Le temps passe et passe et passe, et l’journalisme a bien changé. Qui aurait pu s’imaginer qu’mon compte en banque s’rait si dépeuplé ? J’fais l’bilan calmement, en m’remémorant tout l’argent... En 2018, j’ai écrit 50 articles. Et j’ai gagné 9228 euros nets en tant que pigiste.
Ça fait 769 euros par mois, congés payés inclus.
On me dit dans l’oreillette qu’il faut travailler plus pour gagner plus. Avec en moyenne un article par semaine de taf, on pourrait croire que je ne me suis pas foulée. Sauf que j’en ai sorti 37 de mon cerveau, ai débroussaillé le sujet, trouvé les interlocuteurs appropriés…
Bah oui, pour ces articles de l’année 2018, j’ai fait 196 interviews (3,92 par article) et rédigé 536 721 signes (10 734 par article). Ajoutez à ça les mails envoyés aux rédactions pour les démarcher et proposer le sujet (et les milliards de relance), ça fait un bon temps plein.
Ah mais, suis-je sotte, seuls deux articles ont été rémunérés au feuillet. J’aurais dû ne pas faire d’interviews et pondre des articles plus courts, vite fait, bien fait. C’est de ma faute…
À moins que ce soit celle des rédactions qui exigent des articles de qualité, parfois un minimum d’interviews (5) et/ou de signes (4 feuillets), tiennent à ce que l’on interviewe quelqu’un dont il suffirait de citer un article universitaire et paient de manière forfaitaire 🤔
Et encore, je suis chanceuse : je n’ai pas dû créer d’auto-entreprise pour émettre des factures ni n’ai été payée en droits d’auteur (sans cotisation chômage notamment). J’ai carrément été payée en salaire !!!! (petit bémol : j’ai dû passer deux fois par une société de portage)
C’est tout moi, ça, je ne mesure pas ma chance, j’en demande trop. Je devrais pleinement me satisfaire de cette situation précaire. Surtout que (où avais-je la tête ?) la presse va mal, il n’y a plus d’argent, c’est de la faute d’internet…
D’ailleurs, j’en profite : MERCI INTERNET d’être un super bouc émissaire ! Sans toi et sans ton pote « métier passion », on aurait sûrement plus de mal à accepter que le modèle économique de la presse en ligne c’est l’exploitation des journalistes, à la pige ou en CDD.
On ne remerciera jamais assez non plus le taux de chômage, qui permet de tirer les prix vers le bas et de taire toute contestation (« Tu trouves que t’es mal payé-e ? Chut, là, là, reste calme et à ta place, on peut la donner à d’autres… »).
Le problème, c’est que je n’ai pas envie de me taire. Que c’est trop facile de dire « c’est la crise », « c’est internet », « c’est la direction »… Qu’une solidarité pas seulement entre pigistes mais entre journalistes serait la bienvenue.
Parce que les chef-fe-s ont aussi la responsabilité de défendre leurs pigistes (surtout pour des sites et des journaux qui n’existeraient pas sans nous). De refuser qu’ils soient payés autrement qu’à la pige, au feuillet, au rendu de l’article.
Les médias ne roulent pas tous sur l’or mais où va-t-on en publiant à tout-va des articles payés une misère ? Outre la qualité, sur laquelle on est conduit (parfois explicitement) à rogner, il faut se demander qui peut se permettre d’être pigiste dans de telles conditions…
Des tarifs opaques (et à la tête du client), des paiements forfaitaires et à la publication (si elle advient), en droits d’auteur, en facture, c’est non seulement précariser les pigistes mais c’est aussi précariser la profession.
En tout cas, moi, j’ai fait le bilan, très très calmement : sans les allocations Pôle emploi, que je peux cumuler avec mon faible salaire (petit point revenu universel) mais qui ne sont pas éternelles, je ne peux plus exercer mon métier.
Je ne sais pas encore de quoi sera fait 2019 ni comment je gagnerai ma vie. Tout ce que je sais, c’est que ça ne peut pas continuer ainsi.
Le journalisme et moi, ça fait plus de huit ans qu’on est ensemble mais notre relation est devenue trop compliquée. Et je peux affirmer que ce n’est pas le train-train quotidien qui nous aura tués 😞
