Cabinet d'instruction, tôt 1 matin. J'ai 1 acte important, & il me travaille un peu. Une confrontation entre Isabelle, 25 ans, et son père, Michel, mis en examen, qu'elle accuse de viol. Il est sous contrôle judiciaire. Les faits allégués sont anciens, et contestés.
Isabelle s'est présentée dans une brigade de gendarmerie un matin. Elle a demandé à parler à une gendarme féminine, en pensant que ça serait plus facile, mais ça ne l'a pas été. Elle a eu énormément de mal à raconter. Plus de 8 heures d'audition, en plusieurs rendez-vous.
Elle a indiqué que son père avait abusé d'elle entre ses 5 & 12 ans. Elle explique qu'elle sait que ça peut paraître bizarre mais que sans véritablement oublier, elle a comme rangé ça dans un coin de sa tête, pour ne plus y penser, pour ne plus avoir peur. Et elle a avancé avec.
1 dimanche, lors d'un repas de famille, elle regardait son père qui portait la fille d'1 de ses frères aînés sur les genoux. 1 moment anodin... & tout ce qu'elle avait bien rangé dans un coin est ressorti d'un coup. Elle est restée figée. Elle a trouvé un prétexte pour partir.
Elle a mis 1 long moment pour réussir à démarrer sa voiture & rentrer chez elle où elle s'est littéralement effondrée. Elle s'est mise à sangloter car c'était trop dur, trop d'1 coup, cette masse de souvenirs s'abattant brutalement. Elle a espéré que ça passerait.
Mais les semaines suivantes n'ont pas été mieux. La peur la journée, l'angoisse de voir "maman" ou "papa" s'afficher sur le portable ; ce sentiment de malaise permanent et cette impression d'un coup que ce qu'elle vit se VOIT ; ce noeud dans le ventre qui ne se desserre jamais.
La nuit les cauchemars ; les scènes qui la bombardent, yeux grand ouverts dans le noir, les crises de panique que son compagnon désœuvré ne peut essayer de chasser en l'enlaçant puisqu'elle ne supporte plus qu'il la touche sans lui dire pourquoi ; l'épuisement... Isabelle craque.
Elle va voir son médecin & réclame des médicaments, pour dormir, ne plus penser. Il la suit depuis longtemps & ne la reconnaît pas, qu'est-ce qui se passe? En pleurant elle lui raconte. Le médecin lui dit qu'il peut amoindrir les symptômes pour lui permettre de fonctionner.
Il lui dit toutefois que ça n'effacera pas ce qui fait mal et qu'il existe des thérapies pour aider à aller mieux. Isabelle essaye avec les médicaments, qui l'abrutissent un peu mais oui, elle fonctionne, va au travail, voit ses amis...Elle fait un blocage sur sa famille.
Impossible de voir ses 2 frères, & ses parents... L'idée même la tétanise alors que jusqu'à ce dimanche elle aurait décrit sa famille comme unie. Ca la rend triste et en même temps elle est en colère. Toutes ces années elle a toléré qu'Il lui parle, comme si de rien était?
Elle se fait suivre,comme on dit pudiquement. Mais les souvenirs continuent d'affluer. Les mois passent; le soutien de son compagnon l'aide 1 peu, ses frères lui manquent & elle parvient à reprendre contact avec l'1 d'eux. Au détour d'1 discussion banale il lui parle de sa fille.
Elle a 8 ans et il la trouve bizarre... Renfermée, secrète, et triste. Pas comme avant. Quand il lui en parle, la fillette élude. A partir de là le cerveau d'Isabelle tourne en boucle : elle a 3 nièces qui vont souvent chez ses parents, elles restent le week-end, et si?..
L'idée ne la lâche plus, les cauchemars reviennent...Alors quelques semaines après, parce que l'idée qu'Il ait recommencé lui est insupportable, elle va voir les gendarmes. Je connais l'OPJ qui la reçoit car j'ai déjà travaillé avec elle. Très patiente, très à l'écoute, très pro.
Elle recueille sa parole sans la presser, mais avec le + de détails possible. C'est d'autant + dur de raconter ce qu'elle a vécu que l'adjudante lui pose beaucoup de questions. Les premiers faits sont flous, elle avait cinq ans... Elle décrit un père caractériel, colérique.
