#ThorRagnarok a beaucoup de problèmes, mais pour moi, le plus important tient du fait que Marvel refusent encore et encore d'accorder un minimum de sérieux au sujet.
Je comprends que la formule du second degré cynique fonctionne. Et ça fonctionne même avec le personnage de Thor dans une certaine mesure. Mais quand on se décide à traiter de Ragnarok, ça devient compliqué.
Les comics sont un médium cyclique sans fin, et pourtant, les auteurs ont bien saisi le caractère final de l'événement dans la mythologie nordique et dans la mythologie marvellienne.
Roy Thomas avait abordé le sujet dans les années 1970 avec un arc consacré à la fin des temps pour les dieux. Sauf que ça n'était pas tombé de nulle part : il avait introduit la prophécie dans une pure tradition marvellienne : via un conte pour enfants. 
Ça lui permettait de préparer le terrain ET d'éduquer le lecteur sur un pan entier des mythes nordiques. Ici par exemple, avec Jormungand. 
Le récit se présentait comme une fable mythologique elle-même, avec des défis et un air solennel annonçant quelque chose de plus important à venir. 
Dans les numéros suivants, il transporte un groupe de caméramen sur Asgard. L'idée semble saugrenue, mais fera plus tard sens dans le dénouement de l'histoire. Surtout, il propose des visions de Ragnarok puissantes. 
Comme dans le film, Roy Thomas s'amuse avec la mythologie, il la modifie, en dédoublant par exemple Thor, ou en lui ôtant son marteau mais là encore, pour une bonne raison scénaristique, pas seulement pour faire monter les enjeux). 
Au final, les dieux d'Asgard passent près de la catastrophe, mais Ragnarok est évité de justesse grâce à une ruse d'Odin. Il s'agissait d'une manière intelligente de proposer le récit de la fin des temps sans mettre un terme au comic lui-même, évidemment. 
Cet arc rassemblait action, pages hautes en couleur, révérence à la mythologie et retombait sur ses pattes pour faire continuer la série. Mais le plus bel exemple de réinterprétation du Ragnarok a été proposé par Michael Avon Oeming en 2004.
Oeming avait un avantage : la série s'arrêterait après son arc. Logique, donc, de le consacrer au Ragnarok ! Dès le prologue, on sent que le ton embrace un premier degré forçant l'attention. 
Nous sommes donc enterritoire clairement mythologique, grandiose, qui apelle à l'émerveillement. Le récit continue en liant cela à l'historique marvellien (avec Odin tel qu'on le connait), ET avec l'histoire de notre monde réel : 
Comme dans les 70s, la mort de Balder annonce la fin des temps. 
Et Asgard est dévastée très rapidement. Cette stratégie permet au scénariste de faire comprendre que l'enjeu de l'histoire ne se situe pas dans la destruction d'Asgard, mais dans la façon qu'aura Thor de réagir. 
Le traitement des Warriors Three, dont le sort n'est pas plus reluisant dans la BD, bénéficie toutefois d'un ton autrement plus respectueux que dans le film. 
Et donc la façon dont Thor réagit au Ragnarok est brillante. Marchant sur les traces de son père, il se rend au puits du savoir et y sacrifie tout pour enfin voir la vérité. 
Il apprend que le Ragnarok est cyclique et que des êtres supérieurs se nourissent des morts récurrentes de son peuple. 
Thor choisit donc de briser ledit cycle, libérant son peuple d'un ordre cosmique qui les emprisonne.
Il perd donc ses yeux pour gagner la connaissance ultime, celle qui lui permet de percevoir la véritable nature de l'univers. Qu'apprend Thor en perdant son œil dans le film ? Rien.
Cette élévation de l'esprit permet au scénariste de repositionner le héros au sein de son univers et de celui de Marvel : 
Comment une BD peut-elle se révéler plus épique et cinématographique qu'un film ? Comme ça : 
Où est le sens de l'honneur, la recherche de la mort glorieuse, la dimension plus grande que l'homme ? L'émerveillement face à l'inconcevable. 
Les dernières pages figurent parmi mes moments de lecture préférés. Une vraie leçon de narration à l'échelle cosmique. Sidérant. 
Donc voilà, entre un comic galvanisant qui rend hommage à la mythologie nordique et marvellienne, ou un film cynique faussement irrévérencieux, mon choix est vite fait.
