On se demande toujours si cela vaut la peine de gaspiller du temps à critiquer les choix éditoriaux de Stéphane Bern ou la propagande contre-révolutionnaire d'un L. Deutsch, mais puisque beaucoup me demandent mon avis sur la série Netxflix "La Révolution", je vais en dire un mot.
1. En réalité, je ne devrais rien rajouter à ce qu'a dit @jcbuttier : c'est un navet.

Et comme pour tout navet, le seul commentaire à y ajouter devrait être d'encourager à passer son chemin et d'aller ouvrir un livre de Michelet, Quinet, Mathiez, Walter ou Soboul.
2. Mais il y a une chose qui peut et doit susciter plus que ce désintérêt. C'est l'effet délétère que peut produire cette série.

J'ai tendance en effet à considérer que toutes nos analyses doivent partir du réel, des conditions matérielles de vie, de l'ethos populaire
3. et actuellement, on se doit de reconnaître que Netflix a mille fois plus d'influence sur nos jeunes générations que les travaux consciencieux de maints chercheurs.

Et je crois qu'il ne sert à rien d'être totalement réfractaire à cela car c'est une donnée factuelle
4. Restait dans ces conditions à espérer que Netflix ferait un travail de pédagogie historique correct.

La série de HBO "Rome" par exemple n'était pas dénuée d'intérêt pour expliquer à un profane les crises de la Res publica au Ier siècle av. n.è et situer l'avènement d'Auguste
5. Ici, avec "Révolution", on assiste à une véritable "publicité mensongère" et à un massacre de l'Histoire.

La série, d'une part, ne traite aucunement de la Révolution avec ce qu'on pourrait imaginer de personnages historiques et d'évènements réellement advenus ;
6. mais d'autre part, elle a la prétention de raconter une vérité qu'on nous aurait tue. C'est l'incipit de la série.

Elle cherche ainsi à s'inscrire dans un climat d'époque : celui de la défiance, celui d'une prise de conscience que l'Histoire est écrite par les vainqueurs.
7. Programme alléchant qui n'est en réalité qu'une prétexte à 8 épisodes façon "Pacte des loups" vs "La nuit des morts vivants" avec esthétisme putassier, lourdeurs des ralentis, surexpositions des couleurs et jeu emprunté au possible.

La catastrophe artistique annonce le reste.
8. Les présupposés idéologiques (involontaires ?) donnent le leadership à une noblesse qui se révolte et entraîne une troupe de rebelles façon "Robin des bois" à entrer en résistance.

Le spectateur profane ne découvrira rien du long travail des siècles qui depuis la Réforme
9. interroge sur ce que "l'autorité" signifie, n'entendra ni les prémices de la contestation par la tradition républicaine, ni la naissance du rationalisme par Descartes et Spinoza.

Il ne saura pas la différence entre Lumières modérées et Lumières radicales. Il ne verra pas que
10. derrière la ligne d'Alembert/Voltaire partisane d'une monarchie tempérée, il s'est développée une tendance plus audacieuse, démocrate, allant de Diderot à Rousseau.

Il n'apprendra pas que derrière les matérialistes post-spinozistes que sont La Mettrie, Helvétius et d'Holbach
11. il y a les sources du matérialisme historique de Marx, tout comme dans les écrits du Curé Meslier, Dom Deschamps et Morelly, il y a une critique radicale de la propriété privée anté-marxiste.

Il ne saura pas, grâce à quelques heures de visionnage qui peuvent servir
12. pour l'essor d'une culture populaire, que la Révolution française n'est ni déclenchée par une élite éclairée qui aurait lu 3 essais philosophiques, ni par un peuple autogéré guidé par la faim.

Il aurait pu y découvrir les raisons entremêlées, les causes variées
13. les emprunts aux révolutions anglaises/hollandaises/américaines et les spécificités françaises : la fronde parlementaire depuis le XVIe s, la volonté de se constituer en Nation ; le rejet de l'absolutisme et des privilèges ; l'amour sacré de la Patrie, la passion de l'égalité
14. la quête de sublime et la vocation universaliste incarnée dans le combat contre toutes les tyrannies du monde.

