Thread by @malopedia

Rappel : "le destin présidentiel d'Emmanuel Macron", c'est un mythe. Macron n'est pas un génie stratégique, mais un chanceux : avant le 25 janvier 2017, date de l'affaire Pénélope, il n'allait être qu'une note de bas de page dans l'histoire de l'éléction de Fillon.

Je dis ça parce que mon père (lol) m'a envoyé cet article lunaire qui entend trouver dans la relation avec leurs pères des explications aux "destins présidentiels" des fils :
lemonde.fr/m-le-mag/artic…

Si le père de Sarkozy a effectivement l'air d'être... particulier (et odieux), l'article tisse un storytelling capillotracté pour le père d'Hollande, alors que c'est une histoire somme toute assez fréquente, celle d'un parent et d'un enfant en désaccord politique total.

C'est encore pire pour le père de Macron, qui quand on lit entre les lignes est en fait tout à fait normal, leur relation étant plus que banale. Mais il faut un storytelling au génie politique du petit Emmanuel...

Ce genre d'article "psychologisant" (faute d'un meilleur mot), comme si leurs pères avaient forgé leurs destins, rate totalement la réalité pourtant bien plus simple (mais moins plaisante pour nos cerveaux qui aiment les histoires) :

Ils sont devenus présidents avant tout parce qu'ils ont été par chance au bon endroit au bon moment, particulièrement Hollande et Macron. A la limite, pour Sarkozy, on peut argumenter qu'il a patiemment construit sa domination sur le RPR/UMP...

(Et encore, c'est mon impression, mais je n'avais que 17 ans lors de son élection, je peux me tromper.)

Mais parler du destin présidentiel d'Hollande, c'est omettre 1) que c'est DSK qui allait être président, et 2) qu'Hollande a été élu par rejet de Sarkozy.
Personne ne voyait Hollande président en janvier 2011 (lui inclus, probablement).

C'est encore plus vrai pour Macron, qui a eu un alignement de planètes exceptionnel : le PS détruit par les erreurs d'Hollande, l'affaire Fillon. Et qui sans ça aurait connu le destin de Bayrou, vainqueur de Condorcet mais squeezé entre la droite & la gauche au 1er tour.

(Un vainqueur de Condorcet est un candidat qui bat tous les autres dans des duels électoraux, ce qui était le cas de Bayrou en 2002, 2007 et 2012. Mais comme on l'a vu ces années là, ça ne signifie pas qu'il gagne dans notre mode de scrutin, au contraire.)

A l'été 2014 après être sorti de l'Elysée et avant qu'on le rappelle pour être ministre, Macron, perdu et sonné, envisageait... de monter un cabinet de conseil en stratégie ou une start-up dans la Silicon Valley. Sacré destin présidentiel !

Il doit énormément à Jouyet qui est allé le repêcher en 2014, et qui a saboté la campagne présidentielle du PS en poussant Hollande à annoncer le plus tard possible qu'il ne se représenterait pas (il l'avoue à demi-mot dans ce documentaire) mobile.france.tv/france-5/la-ca…

Je déteste ce genre de prisme, que j'ai aussi retrouvé dans Vice, qui est un très bon film... aux détails près 1) que l'explication à la carrière politique de Dick Cheney résiderait dans un savon passé par sa copine après une nuit en cellule de dégrisement lorsqu'il avait 25 ans

2) et que l'explication à son appartenance au parti républicain - et à son opportunisme débridé - résiderait dans le fait qu'il est tombé par hasard sur Donald Rumsfeld lors de son premier jour au Congrès.

(Heureusement, le reste du film le décrit comme l'ordure qu'il est, parce que ce serait sinon un super moyen de complètement le déresponsabiliser. Regardez ce film, ne serait-ce que pour sa musique.)

Cette vision des destins politiques est aussi une manière de sous-entendre qu'il suffit de vouloir pour le pouvoir, qu'ils y sont arrivés parce qu'ils l'ont mérité. On y revient toujours, la mythique fable du mérite...

Bref. J'ai pas vraiment de conclusion à ce fil improvisé, si ce n'est : sortez vous de cette vision de "l'Histoire faite par quelques génies aux destins hors du commun". C'est pas des surhommes, ils sont aussi ignorants et errants que nous tous.