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Je suis tombé sur cette encyclopédie agricole sur l'arboriculture fruitière qui date de 1911. C'est un trésor ! Vous voulez savoir comment on cultivait des fruits et des vignes il y a 100 ans ? C'est quoi l'agriculture de nos (arrières) grands-parents ? Thread ⬇️
Ce qui frappe dès les premières pages, c'est le contexte économique et social qui est décrit, très différent de notre époque. La préface raconte qu'en France au début des années 1900, il y a 22 millions de cultivateurs (pour environ 41 millions d'habitants).
Paradoxalement, le manque de main d'oeuvre est alors un gros frein au développement de la production agricole. En fait, il y a beaucoup d'agriculteurs, beaucoup ont un peu de terre, mais très peu de gens à employer sont disponibles pour les aider.
Du fait du manque de main d'oeuvre, les vergers sont petits et ne mesurent que quelques dizaines d'ares tout au plus. Ils sont souvent emmurés, et cela a des vertus : protéger du vent et réguler la température. On cultive sur les murs des maisons aussi.
Les cultures sont assez diversifiées. On mélange aisément les espèces fruitières, c'est mieux pour étaler les productions (et donc logique quand on manque de main d'oeuvre). Mais la monoculture reste encouragée pour les gros débouchés (marchés et exports).
Il y a 100 ans, on savait déjà très bien cultiver des arbres et des vignes : réaliser une bonne plantation, former et tailler des arbres pour bien faire fructifier... Les techniques de greffage sont bien étayées dans l'ouvrage.
On fertilise comme aujourd'hui : apports de compost et de fumier, apports d'engrais minéraux ("chimiques") de type azote, phophore, potasse en fonction des besoins, selon les analyses de sol.
Il y a 100 ans on distinguait les vergers extensifs ou jardins mixtes, plutôt familiaux pour nourrir familles et voisins, des vergers intensifs ou jardins fruitiers avec des objectifs de production pour les marchés et même l'export, jusqu'en Angleterre ou en Allemagne.
Fun fact, la demande est différente selon les marchés : privilégier des beaux fruits si on vend aux restaurants de luxe, privilégier des fruits colorés pour les allemands, et pour les anglais... Les fruits verts, pas trop mûrs conviennent ! Impayables ces anglais.
Le désherbage se fait sans herbicide, en travaillant le sol. Mais il est dit que les labours doivent être superficiels. Le binage est conseillé autant de fois que nécessaire, mais l'alternative du paillage est évoquée.
Et vous savez quoi ? Il y a 100 ans, on traitait déjà les ravageurs et maladies avec des pesticides, de type insecticides ou fongicides. Tout un chapitre du livre y est consacré.
Les principaux pesticides antifongiques de l'époque qui sont indiqués sont plutôt "AB" pour nous : soufre, bouillie bordelaise (sulfate de cuivre), permanganate de potasse sont les seuls cités, et sont recommandés pour la plupart des maladies, sur toutes les espèces.
Les produits sont "AB", mais pas forcément les pratiques. En abricot par exemple, pour les fruits tombés, si vous trouvez des vers, il est conseillé de carrément tremper les fruits dans du sulfate de cuivre. C'est sûr, ça devrait les faire partir...
Au niveau des insecticides appliqués il y a 100 ans, là ce n'est pas de l'agriculture biologique. Et accrochez-vous, vous n'êtes pas prêts. Les principaux produits du commerce donnés sont : jus de tabac, émulsion de pétrole... Mais aussi des produits à base d'arsenic !
Le "jus de tabac" c'est de l'eau, du savon, de l'huile de pétrole et du jus de nicotine. On conseille de l'appliquer pour lutter contre tout type de ravageur. "Qui veut des bonnes cerises au jus de tabac ?"
Pour l'arsenic (hyper toxique pour l'Homme et l'environnement, je vous rappelle), voici alors son usage : on l'applique sur tout l'arbre pour empoisonner les feuilles, ce qui tue les insectes qui viennent ensuite consommer la sève.