Enfin et surtout ; la série aurait pu montrer que la Révolution a été faite dans le but d'atteindre la justice sociale et le "bonheur commun".
15. En ce sens, cette série est révélatrice d'une tendance lourde et grave de notre époque.
De partout émane une critique du modèle de la "démocratie libérale", de son fonctionnement (gouvernement représentatif), de ses étais (les médias, les partis), de sa tendance oligarchique.
16. Et cela peut - et doit, selon moi - être considéré comme une potentialité revitalisante de la démocratie.

Car il y a démocratie lorsque les citoyens ont conscience qu'ils sont concernés par les affaires de la cité, qu'ils doivent réfléchir, débattre, délibérer.
17. Critiquer les dysfonctionnements de la démocratie au nom de l'idéal démocratique est ainsi une part de la vitalité démocratique.

Et l'appel à l'histoire, fut-ce pas les séries, peut servir à nourrir cette critique refondatrice, à condition qu'elle pense la raison politique.
18. Ici, on voit que si on nous a menti (sic), c'est parce que la RF aurait été une affaire de lutte contre des "sangs bleus" contaminés par un virus offrant l'immortalité.

Bel exemple d'un complotisme qui a parfois raison de chercher à interroger les vérités officielles
19. mais qui se fourvoient sur les causes.

Si l'ensemble de la population peut se dire "dupé" sur l'Histoire de la RF, ce n'est pas parce qu'elle est l'oeuvre souterraine de démons ou de francs-maçons (thèse de l'abbé Barruel) mais parce qu'elle est infiniment complexe
20. parce qu'il faut des années d'études pour en comprendre les ressorts, les tensions, les strates économiques/politiques/juridiques, les soubassements historiques, les perspectives philosophiques, les contradictions internes, les dynamiques en arabesque.
21. En résumé, on connaît mal la Révolution française non parce qu'on nous cache sa vérité, on connaît mal la Révolution française car elle est un champ d'amplitude extrêmement vaste qui exige une plongée en termes de lecture/apprentissage/réflexion qui se compte en décennies.
22. Pareille est l'observation du système économique dont on aimerait que l'inique cours soit la simple responsabilité d'un Ordre mondial occulte comme dans X-Files.

Mais la réalité est autre. Cette iniquité est là, accessible, sous nos yeux à condiition qu'on l'étudie.
23. Marx l'appelait "les fils invisibles du capitalisme" et donnait pour ambition à son livre "Le Capital" de les mettre en lumière.
24. S'il y a une chose urgente et nécessaire en vue de la justice sociale à laquelle la culture populaire doit prendre part, c'est de faire comprendre la complexité Monde.

Car c'est seulement en soumettant cette complexité à l'esprit philosophique que l'on pourra le transformer

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6 Nov
L’automne rôde à nos portes et le mois nouveau appelle à relire (ou lire) cette nouvelle souvent délaissée de Flaubert (« Novembre », 1842),
écrit de jeunesse qu’il a un peu renié et qui éclaire pourtant si bien toute son œuvre.
#VendrediLecture #Thread #litterature
1. Il y a « plusieurs » Flaubert.
Le jeune Flaubert, le Flaubert de la maturité et le Flaubert au soir de sa vie.

Le dernier est réactionnaire en atteste ses commentaires sur la Commune,
Celui du milieu - le plus connu - a quelque chose d’un « anar’ de droite », détestant
2. les conventions bourgeoises sans chercher à y substituer une société nouvelle.

