L’automne rôde à nos portes et le mois nouveau appelle à relire (ou lire) cette nouvelle souvent délaissée de Flaubert (« Novembre », 1842),
écrit de jeunesse qu’il a un peu renié et qui éclaire pourtant si bien toute son œuvre. #VendrediLecture#Thread#litterature
1. Il y a « plusieurs » Flaubert.
Le jeune Flaubert, le Flaubert de la maturité et le Flaubert au soir de sa vie.
Le dernier est réactionnaire en atteste ses commentaires sur la Commune,
Celui du milieu - le plus connu - a quelque chose d’un « anar’ de droite », détestant
2. les conventions bourgeoises sans chercher à y substituer une société nouvelle.
Il y a chez ce Flaubert une sorte de refus de ce Monde qui n’investit pas pour autant le souffle socialiste/marxiste de son temps que d’aucuns croient alors régénérateur.
3. Car probablement que chez Flaubert « croire » c’est intégrer toute la logique de la croyance : celle du religieux mais aussi celle de l’espérance.
Et pour Flaubert, c’est là que réside le germe des grandes douleurs.
4. Le seul moyen de ne jamais désespérer, de ne pas être un désespéré, c’est de ne pas commencer à espérer.
Voilà la maxime flaubertienne.
Beaucoup peuvent y voir du cynisme. Mais en lisant « Novembre » ou « Mémoire d’un fou », il est possible d’en avoir une toute autre lecture
5. Le jeune Flaubert qui a écrit ces œuvres est alors un pur produit du romantisme, nourri au « mal du siècle » et au «Werther» de Goethe.
Il donne à voir ce que « les Enfants du siècle », ceux du XIXe, désirent plus que tout et qu’ils ont découvert dans la Révolution : L’absolu
6. La figure omniprésente de Napoléon dans cette littérature du XIXe est caractéristique de ce désir d’absolu.
Le romantisme en est une autre.
Et Flaubert avant de devenir le Flaubert de la maturité pousse dans ce terreau où aimer permet de toucher l’absolu.
7. Dans « Novembre », il écrit ainsi : « Je fus bientôt pris du désir d’aimer, je souhaitai l’amour avec une convoitise infinie, j’en rêvais les tourments, je m’attendais à chaque instant à un déchirement qui m’eût comblé de joie »
8. Ce passage montre comme le « mal du siècle » est bien cette définition que Hugo donnait de la mélancolie : « le bonheur d’être malheureux ».
Bien sûr il y a là l’expression d’une bourgeoisie suffisamment oisive pour avoir le temps de contempler ses vagues à l’âme,
9. Mais c’est aussi un pis-aller existentiel en l’absence/mort de Dieu.
Depuis longtemps Dieu ne répond plus, entraînant l’étouffement de l’existence et sa noyade dans « les eaux glacées du calcul égoïste ».
Alors reste les livres : comme un lieu de résistance.
10. Flaubert en fait l’aveu là aussi dans « Novembre »:
« Ces passions que j’aurais voulu avoir, je les étudiais dans les livres ».
La littérature fait figure d’asile pour le jeune Flaubert, elle construit un ailleurs enchanté contre la fadeur de son quotidien (Comme Emma B.)
11. C’est là que se dessine la fracture qui va faire de lui l’écrivain que nous connaissons.
Dans les livres, il va aspirer à une vie qu’il ne trouvera jamais. Lancé dans la carrière, il ira de de déception en déception comme il le met en scène dans « L’éducation sentimentale »
12. Le Flaubert écrivain de génie est un Flaubert plus désabusé qu’usé ; c’est un homme « revenu de tout », à commencer par le romantisme, qui se regarde entre ironie, affliction, rage et tendresse ;
ces sentiments que l’on retrouve si souvent dans les personnages qu’il peint.
13. Flaubert est un désenchanté,
au sens de Max Weber.
Il a, avant le sociologue, fait l’expérience amère que la magie n’existe pas, ou plus.
Depuis « Novembre », il découvre qu’on peut « mourir de tristesse ». Il en tire un syllogisme âpre - ou aigre-doux selon les sensibilités
14.
Tu ne veux pas mourir ?
Alors pour cela, évite-toi les grandes tristesses.
Et pour y parvenir, n’attend rien de la vie.
15. Inspiré du bouddhisme de Gotama Siddhartha et préfigurant l’absurde de Camus ou Beckett, Flaubert fonde la possibilité d’une vie qui ne sombre ni ne chavire.
