le Festival d'Angoulême, c'est bientôt, mais en attendant revoici mon #JourDeMarché, avec cette semaine, une fois n'est pas coutume, un petit tour du côté des lecteurs.
dans le suivi de marché, les lecteurs sont essentiels: après tout, ce sont eux qui décident, au final, si un titre sera un succès ou un échec. d'où l'importance d'essayer d'un peu mieux les connaître. mais voilà: c'est compliqué.
c'est compliqué, pour deux raisons: d'une part, parce que la *pratique* elle-même présente une grande diversité et peut s'aborder sous beaucoup d'angles différents. il n'y a pas un lecteur-type, mais une multitude de typologies de lecteurs.
d'autre part, la *mesure* de tout cela nécessite la mise en œuvre d'un dispositif lourd et coûteux -- et qui plus est, réglementé (notamment concernant le questionnement des mineurs). d'où parfois, des difficultés à recruter un échantillon satisfaisant.
tout cela fait que les études sur le lectorat de la bande dessinée sont plutôt rares. inconvénient supplémentaires, ce ne sont qu'une vision du lectorat à un instant t, et plus le temps passe, et moins elles sont pertinentes pour expliquer l'évolution actuelle du marché.
bref, la plupart du temps, on se contente donc de l'analyse de la résultante de l'action des lecteurs, à savoir, l'achat en librairie. là, on a les chiffres de GfK en version quasi-instantanée et régulièrement actualisée (les chiffres hebdos), c'est déjà ça.
sauf que bien sûr, ces chiffres sont une donnée pauvre: on sait que le livre a été acheté, mais on ne sait pas s'il a été lu, ni par qui, ni par combien de personnes, s'il a été prêté ou donné ou s'il prend encore la poussière dans le bas d'une pile de lecture en souffrance.
on ne sait pas non plus sur quels critères ce livre a été choisi, ni par qui, ni si c'était un achat planifié ou spontané ... mais on sait (un peu) où il a été acheté. c'est bien peu.
GfK a un panel d'acheteurs sur lequel il se base pour certaines analyses (cf. mes commentaires des enquêtes réalisées pour les Rencontres Nationales de la Librairie en 2017 et 2019), mais n'en délivre des résultats qu'au compte-gouttes.
malheureusement, ces deux études s'appuient sur des questionnaires et des méthodologies différentes, ce qui fait qu'on prendra d'énormes pincettes avant de s'essayer à comparer leurs résultats.
parce qu'en effet, voici l'un des plus gros problèmes de ces études: la manière dont on lit et interprète leurs résultats, sachant qu'entrent en jeu à la fois des subtilités de méthode de questionnaire, mais aussi les joies de la statistique.
rajoutons également que nous, en tant qu'individus, sommes super mal placés pour avoir une vision globale d'une pratique, et que forcément, certains de ces résultats vont aller à l'encontre de ce que nous connaissons ... mais il faut se rappeler que c'est normal.
on fait ce genre d'étude pour questionner le lectorat, afin de remettre en question notre vision de ce lectorat. il faut dont accepter d'être surpris et contredit dans nos convictions, c'est le but même de l'opération. je referme cette petite parenthèse.
en fait, la seule étude "sur un temps long" à notre disposition se trouve dans les enquêtes décennales du Ministère de la Culture portant sur les Pratiques Culturelles des Français [culture.gouv.fr/Thematiques/Et…], qui abordent la bande dessinée depuis son édition de 1988.
là, on a une forme de stabilité dans la méthodologie utilisée, mais en contrepartie, les données sont un peu limitées. mais c'est mieux que rien, et c'est finalement la seule possibilité d'appréhender l'évolution du lectorat dans le temps. il faudra s'en contenter.
voici donc, par tranches d'âge, l'évolution du taux de lecteurs de bande dessinée en France depuis 1988 (sachant qu'on est considéré lecteur si on a lu au moins une bande dessinée durant les douze derniers mois).
on va convenir que ce n'est pas folichon: on est passé de 41% de lecteurs de bande dessinée en 1988 à 20% en 2018, avec un recul net sur quasiment toutes les classes d'âge.
on constate une évolution comparable pour les lecteurs non-occasionnels (5 bandes dessinée ou plus lues durant les douze derniers mois). au passage, la jolie image de "la bande dessinée lue par les jeunes de 7 à 77 ans" en prend un peu un coup.
histoire de continuer ce petit tour d'horizon, voici ce que cela donne pour le taux de lecture en fonction du sexe. à noter que l'on n'observe pas de féminisation du lectorat, même en considérant l'évolution de la répartition entre occasionnels/non-occasionnels/gros lecteurs.
enfin, voici ce que cela donne quand on considère des "cohortes" de lecteurs, à dix ans d'intervalle. attention, il faut considérer ces courbes avec précaution pour les cohortes d'avant 1988 (puisque le graphique est tronqué d'une partie de la "vie du lecteur").
on voit combien la lecture de bande dessinée reste attachée à la jeunesse, avec une pratique diminuée par deux (au moins) dans le passage de la classe d'âge 15-24 ans à la classe d'âge 35-44 ans.
tout cela est très intéressant, mais est assez limité au final, puisqu'il n'est pas fait de distinguo en fonction du genre de bande dessinée lu -- manga, comics, albums et autres. pour cela, la source la plus récente est l'étude CNL/Ipsos de 2020. on va s'y intéresser un peu.
les résultats de l'étude publiée (cf. le rapport centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/l…) présentent une grande granularité sur la jeunesse, mais j'ai préféré une vision un peu plus globale, par tranche d'âge, que voici.