L'arsenic fait déjà débat dans la société et l'ouvrage en discute : interdit par le passé vraisemblablement à cause de sa toxicité, il est ré-autorisé pour des usages agricoles mais avec des applications déconseillées à des stades trop avancés (petits fruits et proche récolte).
Aucune mention n'est faite dans ce livre sur la protection du cultivateur exposé à ces produits. Et voici une illustration d'un traitement. Pas de gants, pas de masque... Aucune mention non plus sur les résidus évidemment. #onaprogressédepuis #cétaitpasmieuxavant
Je remarque que plein de ravageurs cités dans le livre ont un peu disparu de nos quotidiens. Un souvent cité est le loir ! Qu'on trouve moins en verger maintenant. Idem pour : bostriche du pêcher, acariens, cheimatobies, pyrales... Témoins d'une perte de biodiversité, peut-être.
Mais globalement, mis à part les traitements à l'arsenic et au pétrole, le recueil montre une vraie science de l'agronomie au sens originel du terme. On a déjà bien compris l'intérêt de considérer le système de culture avec toutes ses composantes.
Planter des plantes-pièges pour certains ravageurs, couper-retirer les organes malades des arbres, badigeonner le bois à la chaux contre les ravageurs en hiver, diversifier l'espace de production, aérer et ombrer les cultures sont des concepts vertueux déjà bien décrits.
Il y a 100 ans, les contextes économiques étaient très différents. L'ouvrage donne quelques chiffres, je vous les partage. Alors, combien produisait-on il y a 100 ans, et combien produit-on aujourd'hui ?
Pour la culture du pêcher, 28000 tonnes étaient produites en 1906, 255000 tonnes sont produites par an en moyenne entre 2015 et 2017 (source Agreste), soit une augmentation de plus de 800% depuis un peu de plus de 100 ans.
Pour la culture de la prune, 50000 tonnes de prunes étaient produites en 1906 (dont 36000 transformées en pruneaux), récemment la production estimée est de 50000 tonnes en frais et 200000 tonnes de pruneaux (source Interfel et FNPF), soit une augmentation de 400%.
MAIS, voilà une première idée reçue : "on produit beaucoup plus maintenant qu'avant". En globalité sans doute, mais il semble que ce ne soit pas vrai pour certaines cultures et pas des moindres :
Pour la culture de la vigne, on parle de 52 millions d'hectolitres produits sur 1,7 millions d'hectares en 1906. Aujourd'hui on estime une production de l'ordre de 40 millions d'hectolitres sur une surface de 700000 hectares (source Revue du vin).
Pour la culture de la noix, 64800 tonnes étaient produites annuellement au début du XXe siècle, aujourd'hui on parle de 38000 tonnes (source Interfel), soit une diminution de 40% environ.
A noter, il y a 100 ans, c'est le début de la mondialisation. De 800 tonnes de fruits passés dans les gares françaises en 1897, on est à près de 24000 tonnes en 1906. Aujourd'hui le marché export du fruit français est d'environ 900000 tonnes de fruits frais. Autre époque.
Qu'en conclure ? L'agriculture de nos (arrières) grands-parents était-elle plus vertueuse que maintenant ? Elle était paysanne, mais elle était "chimique" déjà.
Les vergers et vignobles étaient au bord des maisons, sur des petites surfaces de production. Plus d'un français sur deux était cultivateur, et la population n'habitait pas majoritairement en ville.
Cette différence de contexte socio-économique laisse penser que revenir à une agriculture d'antan (comme le veulent certains) n'a pas beaucoup de sens. Servons-nous de notre savoir-faire, de nos expériences et allons de l'avant, non?
Un hommage aux auteurs pour finir : J. Vercier et E. Chancrin ont écrit un recueil technique, précis et vulgarisé à destination de tous les cultivateurs. Il est très réussi ! J'ai eu la chance que le livre soit bien préservé et que tout soit encore parfaitement lisible.
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