Il y a chez ce Flaubert une sorte de refus de ce Monde qui n’investit pas pour autant le souffle socialiste/marxiste de son temps que d’aucuns croient alors régénérateur.
Read 16 tweets
3 Nov
Pour les amoureux d'Histoire des idées politiques, un petit thread sur un livre peu connu mais à l'influence pourtant majeure sur l'histoire révolutionnaire :

"Que faire" (1863), de Nikolaï Tchernychevski,

ce roman qui a bouleversé Dostoïevski, Lénine, Emma Goldman, Nabokov...
1. "Que faire ?" n'est pas un traité politique mais un roman à première vue assez inoffensif et dont on peine au commencement à comprendre pourquoi il a tenu une place si importante dans la littérature révolutionnaire.
2. Quelque part entre Goethe, Balzac et Dostoïevski, il narre les problématiques amoureuses & sociales de différents protagonistes (Vera Pavlovna, Lopoukhov, Kirsanov) dans un style un peu ampoulé et pas toujours simple à suivre (le problème de traduction est palpable).
Read 22 tweets
1 Nov
Ici et là, on interroge sur ce que la politique peut et doit répondre à la situation de désolation que nous traversons. Nous ratons, je crois, une étape.

Nous intimons la politique pour masquer que nous avons en grande majorité abandonné son préalable fondateur : le politique.
Nous avons oublié les enseignements de la philosophie politique, nous avons oublié que nous sommes enfants d'une tragédie : nous sommes animal social, condamné à devoir vivre avec les autres.

La création de la Cité découle de cette fatalité, le nomos grec, le jus romain aussi.
La récente gestion de cette donnée par la démocratie est "un accident" comme le dit Moses Finley dans L'Invention de la politique. C'est à dire qu'elle est une nouveauté de l'Histoire, un bien précieux que nous sommes en train de perdre faute de ne plus "penser le commun".
Read 5 tweets
25 Oct
La Nation est un mot qui pose question. Je le comprends car je ne l’ai pas reçu en héritage et j’appartiens à une génération pour laquelle il est un mot chargé négativement. Je sais bien ce qu’il charrie.
J’ai toutefois décidé de le questionner pour @RevueGerminal
Explications.
1. J’essaie de comprendre d’abord pourquoi ce mot est tant rejeté.
J’y vois 2 raisons principales. D’une part, il est lesté des horreurs du XXe s : les 2 guerres mondiales, le colonialisme, le fascisme, la Shoah. Il est perçu comme le premier domino qui entraîne les autres dans
une réaction en chaîne funeste. Il faudrait dc veiller à ne jamais le remettre debout
D’autre part, l’extrême-drte, qui traditionnellement mobilisait plutôt la monarchie & le catholicisme, use désormais du vocable depuis que la gauche l’a abandonné, créant ainsi un cercle vicieux
Read 17 tweets
24 Oct
Le coeur lourd des maux qui nous accablent, je signale malgré tout que notre revue collective @RevueGerminal est à présent en kiosque

Elle répond, je crois, au kaïros de notre temps : comment recréer du collectif inclusif alors que l’atomisation et l’aliénation nous fragmentent? Image
On y trouve, en plus d’une de mes humbles contributions, de beaux articles de Xavier Ragot, @DavidDjaiz, @AlexEscudier, Nathan Cazeneuve, @paulinegali_, @gabriel_zucman, @nicolasleron, @rodrikdani ; une intéressante note de lecture de Marion Bet ;
des interviews passionnants de la sociologue Dominique Schnapper par @CareniniE et E. Phatthanasinh ; et de l’économiste Michel Aglietta par @hugo_bruel d’@h_gauche et @ULojkine.
Read 4 tweets
10 Oct
10 octobre... comme le 10 octobre 1793, jour où Saint-Just prononce son discours sur « la nécessité de déclarer le gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix ».

Ce discours est fondamental pour s’extirper du biais cognitif qu’implique le mot Terreur.

Thread
#Révolution
I. Au préalable, il convient de dire qu’il est impossible de comprendre le déroulement de la Révolution française en l’analysant avec les lunettes du présent, celles d’un temps relativement stable et de paix, et sans avoir au moins 3 données en tête :
II. 1/ En proclamant la souveraineté de la Nation contre la monarchie « usurpatrice » (Saint-Just), la Révolution déclenche un face à face entre L’Absolutisme et la Nation qui ne peut se terminer que par l’éradication de l’un ou de l’autre.
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