Pourquoi c’est le modèle économique (et non la corruption) qui contraint l’Afrique subsaharienne à la pauvreté.

Je vous explique dans ce thread tiré de mon expérience sur le terrain au Congo (c'est moi à Brazza sur la photo😎) et de mes travaux détaillés dans mes livres 1/25
Soyons sans ambiguïté: la corruption constitue un fléau qu’il faut combattre dans tous les pays mais dans le cas des pays africains, elle ne suffit pas à expliquer leur difficulté à se développer économiquement. 2/
Je vais commencer par vous raconter une histoire qui montre comment journalistes et organisations internationales mettent tout et n’importe quoi dans la case « corruption ». 3/
Dans un article du Wall Street Journal intitulé « Des dollars pour les dictateurs », Claudia Rosett critique la gestion du président de la République du Congo et explique les détournements de fonds liés à la lutte contre la pauvreté 4/
Voilà en résumé son raisonnement : « Les exportations pétrolières du Congo sont de 4 Mrds$/an. Étant donné que la population est de 3,8 millions hab, il reviendrait plus de 1000$/an à chaque hab. Pourtant, la Banque Mondiale fait apparaître un revenu/hab/an inférieur à 700 $ » 5/
Selon Claudia Rosett, 300$/hab disparaitrait du fait de la corruption (différence entre les 1000$ de revenu revenant à chaque congolais et celui de 700$ évalué par la Banque mondiale ). 6/
Ce raisonnement est faux. Une connaissance des contrats pétroliers entre pays et compagnies montre que ces 300 $/habitant se dirigent vers les comptes des compagnies pétrolières en toute légalité (et pas dans les poches des dirigeants). Je vous explique. 7/
En 2004, le Congo avait un PIB de 4,3 Mrds $ soit un PIB/ hab de plus de 1000$/an. La moitié du PIB (2,1 Mrds) provient du pétrole. 8/
Mais La part congolaise du PIB pétrolier (selon le partage définie dans les contrats) n’est que d’un tiers. Ainsi, sur 2,1 Mrds de PIB pétrolier, la part qui revient au Congo n’est que de 700 millions (le reste, le pays n'en voit même pas la couleur). 9/
Le revenu intérieur brut n’est donc que de 2,8 Mrds $ (revenu pétrolier + non pétrolier) bien en dessous du PIB de 4,3 Mrds $. Le revenu/an/hab passe à 760$. La perte de 300$/hab ne s’explique donc pas par la corruption mais bien par les modalités du partage de la rente. 10/
Après il faut encore soustraire le service de la dette gagée sur le pétrole. Le revenu pétrolier restant provisoirement au Congo n’est plus que de 2,6 milliards soit 680$ par habitant. C’est ce revenu qui est exposé à la corruption. 11/
Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de corruption au Congo mais que celle-ci porte sur une part plus réduite du «gâteau». La réalité est que beaucoup d’économies africaines ne récupèrent pas une part équitable de la production de leurs matières premières (cacao, pétrole...) 12/
A cela s'ajoute le modèle économique imposé aux pays africains via le FMI les obligeant à se spécialiser dans le secteur minier, à confier leur production à des compagnies privées et à s'ouvrir à la concurrence mondiale. 13/
Cette politique a engendré des résultats désastreux, le taux de croissance du revenu/hab en Afrique subsaharienne est passé de 1,6% dans les années 60-70 à 0,3% entre 1980 et 2004 (c’est à dire à partir du moment où ils ont adhéré aux FMI et Banque Mondiale) 14/
L’ultra-spécialisation minière est un choix peu judicieux imposée aux pays. Le manque d’accès au financement des pays en développement les obligent à se tourner vers le FMI (prêteur de dernier recours) pour obtenir un prêt, mais en échange le FMI impose une série de réformes.15/
Prenons l’exemple du Congo. Son économie est largement dominée par le secteur pétrolier qui représente plus de 90% des exportations. Les recettes issues du pétrole et leurs évaluations futures sont donc essentiel pour mener des politiques d’investissement efficaces. 16/
Or, le niveau des recettes pétrolières dépend de trois facteurs sur lesquels le pays n’a aucune emprise : le prix du pétrole, les volumes exportés, et la répartition du pétrole extrait entre le pays producteur et les compagnies pétrolières. 17/
Le prix du pétrole est déterminé sur les marchés financiers sur lequel le Congo n’a aucune emprise. Ce prix est volatile et, à chaque retournement, a des impacts catastrophiques puisque le Congo n’exporte qu’un seul produit (à cause de la spécialisation imposée par le FMI). 18/
Le Congo n’a également aucune emprise sur les volumes de production. Ce sont les compagnies pétrolières privés qui exploitent les gisements et qui décident des volumes de production une fois les contrats pétroliers signés. Quand les prix chutent, les volumes diminuent aussi. 19/
Enfin, le pays n’est pas en position de force dans la négociation d’un partage de la rente pétrolière équitable. L’ensemble des exploitations pétrolières sont confiées à des compagnies privées puisque le FMI juge que c'est mieux que de créer une compagnie publique. 20/
Pour résumé: le gouvernement congolais ne contrôle ni le volume (déterminé par les compagnies pétrolières privées), ni le prix (déterminé sur les marchés financiers) d’un bien qui représente 90% de ses exportations ! 21/
Si à cela on ajoute le fait que l’ouverture au commerce international détruit l’agriculture locale au profit de celle, industrialisée, des pays du nord, et certaines branches industrielles. 22/
Que l’alignement du franc CFA sur l’euro est un non-sens économique et politique. Exemple: Parfois, la BCEAO augmente les taux directeurs quand il faudrait les baisser pour éviter une fuite des capitaux vers l’Europe. 23/
Compte tenu des conditions imposées par le FMI aux pays africains, on peut donc dire que même un gouvernement non corrompu – s’il en existe un dans le monde - n’arriverait probablement pas à développer son pays. 24/
Enfin, il faut aussi rappeler que si il y a des corrompus, il y a des corrupteurs et qu'il existe des pays qui se sont développés avec des institutions aussi fragiles que les pays africains.

