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J’ai hésité à me lancer, mais cette chronique me hante, même 10 jours après, donc allons-y, expurgeons.

Tu peux muter le mot "rhétorique" et pardon d'avance, c'est un poil longuet.
Je ne suis pas un littéraire ni un linguiste, mais en tant que communicant, j’ai tout de même quelques notions de l’analyse du discours et un exemplaire de la Rhétorique d’Aristote quelque part dans ma bibliothèque.
Et là, le Clément, il nous a donné une leçon de rhétorique, mais pas de la façon dont on peut le penser. Parce que oui, mesdames et messieurs, Clément nous trompe.
Il prétend transmettre un savoir (comment analyser un discours) alors qu’il ne cherche en fait qu’à recueillir l’assentiment du public.

Il prétend faire de la dialectique, alors qu’il ne fait que ... de la rhétorique.
Rappel, le triangle de la rhétorique antique est : les « arguments » le logos, les « passions » le pathos, le « caractère » l’ethos.

Clément va tout miser sur l’ethos, mais d’arguments vous ne trouverez point. (But de l’éthos : inspirer confiance, en touchant les valeurs)
Pour donner cette image positive de lui-même, l’orateur peut jouer de 3 qualités fondamentales : phronesis, aretè & eunoia (oui, ça pète, il doit les conserver pour de futures chroniques).
Aristote les expose au début du 2ème livre de la Rhétorique (Rhét., II, 1, 1378 a 6sqq.) :
La prudence : il ne prend jamais position.
La vertu : il commence par dire qu’il condamne les menaces de viol et de mort (c’est lui-même qu’il place au centre de son discours)
La bienveillance : il va dire qu’il comprend toutes les parties et que leurs sentiments sont légitimes
Vous aurez aussi noté chez Aristote « les orateurs altèrent la vérité ». Chez Clément cette altération est surtout de la simplification à outrance. Par ex., dès son « résumé de l’affaire », il omet de préciser que les propos de Mila font suite à des insultes et menaces homophobes
Pourquoi fait-il ça ? Parce que son propos est de mettre en équivalence les 2 # pour pouvoir les comparer. Dans son résumé, il y a une insulte qui répond à une insulte. S’il incluait l’homophobie, cela ferait « 2 insultes contre 1 », il ne pourrait plus les traiter à égalité.
Autre exemple (mais c’est en truffés), il réduira les auteurs des menaces à des « extrémistes religieux » (3mn16). Si seulement c’était le cas, ça simplifierait effectivement le problème. Ca le simplifierait tellement qu’il n’y en aurait pas, d’ailleurs.
Enfin, évidemment, toute sa chronique est simpliste. Comme si l’affaire Mila pouvait se régler grâce à un débat sur le signifiant et le signifié d’une métonymie et se conclure par « faire du mal aux gens, c’pas bien, aimons nous vivants ».
Mais encore une fois, pourquoi fait-il ça ? Parce que justement Clément est un rhéteur. Et les questions de base de la rhétorique sont : qu’est-ce qui est hors-question, qu’est-ce qui est en question, qu’est-ce qui, dans les positions respectives des adversaires, est négociable ?
Toute sa chronique vise ainsi à trouver un terrain d’entente où #mila et #pasmila peuvent se réconcilier. De l’articulation de la problématique à la conclusion, c’est son unique objectif : réunifier son auditoire, statistiquement divisé sur cette affaire.
Car, et c’est criant sur Twitter, on négocie souvent ce que l’on EST au travers de ce que l’on DIT , ce qui fait que l’on vexe souvent des gens avec qui on n’est simplement pas d’accord. On se sent remis en question, précisément du fait des questions qui sont soulevées.
C’est pour cette raison que la relation rhétorique détourne souvent ces questions par un discours convenu ou flatteur. L’autre ne se sent pas mis en question par de tels discours, dont la fonction n’est pas de dire quelque chose mais de conforter quelqu’un.
On croit que c’est du cas Mila dont Clément argumente, alors que c’est de la position relative des intervenants. Il négocie en réalité une distance et une différence (en la minimisant), alors qu’il semble débattre seulement d’une question.
Mais pourquoi ça m’énerve alors ? Ca a l’air de partir d’un bon sentiment. Parce que la « promesse » de sa chronique est d’éclairer son auditoire et de lui transmettre un savoir. Or il l’enfume. Par les mêmes techniques qu’il est censé décortiquer.

-fin-
PS, bibliographie si vous voulez creuser :

- "Ethics and Language" Charles Leslie Stevenson
- "Comment repenser le rapport de la rhétorique et de l’argumentation ?" Michel Meyer
- "L'ethos, de la rhétorique à l'analyse du discours" Dominique Maingueneau

et Aristote, bien-sûr
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