres dans la parcelle : des chenilles en pâte à modeler ! Le but vous l'avez peut-être compris, est de voir si les mésanges mangent ces fausses proies.
A la fin de la saison, on a regardé l'état de ces fausses chenilles, à la recherche de coups de bec des oiseaux. ET REGARDEZ-MOI ÇA : les chenilles ont été prédatées ! On a identifié des coups de mâchoires aussi, qui montrent que des lézards ont participé au "festin".
Alors je vous rassure tout de suite, pour une mésange, un coup de bec dans de la pâte à modeler ne lui fait pas grand chose (c'est du Play-Doh). Elle se rend compte assez vite que ce n'est pas le plat qu'elle espérait et continue son chemin.
Ensuite pour les chauves-souris, on a une technique sophistiquée : on récupère et analyse LEUR CACA. En verger on a retrouvé dans leurs crottes les traces biologiques des ravageurs qu'elles ont consommé (Jay et al. 2012). Dis-moi ce que tu chies, je te dirai ce que tu manges.
Dans notre parcelle, on a également suivi les coccinelles, fameuses prédatrices des pucerons. Et on a détecté que les haies semblaient favoriser leur présence, avec une corrélation statistique plus grande qu'au cœur de la parcelle et partout ailleurs (Faure et al. 2020).
C'est une observation en faveur d'un principe bien décrit scientifiquement : des haies et plus généralement la diversification du milieu augmente et diversifie les auxiliaires, et augmente les régulations biologiques des ravageurs (Tscharntke et al 2007, Le Tourneau et al 2009).
On a justement cherché des signes de régulation des pucerons par ces coccinelles dans nos parcelles : on a trouvé une corrélation significative entre la présence de pucerons et la présence de coccinelles. Signal positif - mais à confirmer - de leur action prédatrice.
Bref. Aidé par le milieu et les aménagements, on a donc attiré les auxiliaires dans notre parcelle, et on a validé que ces auxiliaires pouvaient avoir une activité de régulation des ravageurs. Ce sont des enseignement précieux ! Mais il reste une question cruciale.
Est-ce que les auxiliaires nous débarrassent totalement des ravageurs ? Soyons très clairs : non, jamais. Il y a toujours besoin de ravageurs pour qu'il y ait des auxiliaires. Il n'y a donc pas de sens à éradiquer le ravageur, c'est une relation d'équilibre écologique à trouver.
Cela demande donc - et c'est très délicat pour tout agriculteur - d'accepter une certaine présence des ravageurs en culture. Pourvu qu'ils ne soient pas en trop grand nombre, et que les dégâts éventuels soient à des niveaux acceptables pour sa production.
Concilier agriculture et biodiversité est loin d'être un truc simple, mais on a certaines clés en main que l'on peut activer. Et c'est tout l'écosystème qui peut en sortir gagnant. C'est un principe fondamental de l'#agroécologie.
Cette étude est réalisée dans le cadre des projets @Dephy_Ecophyto. J'espère que cette mini-restitution vous aura appris des choses, surtout aidé à comprendre l'intérêt de chercher à concilier agriculture x biodiversité. Merci de votre lecture !
ecophytopic.fr/recherche-inno…