Merci à vous. N'hésitez pas me poser des questions.

Fin/

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5 Mar
Thread du jour :" L'école est-elle le seul déterminant de la mobilité sociale".

Après avoir vu le magnifique débat entre Booba et Messiha, j'ai décidé exceptionnellement de vous l'écrire comme un texte de rap avec rimes et punchlines.
1/12
✊🤘👌
#EconomicGame
- Mes théories sont réalistes, pas de complotiste ici
Economiste alternatif, j’ai pas été formé sur LCI

- 93 dans mes veines, j’ai grandi avec la haine
T’inquiète j'srai toujours prêt façon révolution bolivarienne

2/
- Lycée en déconfiture depuis l’époque de Balladur
Rien que ca sent le cyanure en cours de littérature

- Daron au chômage, pas de chauffage en cours de sciences
Et ces bâtards te parlent d’égalité des chances

3/
Read 13 tweets
1 Mar
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22 Feb
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Dès que vous critiquez le tournant libéral français (à partir de 1983), y a toujours quelqu’un qui vous dit en se poilant « Quoi ! la France un pays libéral avec un budget déficitaire depuis 40 ans et une dépense publique à 57% du PIB ».

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11 Feb
Pourquoi les raffineries (et leurs salariés) sont sacrifiées depuis 30 ans sur l'autel de la finance et que l'écologie n'est qu'un prétexte. Je vous explique avec ce #thread (tiré des #Délaisses) 1/25

#Grandpuits
De 1970 à nos jours, plus de la moitié des raffineries ont fermé. Les raisons avancées étaient tjrs les mêmes : «il y a des surcapacités et les marges de raffinage sont trop faibles, le marché doit donc se rééquilibrer en diminuant l’offre ». Aujourd’hui, c’est l’écologie. 2/25
La réalité est plus complexe. Le 1er problème provient de l’inadaptation de l’offre des raffineries à la demande fr. Les derniers gros investissements ont été réalisés il y a 30 ans et servent à produire de l’essence. Or depuis les années 90, la demande fr en diesel augmente 3/25
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25 Jan
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Le gouvernement va couper dans la dépense publique ce qui va l’augmenter! En Grèce, la dépense publique a baissé de 20 % entre 2009-2015 mais est passée de 54,1 à 55,4% car le PIB a chuté de 25%! 2/2
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27 Dec 20
Bon les amis, c'est pas pour en remettre une couche mais je vais vous faire un petit thread sur la dette publique pour clarifier mon propos quand je dis "la dette publique n'est pas un problème"
D’abord, je tiens à dire que je respecte le travail des « annuleurs » (j'en connais la plupart) et ne met pas en doute leur solution d’un point de vue technique. Juste je n’en vois pas l’utilité et je crains les conséquences (politique et financière) qu’elle peut avoir.
Voilà plus de 20 ans (avec une forte accélération ces 10 dernières années) que la dette publique est agitée pour mettre en place des politiques de casse du service public (hôpitaux, éducation, etc) mais jamais quand il s’agit de baisser la fiscalité.
Read 14 tweets

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