10 octobre... comme le 10 octobre 1793, jour où Saint-Just prononce son discours sur « la nécessité de déclarer le gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix ».
Ce discours est fondamental pour s’extirper du biais cognitif qu’implique le mot Terreur.
I. Au préalable, il convient de dire qu’il est impossible de comprendre le déroulement de la Révolution française en l’analysant avec les lunettes du présent, celles d’un temps relativement stable et de paix, et sans avoir au moins 3 données en tête :
II. 1/ En proclamant la souveraineté de la Nation contre la monarchie « usurpatrice » (Saint-Just), la Révolution déclenche un face à face entre L’Absolutisme et la Nation qui ne peut se terminer que par l’éradication de l’un ou de l’autre.
III. 2/ La monarchie française, forte de 13 siècles de règne, ne peut accepter sans ciller pareille Révolution qui bouscule son ordre et son existence.
Elle oscille donc entre refus et résignation. Mais au fond, par l’intermédiaire de Louis XVI puis des coalisés, elle résiste.
IV. 3/ La Révolution est ainsi un conflit qui va devenir guerre. Une guerre d’anéantissement réciproque.
L’enjeu n’est pas une simple bataille avec, à l’issue, la possibilité pour les deux camps de repartir chez soi compter ses morts et ses blessés.
C’est une lutte à mort.
V. On raconte ainsi que le mot d’ordre des généraux royalistes donné aux troupes lors des premiers affrontements contre le camp patriote est « pas de quartier ».
Les Révolutionnaires reprendront à leur compte ce mot.
VI. Car en 1793, la Révolution est au bord de l’abîme.
A l’extérieur, elle est cernée par l’ensemble des monarchies européennes coalisées pour éteindre le feu révolutionnaire afin qu’il ne se propage pas.
A l’intérieur, des soulèvements ont éclaté à différents endroits.
VII. Soulèvements d’abord royalistes, encouragés par la fidélité au roi et le discours des prêtres réfractaires. Puis soulèvements dû au refus de la conscription militaire, parfois excités par la faim, puis par la Gironde dans sa lutte fratricide avec la Montagne.
VIII. Enfin, l’intérieur même du camp révolutionnaire est miné par la corruption, les palinodies (Dumouriez) ce qui entraîne méfiance, soupçon, parfois paranoïa.
De ce fait, lorsque Saint-Just prend la parole en octobre 1793, la survie de la Révolution est en jeu.
IX. Ce qu’on sait assez peu, c’est que ce discours vise d’abord« l’état » de la Révolution. Il commence ainsi par une sorte de « passage en revue » des troupes et fait tomber un constat amer : « Les lois sont révolutionnaires, ceux qui les exécutent ne le sont pas ».
X. Saint-Just accuse d’abord son propre camp d’être la cause des « malheurs publics ». Par « faiblesse », « dans le peu d’économie de l’administration », « dans l’instabilité des vues de l’Etat, dans la vicissitude des passions qui influent sur le gouvernement ».
XI. C’est ici que Saint-Just forge « l’ethos révolutionnaire » qui sera repris aussi bien par Lénine, Trotski ou Gramsci.
La Révolution parce qu’elle est constammt sous le péril de la réaction et de la contre-révolution doit appeler à une pleine vigueur sous peine de disparaître
XII. Il écrit: « Vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes ; vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle ».
XIII. Aujourd’hui cette radicalité qui n’accepte pas l’entre-deux subjugue ou effraie selon les sensibilités.
Mais en tout état de cause, il faut absolument situer ces formules dans le contexte funeste qui se résume pour les révolutionnaires à une alternative : vaincre ou mourir
XIV. Saint-Just a en effet en tête tous les soulèvements populaires du Moyen Âge et de l’Ancien Régime qui, faute de radicalité et d’organisation, ont fini matés et anéantis par des répressions sanglantes que la grande Histoire tait alors.
XV. Ce rappel à l’ordre vise à faire réaliser qu’il s’agit d’une guerre d’anéantissement entre deux régimes : La République et la Monarchie
Il dit : « Il est temps d’annoncer une vérité qui désormais ne doit plus sortir de la tête de ceux qui gouverneront : la République ne sera
XVI. fondée que quand la volonté du souverain comprimera la minorité monarchique, et régnera sur elle par droit de conquête ».
On peut voir ici comme Saint-Just est imprégné des conflits historiographiques du XVIIIe s et de ce qu’on a appelé « la guerre des mémoires »
XVII. Partant de cet exposé, on comprend ainsi que pour le Comité de Salut Public représenté par Saint-Just, il ne s’agit pas de désir de sang, de délire « terroriste » ou d’amour du massacre comme on le lit souvent dans le récit contre-révolutionnaire.
XVIII. Saint-Just raisonne juridiquement, en se fondant sur le droit.
Du droit naturel, il puise la souveraineté du peuple et le droit de conquête (C’est sur ce droit que s’établissait la justification des droits spéciaux de la Noblesse au XVIIIe siècle, cf. Boulainvilliers).
XIX. Du droit positif, il hérite d’une notion clef de la philosophie politique depuis l’Antiquité : l’état d’exception.
Selon cette vision, l’organisation de la Cité doit prévoir 2 temporalités : un « état normal » (de « nomos », la norme en grec) et un « état d’exception ».