(pour compléter, voici également les mêmes courbes en fonction du sexe, hommes à gauche et femmes à droite)
on retrouve les courbes habituelles pour l'ensemble du lectorat de la bande dessinée, avec cette érosion à mesure que l'on avance en âge. mais on notera que les courbes par genre présentent des évolutions très contrastées.
pour le reste, vous retrouvez également les commentaires que j'ai pu faire précédemment: manga lecture générationnelle, comics un peu plus âgé et très masculin, domination du franco-belge chez les plus de 55 ans.
ce qui ressort aussi de ces graphiques, c'est que le domaine de la jeunesse (en dessous de 10 ans) est également dominé par le franco-belge, probablement du fait d'une offre manga ou comics très restreinte en la matière.
voilà, c'est tout pour cette semaine, comme toujours réactions/commentaires/questions/suggestions sont les bienvenues. je retourne à mes préparatifs pour la semaine prochaine, qui n'aura pas, exceptionnellement, de #TourDeMarché, pour les raisons que vous savez.
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jeudi dernier, GfK a présenté l'état du marché de la bande dessinée en 2021, saluant une année record sous le titre "plus rien n'arrête la bande dessinée". et comme on a maintenant les chiffres, l'occasion d'y consacrer ce nouveau #JourDeMarché. c'est parti.
pour commencer, je cite: "Les données GfK Market Intelligence révèlent un chiffre d’affaires 2021 de plus de 889 millions d’€ et 85,1 millions de titres vendus, soit des hausses respectives de +50% en revenus et +60% en ventes."
c'est intéressant en soi, mais si vous êtes familier.e de ce compte, vous savez que je trouve toujours assez limitée la comparaison d'une année sur l'autre, et que je préfère considérer (quand c'est possible) les évolutions sur une période plus longue. dont acte.
vous savez quoi? c'est un mercredi spécial aujourd'hui, puisque @livreshebdo vient de publier le top 50 des meilleures ventes de bande dessinée de l'année 2021. on est donc parti pour un #JourDeMarché un peu particulier, avec mon commentaire habituel.
pour les curieux qui seraient abonnés, ça se trouve ici: livreshebdo.fr/article/bandes…, avec un titre "spirituel" sur lequel je reviendrai un peu plus loin.
tout d'abord, on nous annonce depuis la rentrée dernière que 2021 allait battre tous les records, et c'est effectivement en bonne voie: ce top 50 cumule un peu plus de 9,5 millions d'exemplaires vendus, soit +89% par rapport au top 50 2020. ça donne le ton.
puisque le Festival d'Angoulême a révélé hier sa Sélection Officielle pour sa 49e édition, c'est l'occasion rêvée pour revenir un peu sur le fonctionnement de ce truc, et essayer d'apporter quelques réflexions à son sujet. #FIBD22
en théorie, le principe est simple, et opère en deux étapes: une Sélection Officielle effectuée dans la production de bande dessinée de l'année, dans laquelle un Jury va choisir les titres récompensés par le Festival.
jusqu'ici, tout va bien. sauf qu'il y a plusieurs sélections, plusieurs jurys, et plusieurs prix, et c'est là que ça peut devenir moins clair.
il y a eu pas mal de réactions sur le classement de Banana Fish ou de Tomie en "seinen" au moment de leur sortie en début d'année: en effet, les deux titres ont été publiés au Japon dans des revues classées "shôjo", phénomène qui n'est pas limité à ces deux titres en France.
cette situation pose la question de l'évaluation du véritable poids du shôjo en France, et de la réduction volontaire du genre de la part des éditeurs autour d'un plus petit dénominateur commun (et caricatural), à savoir les récits de romance.
curieux de voir ce qu'il en était vraiment au-delà des perceptions des un.e.s et des autres, je me suis (re)plongé dans les chiffres que j'ai utilisés pour le Panorama de la Bande Dessinée publié par @leCNL (centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/p…).
beaucoup de choses me viennent à l'esprit au moment du café en lisant cet article sur la question parfois épineuse de la réédition de certains titres de manga.
tout d'abord, le fait que cette pratique est monnaie courante dans l'édition, même si elle prend une tournure particulière dans le cadre de l'édition de manga, qui est de l'achat de droits.
du fait que ce soit de l'achat de droits, l'exploitation commerciale des mangas s'arrête de manière plus abrupte à la fin du contrat passé entre l'éditeur français et son partenaire japonais. d'où les annonces d'arrêts de commercialisation relayées sur certains sites.
petit thread matinal pour revenir sur ce que j'ai pu poster hier, alors que je regardais le webinaire organisé autour du 8e baromètre des relations auteurs/éditeurs (cf. scam.fr/Actualit%C3%A9…).
une question est revenue au cours de ces échanges, portant sur les à-valoirs, avec pas mal d'imprécisions autour de ce que cela représente, notamment de la part de Vincent Montagne (président du SNE).
ainsi, le système actuel repose sur le principe des à-valoirs: l'éditeur avance à l'auteur une partie des droits d'auteur que l'exploitation de l'oeuvre devrait rapporter. et lorsque l'oeuvre en question est publiée, l'éditeur se rembourse sur les premières ventes.