Elle l'adorait cependant car il passait beaucoup de temps avec elle, dans la nature, à la maison... Il était par contre très dur avec ses grands frères, élevés "à la dure", et avec sa mère. Avec le recul elle pense qu'il était violent avec elle, sans y avoir directement assisté.
Elle se souvient des 1ers attouchements, très jeune, mais sans détails de dates ou de lieux précis. L'impératif du secret, LEUR secret... Son père n'avait guère qu'à élever la voix pour lui faire peur. Alors elle n'a rien dit, de trouille, de honte, jamais.
Elle se souvient du premier viol, 7 ans à peu près, elle décrit la douleur et la peur, immense, paralysante, et en le racontant le souffle lui manque, et son procès-verbal d'audition mentionne qu'il est indispensable de faire 1 pause. 14 pages. 14 pages de calvaire
& de culpabilité asphyxiante, d'Isabelle qui a honte d'avouer qu'elle l'aimait, qu'à part dans ces ces moments où il lui faisait peur & mal il était gentil, que ça a duré des années & qu'elle ne pouvait rien dire, ils auraient été punis très fort tous les 2, il l'avait dit.
Ca s'est arrêté juste après ses 12 ans et avec le temps les souvenirs se sont estompés, certains effacés, certains rangés dans cette boîte bien fermée. L'OPJ a gratté au cours de l'enquête. Entendu les proches d'Isabelle, retracé son parcours scolaire. Isabelle a vu un expert.
Celui-ci a souligné l'apparence d'authenticité de son discours... L'adjudante un matin est allé chercher Michel chez lui : placement en garde-à-vue pour viol aggravé, perquisition, saisie du matériel informatique. Il nie.S'insurge. Ne comprend pas les accusations de sa fille.
Mais elle ment, bien sûr elle ment, comment seulement envisager que?.. Impossible. Ses fils sont entendus. Ils décrivent un père autrefois tyrannique et violent, qui battait leur mère, qui les battait, qui faisait régner la terreur à la maison. Il s'est radouci avec les années.
Les grands frères indiquent que seule Isabelle échappait à ces déferlements de colère, la princesse à son papa, la chouchoute, ils en étaient jaloux, ils la chambrent encore avec ça. La mère d'Isabelle est entendue, elle est abasourdie, il aime TELLEMENT sa fille!..
Le procureur allait classer sans suite quand, quelques semaines après la garde-à-vue levée pour continuation d'enquête l'adjudante reçoit le résultat de l'analyse de l'ordinateur... Des images porno, beaucoup, ce qui n'est pas un problème en soi...Sauf qu'il y a des mineures.
Nouveau placement en garde-à-vue. Michel nie toujours.Ces images?C'est 1 erreur que certaines mettent en scène des mineures...Des DIZAINES d'erreurs? De la curiosité malsaine! Michel se crispe, commence à prendre l'enquêtrice de haut...Le procureur décide de me saisir. ****
Désolée mes touitoui, cette histoire ne tiendra pas en 1 seul thread, limité à 25 tweet. La suite dans le thread suivant, que je publie dans quelques instants.

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14 Mar
La bonne, la brute & le truand

Audience correctionnelle, formation collégiale. Je représente le ministère public avec 1 auditeur de justice qui doit prendre les réquisitions. On juge 1 vol avec violences & l'ambiance dans la salle est proprement irrespirable.
Une tension à couper au couteau est palpable. A la barre 3 prévenus, qui viennent répondre de faits commis au préjudice d'une boulangerie pâtisserie réputée de la ville. Christelle, poursuivie pour complicité, y a travaillé dans le passé. Elle connaissait les horaires,
les moments où la recette serait bonne, & les habitudes du patron. Elle a rencontré Salim, la petite trentaine. Il appartient à une famille bien connue du parquet de mon ressort. Défavorablement connue comme on dit. Malgré de nombreuses condamnations, Salim ne se range pas.
Read 26 tweets
13 Mar
1 information judiciaire est ouverte à mon cabinet. J'ai lu le dossier et à ce stade, je n'ai pas d'avis. Interrogatoire de première comparution, Michel nie, avec force. C'est un homme d'1 petite soixantaine d'années, ancien ingénieur, dont on sent qu'il a une certaine autorité.