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Feb 24, 2020
Saviez-vous que les plantes sont capables de reconnaitre leurs frères et sœurs ? On le sait grâce à l'expérience géniale menée par Susan Dudley en 2007 à l'Université McMaster. Un petit thread qui va vous faire changer de regard sur les plantes.🌱
L'expérience a été réalisée sur la roquette de mer, une plante des plages d'Amérique du Nord. C'est simple, dans un pot, les chercheurs ont fait germer 30 graines de roquette soit (1) issues de différents parents, soit (2) issues des mêmes parents.
royalsocietypublishing.org/doi/full/10.10…
Dans le premier cas, les graines issues de parents différents ont germé et ont produit un nombre important de racines, qui ont conquis chacune le maximum d'espace disponible, pour s'approvisionner au mieux en eau et nutriments. Jusque-là, rien de surprenant.
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Sep 27, 2019
Dans nos champs depuis quelques années, une guerre assez inédite et sans merci est en train de se jouer. Cette guerre, elle est menée par les agriculteurs et les scientifiques contre un ennemi invasif et redoutable : une mouche venue d'Asie, la Drosophila suzukii. Thread⬇️
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Sauf que cette drosophile est différente. Les mâles ont des petites taches noires sur les ailes, visibles à l’œil nu. C'est le seul moyen de pouvoir la reconnaître facilement.
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Jun 10, 2019
Il existe en France une collection exceptionnelle d'agrumes à San Giuliano, en Corse, sur le site de l'@Inra_France. C'est une collection unique au monde d'arbres fruitiers que j'ai pu découvrir. Vous pensiez connaître tous les agrumes ? Vous avez tort. Thread ⬇️🍋🍊
Le verger contient plus de 5000 plantes et 1000 variétés d'agrumes, des plantes qui peuvent provenir de différents endroits de la planète. On y trouve plus de 200 variétés de mandarines, quelques variétés d'oranges... Ici l'orange Navel et un mandarinier du Pakistan.
Si la plupart des mandarines ont des formes classiques, d'autres ont des formes plus bizarres, ici une mandarine en forme de cervelle d'agneau, ou une autre simplement cabossée.
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May 20, 2019
Je suis tombé sur cette encyclopédie agricole sur l'arboriculture fruitière qui date de 1911. C'est un trésor ! Vous voulez savoir comment on cultivait des fruits et des vignes il y a 100 ans ? C'est quoi l'agriculture de nos (arrières) grands-parents ? Thread ⬇️
Ce qui frappe dès les premières pages, c'est le contexte économique et social qui est décrit, très différent de notre époque. La préface raconte qu'en France au début des années 1900, il y a 22 millions de cultivateurs (pour environ 41 millions d'habitants).
Paradoxalement, le manque de main d'oeuvre est alors un gros frein au développement de la production agricole. En fait, il y a beaucoup d'agriculteurs, beaucoup ont un peu de terre, mais très peu de gens à employer sont disponibles pour les aider.
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Mar 26, 2019
Hier, avec une petite délégation d'agriculteurs drômois, on a rencontré des agriculteurs du Limousin, en Corrèze. Au programme des discussions : pesticides et voisinage.

Petit thread pour vous raconter l’histoire très particulière de ces arboriculteurs. ⬇️
Ici dans le Limousin, il existe une charte assez unique dans le genre. Elle a été
signée en 2017 par des agriculteurs, des associations de citoyens, et des élus
notamment. Elle assure que certaines bonnes pratiques sont adoptées par les agriculteurs, pour le bien de tous.
Dans cette charte, pas de traitements le dimanche et jours fériés, sauf cas de force majeure. Les vergers sont entourés de haies pour protéger (en plus on favorise la biodiversité). Des filets anti-dérives sont installés.
Read 17 tweets
Mar 7, 2019
Il existe en France un verger très particulier et assez unique, puisqu’il est
planté… en rond. Vous trouvez ça farfelu ? Pourtant, ça ne l’est pas du tout. #agriculture #recherche #arboriculture #innovation #agroécologie

Thread ⬇️
Ce verger expérimental est situé au domaine de Gotheron dans la Drôme, à l’@Inra_France @Inra_PACA. Il a été conçu avec pas mal de matière grise : chercheurs, agronomes, conseillers et techniciens de chambre et d’organisations de producteurs, et bien sûr aussi des arboriculteurs.
L’objectif de l’équipe de recherche est de créer un espace de production dans lequel la conduite des cultures se fait sans AUCUN traitement phytosanitaire. Même pas un traitement de produit dit de biocontrôle ou autorisé en Agriculture Biologique, RIEN.
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