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1- C’est parti pour un nouveau millithread. Je suis lieutenant chef de section au 21e de Marine. Nous sommes en juillet 1993. Nous étions quelques mois plus tôt au Rwanda, nous voici maintenant projetés sans aucun préavis pour six mois au cœur de Sarajevo assiégée. 
2- Plusieurs de mes marsouins ont réussi à faire annuler leur départ en séjour outre-mer pour rester ensemble dans ce qui est alors l’endroit le plus dangereux du monde. Nous sommes heureux, mais nous n’avons pas de mission puisque nous sommes juste un geste diplomatique.
3- Nous occupons le site de Skanderja, nous passons notre temps à essayer de gagner les cœurs de la population environnante tout en perçant ceux des miliciens, qui ne cessent de nous harceler, sans parler des snipers bosno-serbes, et bien sûr des centaines d’obus tous les jours
4-Je reviendrai un jour sur cette passionnante période, mais allons plus loin lorsqu’enfin le bataillon reçoit une mission. Les Serbes venaient de lancer une offensive sur le mont Igman au sud de la ville. L’ONU leur disait que ce n’était pas bien du tout et qu’il fallait parler
5 -Les Serbes furent sensibles au message lorsqu’ils n’avancèrent plus. Ils dirent alors à la FORPRONU : « D’accord on arrête, mais à la condition que vous vous interposiez ». N’écoutant que leur courage qui ne leur disait rien, les diplomates onusiens nous envoyèrent.
6-Cela revenait à tenir à leur place les positions conquises par les Serbes, leur permettant ainsi de replier leurs troupes de choc et de les engager ailleurs. C’est ainsi que nous servions de jouets aux camps locaux et contribuions plus à la poursuite de la guerre qu’à sa fin.
7 -Le capitaine J., nouveau commandant d’unité, m’amène avec lui en VBL pour reconnaître la zone et voir où nous allons nous installer. Nous arrivons sur le plateau au bout d’une heure pour nous retrouver plongés dans une scène apocalyptique.
8- Nous sommes au milieu de centaines de combattants serbes en train d’incendier tous les sites et les hôtels construits pour les Jeux olympiques de 1984. Tous les barbus passent devant nous en riant très forts nous laissant au milieu d’une montagne en flammes.
9- Quelques jours plus tard, voici donc la 2e compagnie du 21e de marine qui part avec armes et bagages vers le mont Igman, enfin pas tout à fait parce que lorsque nous sommes à mi-chemin, le colonel nous appelle : « Vous avez bien perçu vos gilets pare-balles ? » « Nos quoi ? »
10- « La CCL vous avez bien équipé la 2 des gilets qui viennent d’arriver » « Euh ! Ben non, on s’est équipé nous ! » « … » Retour à la base, découverte de ce vêtement bien encombrant et nouveau départ. Relève des légionnaires du 2e Étranger qui avaient établi un 1er dispositif.
11- Là où les Serbes étaient des milliers, nous sommes une centaine éparpillés dans les bois. Nous nous doutons bien que les Bosniaques ont envie de reprendre leur position et pour cela nous passer dessus. J’ordonne à chaque groupe de construire un fort. Nous bûcheronnons.
12- Les fortins sont prêts lorsqu’on nous recevons l’ordre d’évacuer. Je reçois comme nouvelle mission de contrôler la route qui mène du carrefour du Krupac au plateau d’Igman. C’est immense et au lieu de nous éparpiller dans un bois, nous sommes éparpillés sur une longue route.
13- Krupac est bien visible au beau milieu d’une plaine. J’installe un groupe sur une position à l’abri d’où il pourra battre de ses feux cette position très exposée. Je me fais engueuler « Tu n’as rien compris, tu n’es là que pour être visible. Tu dois être sur la position ».
14-Au bout de deux jours, tout est en place lorsqu’un de mes chefs de groupe installé au milieu du dispositif sur un ancien poste bosniaque m’appelle : « J’ai devant moi des Bosniaques qui veulent se réinstaller sur leur position. Ils ont des mines à la main ». « J’arrive ! ».
15- J’arrive sur place, je vois une dizaine de gars armés le bord de la route, dont certains avec des mines. Je rends compte « Des Bosniaques veulent miner la route, je traite le problème ». Je reçois alors un appel de mon adjoint « Le PC a été attaqué, le capitaine a été abattu»
16-C’est parti pour un Live et je n’ai plus de chef. Que dois-je faire ? Ça se fricote sévère au PC et j’ai des abrutis qui veulent miner la route. Un coup d’œil sur la carte et je décide de foncer au secours du PC en passant au plus court.
17- Nous voilà donc dans une chaleur étouffante en train d’escalader une montagne équipés comme des porte-avions et alourdis de 10 kg par nos nouveaux gilets. Nous grimpons comme des fous, mais c’est loin, au bout de trois-quarts d’heure à fond, mon radio m’appelle.
18-Il a reçu un message du PC de Sarajevo : « mon lieutenant, les Bosniaques ont été repoussés de la zone du PC, mais ils sont en train de miner la route pour empêcher le capitaine d’être évacué » Quoi ? La route dont j’ai la responsabilité et dont je suis à plusieurs kilomètres.
19-Que faire ? Je décide de tout faire pour sauver le capitaine. J’ordonne au groupe de rester sur place et de disperser façon puzzle tous les Bosniaques qui passeraient, et je descends comme un dératé vers la route, suivi par mon radio qui est alors entre la vie et la mort.
20-Arrivée sur la route, VBL à fond et retour sur la position de départ où je retrouve mon groupe et mes Bosniaques avec les mines à la main. Le chef de groupe me confirme que le capitaine a bien été évacué sans encombre. Bien qu’ayant pris une balle dans le ventre, il sera sauvé
21-Je réalise alors que c’est mon compte-rendu initial « Des Bosniaques veulent miner la route » qui s’est mélangé à ceux du combat dans la zone du PC et a donné une fausse appréciation. Les Bosniaques qui sont en face de moi ne comprennent visiblement rien à ce qui se passe.
22- Je suis pris alors d’une grosse colère et je leur ordonne de foutre le camp et pour mieux me faire comprendre j’ordonne à tout mon groupe de se mettre en position de combat, en clair de les braquer. Raté, non seulement ils ne fuient pas, mais ils font la même chose que nous.
23-Nous voilà dans Reservoir Dogs, c’est un des films préférés, mais dans le cas présent j’aurais préféré un truc plus cool. Me voilà coincé. Un mauvais geste et c’est la boucherie. Pour tenter de montrer que mes intentions sont en fait plutôt pacifiques, je me mets au milieu.
24- Alors que je tente d’amorcer timidement un dialogue, je vois surgir un 4 X 4 avec les personnages de Reservoir Dogs. Costume noir, chemise blanche, lunette de soleil. Ils s’arrêtent, l’un d’entre eux va voir les Bosniaques et le conducteur me dit avec un accent épouvantable
25- « Calmez-vous, on va arranger tout ça » et ils partent vers le plateau. Les Bosniaques se replient, je viens d’être sauvé par la CIA, grande copine et fournisseuse des Bosniaques en contradiction totale avec tous les accords internationaux d’embargo.
26- La tension retombe. Quelques heures plus tard, un colonel ukrainien vient me voir et m’explique qu’ils vont me relever sur ma position. Je lui explique la situation tactique, mais visiblement cela ne l’intéresse pas. Sa seule question est « Vous avez du vin ? ».
27- La relève effectuée, je rentre à la base, un peu dépité. Surtout, je dois après plus de deux ans je dois abandonner ma section pour devenir officier-adjoint de la compagnie. FIN