Il répond à mes quelques questions, & sourit quand je l'interroge sur les téléchargements de fichiers pédo pornographiques... "Vous savez, Madame le juge, à mon âge les jeunes filles..." Ah Michel badine?..Je lui mets sous le nez l'album photo qu'a constitué l'OPJ.
"Des jeunes filles Monsieur? Pouvez vous évaluer l'âge de ces mineures?" Silence de l'autre coté du bureau, l'avocat de Michel détourne les yeux... Elles ont 6 ou 7 ans. "N'est-ce pas étonnant que votre fille situe les 1er faits dont elle vous accuse alors qu'elle avait cet âge?"
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12 Mar
Cabinet d'instruction, un matin. J'ai bu 3 cafés et plaisanté avec mes collègues pour me donner du courage ; je sais que mon prochain interrogatoire va être pénible. Je reçois Lenny, mis en examen pour meurtre, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on ne s'apprécie guère.
Il est accusé d'avoir, de 3 coups de feu, tué 1 jeune homme dans une soirée. Le mobile est flou :officiellement, rivalité amoureuse : c'est ce qu'affirment les proches de la victime. Personnellement je pense qu'il s'agit d'1 règlement de comptes sur fond de trafic de stupéfiants.
Lenny ne m'aide pas beaucoup. La plupart du temps, il ne répond pas à mes questions. Il s'est affublé d'un surnom stupide le désignant comme le chef, disons le Boss, et puisque je m'obstine à ne pas en faire usage, il passe l'essentiel de mes interrogatoires à m'ignorer.
Read 23 tweets
7 Mar
Demain commence le procès d'1 homme qui sera jugé pour un crime. Peu importe lequel, peu importe qui il est. La Cour va décortiquer les faits, avec précision. Entendre les témoins. Entendre les victimes. Les écouter raconter le cataclysme que ce crime a causé dans leur vie.
Entendre les proches de l'accusé, qui est un mari, un fils, un père. En plus de décortiquer les faits la Cour va apprendre à connaître cet homme, d'où il vient, qui il est. Peut-être va-t-elle réussir à répondre à la question du Pourquoi? S'il y en a un...
Le directeur d'enquête va détailler ses investigations.Les experts vont venir nous parler des faits, de l'accusé, de la victime...Ça va durer plusieurs jours.Les avocats des parties civiles vont plaider & nous parler d'elles ; s'ils doivent plaider 3 heures, nous les prendrons.
Read 12 tweets
7 Mar
Perm parquet, 1 matin. Je défère Ewan, à peine 20 ans. Je le connais depuis longtemps, trop longtemps sûrement, lui & moi ça devient une longue histoire, et je ne sais que trop bien quel est son parcours. 1 grand frère incarcéré, 1 beau-père pareil, 1 maman dépassée.
1ers passages à l'acte délinquantiels vers 13 ans, commis la nuit à traîner en rase campagne...Sa mère ne parvient pas à le cadrer, Ewan part en foyer. 14 ans, 1er fait d'arme notable : il vole un tracteur à côté du foyer pour aller conter fleurette à 1 jeune fille.
Le placement se passe mal, il change de structure une première fois, puis deux, puis trois...Il accumule les délits, les atteintes aux biens surtout, et il se met en danger, consomme des stupéfiants, fugue et traîne dehors la nuit... Rien ne semble avoir de prise sur lui.
Read 23 tweets
5 Mar
1 morceau de ma vie de juge d'instruction : ce soir la nuit tombe, je viens d'apprendre une mauvaise nouvelle sur le plan perso. Je pleure au volant mais même si j'ai juste envie de rentrer chez moi & me rouler en boule, il n'en est pas question : c'est jour de reconstitution.
Une reconstitution à l'instruction ça se programme des semaines voire des mois à l'avance : en l'espèce, les faits se sont déroulés sur la voie publique dans un quartier dit mal fréquenté et les policiers ont donc mis en place une importante sécurisation des lieux.
Donc, en forme ou pas, j'ai prévu mon combo baggy-baskets de reconstit', je serre les dents, & go. Les yeux humides et le liner qui a coulé n'échappent pas au directeur d'enquête qui me connaît bien...1 main sur l'épaule, "ça va?..", je hoche la tête, je souris...Show must go on.
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