XX. Le grand professeur d’Histoire du droit, François Saint-Bonnet, en a tracé la généalogie dans un livre fondamental.
L’ « état normal » est celui du temps de paix durant lequel les institutions et la législation fonctionnent selon les critères définis par le pouvoir souverain
XXI. Mais pour tout régime, lorsqu’il y a 1. Un imminent péril menaçant l’existence de l’Etat et 2. Une impérieuse nécessité de prendre des mesures pour sauver l’Etat, alors les juristes considèrent qu’il est logique de « suspendre » cet « état normal » pour trouver à le défendre
XXII. Aux yeux des révolutionnaires, ces éléments constitutifs (péril, nécessité) sont évidemment présents.
En octobre 1793, si aucun mesure d’exception n’est prise, la République ne peut survivre à la triple attaque conjuration-guerre civile-guerre militaire.
XXIII. Fort de cette logique, Saint-Just appelle à « suspendre » la légalité constitutionnelle (c’est à dire la Constitution du 24 juin 1793) et proclamer « le gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix », c’est à dire l’état d’exception, ce qui justifiera les mesures spéciales
XXIV. Il est donc parfaitement faux de qualifier la période 1793-1794 d’anarchie comme le font Taine et ses zélateurs (Laurent Deutsch).
Une véritable pensée juridique et philosophique justifient ce choix.
Restent plusieurs quest que je traiterai dans un second thread demain.
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C’est un livre dont on ne sait s’il faut/si on peut le conseiller tant il est dérangeant, oppressant, et pour tout dire, terrifiant car il touche à un des points de rupture le plus fondamental de la psyché collective : le meurtre d’enfants. #VendrediLecture 1/4
L’audace incroyable de Leïla Slimani est de ne pas avoir écrit un simple récit d’horreur en sombrant dans l’histoire fantastique d’une nounou maléfique à la Stephen King ;
Mais de décrire d’abord la grande pauvreté, la spirale de l’endettement, la misère affective
2/4.
En cela, il s’agit d’un roman sociologique, glaçant, moins intéressant pour son style qui n’a rien de particulier, que pour son arrière fond « social » décrivant une nouvelle lutte des classes avec la froideur d’un rapport d’autopsie car Slimani n’émet jamais de jugement.
3/4
Commencement de la Première République de l’Histoire de France.
L’occasion de préciser quelques éléments clefs permettant de mieux comprendre ce qui s’est joué durant cette journée. #HistoiredelaRépublique
1. Contrairement à ce que l’unanimité de la célébration laisse entendre, retenir le 21 septembre 1792 comme date du commencement de la République pose question.
2. Si on veut être parfaitement précis, il faudrait mieux retenir le 22 septembre, c’est-à-dire le lendemain, lorsqu’il est décidé sur proposition de Billaud-Varenne, qu'à compter de ce jour les actes publics seront datés « de l'an I de la République ».
4 septembre... comme le 4 septembre 1870, jour de Proclamation de la IIIe République.
Profitons de cette date pour expliquer brièvement comment la naissance de la IIIe République illustre notre thèse (avec @saintvictor75) d’un républicanisme français pluriel et dialectique.
1. Ce 4 septembre 1870, le camp républicain qui avait perdu tout espoir de voir revenir la République après les résultats du plébiscite du 8 mai 1870 s’empare de l’Hotel-de-ville à la faveur de la défaite de Sedan, de l’abdication de Napoléon III et d’un soulèvement populaire.
2. Mais cette proclamation du mot, plus petit dénominateur commun des hommes sur le balcon de l’Hotel-de-Ville, ne dit rien du contenu du nouveau régime. Alors recommence, comme en 1848, l’affrontement interne au sein de la République.
Revue de presse - 3 articles : 1. Jean-Pierre Siméon au sujet du "pouvoir de la poésie" in @MarianneleMag 2. Les sociologues Pierre Bitoun et Yves Dupont qui nous parlent du "monde paysan" dans @voixdelhexagone 3. L'alternative écologique au béton par C. Granja in @Socialter
1. Auteur du beau "La poésie sauvera le monde", J.-P. Siméon livre une réflexion sur la croissance et la technè et rappelle à juste titre que la poésie "dénonce depuis ses origines "le culte de l'apparence au profit d'une réalité plus profonde et complexe" marianne.net/culture/jean-p…
2. Interviewés par @ella_micheletti, les sociologues P. Bitoun et Y. Dupont à qui on doit "Le sacrifice des paysans", dressent un panorama très intéressant de la "situation du monde agricole" notamment au regard de la préoccupation de la souffrance animale voixdelhexagone.com/2020/08/10/nen…
1. On l’a dit hier, évoquer une « révolution bourgeoise » avec dédain et pour disqualifier l’œuvre de la RF est au mieux une mécompréhension de Marx, au pire, une incapacité à comprendre la mécanique interne de cette Révolution.
2. Pour dénoncer cette vue courte, j’ai insisté sur la révolution juridique qu’amènent en + des transformations politiques et sociales les DDHC (1789 &1793). Soudainement, la source du droit passe du ciel à la terre, de Dieu aux hommes. La France théocratique devient démocratique
26 août... comme le 26 août 1789, date de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.
Profitons de cette occasion pour déconstruire le mythe de 1789 comme simple « révolution bourgeoise ».
1. Le premier problème de l’expression « révolution bourgeoise » est qu’elle est, pour la plupart du temps, utilisée comme une expression disqualifiante.
Il n’y aurait eu qu’un simulacre de révolution et, comme je le lis souvent, rien n’aurait changé en réalité.
2. Nonobstant l’incurie intellectuelle de ce propos au vu des transformations sociales profondes qu’a fait naître la Révolution - on parle alors de « tabula rasa » - cette vision croît souvent se fonder sur la vision marxiste de l’histoire. À tort.