En évitant les tempêtes, en voguant sans heurts,
en choisissant « la mélancolie des paquebots ».
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On se demande toujours si cela vaut la peine de gaspiller du temps à critiquer les choix éditoriaux de Stéphane Bern ou la propagande contre-révolutionnaire d'un L. Deutsch, mais puisque beaucoup me demandent mon avis sur la série Netxflix "La Révolution", je vais en dire un mot.
1. En réalité, je ne devrais rien rajouter à ce qu'a dit @jcbuttier : c'est un navet.
Et comme pour tout navet, le seul commentaire à y ajouter devrait être d'encourager à passer son chemin et d'aller ouvrir un livre de Michelet, Quinet, Mathiez, Walter ou Soboul.
2. Mais il y a une chose qui peut et doit susciter plus que ce désintérêt. C'est l'effet délétère que peut produire cette série.
J'ai tendance en effet à considérer que toutes nos analyses doivent partir du réel, des conditions matérielles de vie, de l'ethos populaire
Pour les amoureux d'Histoire des idées politiques, un petit thread sur un livre peu connu mais à l'influence pourtant majeure sur l'histoire révolutionnaire :
"Que faire" (1863), de Nikolaï Tchernychevski,
ce roman qui a bouleversé Dostoïevski, Lénine, Emma Goldman, Nabokov...
1. "Que faire ?" n'est pas un traité politique mais un roman à première vue assez inoffensif et dont on peine au commencement à comprendre pourquoi il a tenu une place si importante dans la littérature révolutionnaire.
2. Quelque part entre Goethe, Balzac et Dostoïevski, il narre les problématiques amoureuses & sociales de différents protagonistes (Vera Pavlovna, Lopoukhov, Kirsanov) dans un style un peu ampoulé et pas toujours simple à suivre (le problème de traduction est palpable).
Ici et là, on interroge sur ce que la politique peut et doit répondre à la situation de désolation que nous traversons. Nous ratons, je crois, une étape.
Nous intimons la politique pour masquer que nous avons en grande majorité abandonné son préalable fondateur : le politique.
Nous avons oublié les enseignements de la philosophie politique, nous avons oublié que nous sommes enfants d'une tragédie : nous sommes animal social, condamné à devoir vivre avec les autres.
La création de la Cité découle de cette fatalité, le nomos grec, le jus romain aussi.
La récente gestion de cette donnée par la démocratie est "un accident" comme le dit Moses Finley dans L'Invention de la politique. C'est à dire qu'elle est une nouveauté de l'Histoire, un bien précieux que nous sommes en train de perdre faute de ne plus "penser le commun".
La Nation est un mot qui pose question. Je le comprends car je ne l’ai pas reçu en héritage et j’appartiens à une génération pour laquelle il est un mot chargé négativement. Je sais bien ce qu’il charrie.
J’ai toutefois décidé de le questionner pour @RevueGerminal
Explications.
1. J’essaie de comprendre d’abord pourquoi ce mot est tant rejeté.
J’y vois 2 raisons principales. D’une part, il est lesté des horreurs du XXe s : les 2 guerres mondiales, le colonialisme, le fascisme, la Shoah. Il est perçu comme le premier domino qui entraîne les autres dans
une réaction en chaîne funeste. Il faudrait dc veiller à ne jamais le remettre debout
D’autre part, l’extrême-drte, qui traditionnellement mobilisait plutôt la monarchie & le catholicisme, use désormais du vocable depuis que la gauche l’a abandonné, créant ainsi un cercle vicieux
des interviews passionnants de la sociologue Dominique Schnapper par @CareniniE et E. Phatthanasinh ; et de l’économiste Michel Aglietta par @hugo_bruel d’@h_gauche et @ULojkine.
10 octobre... comme le 10 octobre 1793, jour où Saint-Just prononce son discours sur « la nécessité de déclarer le gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix ».
Ce discours est fondamental pour s’extirper du biais cognitif qu’implique le mot Terreur.
I. Au préalable, il convient de dire qu’il est impossible de comprendre le déroulement de la Révolution française en l’analysant avec les lunettes du présent, celles d’un temps relativement stable et de paix, et sans avoir au moins 3 données en tête :
II. 1/ En proclamant la souveraineté de la Nation contre la monarchie « usurpatrice » (Saint-Just), la Révolution déclenche un face à face entre L’Absolutisme et la Nation qui ne peut se terminer que par l’éradication de l’un ou de l’autre.