Comment se situer dans un champ littéraire majoritairement masculin quand on est une femme? Faut-il écrire et se désigner en tant que femme? au masculin? ou gommer toute référence sexuée ? Christine de Pizan, au XVe siècle, se posait déjà ces questions!
Fil à dérouler ⬇️
Ce fil se fonde sur les travaux de J. Cerquiglini-Toulet (notamment son chapitre dans "Femmes et littérature" dirigé par M. Reid) et l'entretien avec G. Parussa dans l'épisode de "Parler comme jamais". binge.audio/podcast/parler…
Veuve à 25 ans, Christine de Pizan fait le pari incroyable de vivre de sa plume (au lieu d'aller au couvent ou de se remarier). Or le champ littéraire est masculin.
On peut distinguer plusieurs stratégies de Christine pour se situer (et se désigner) comme femme dans ce champ.
Première stratégie: prendre la plume, cela veut dire investir un champ masculin, se substituer à son père (un grand lettré), se situer par rapport à des modèles masculins et donc devenir socialement homme. Elle le dit elle-même: "Or je fus vrai homme ce n’es pas fable"
Christine de Pizan développe cela dans « le Livre de la Mutacion de fortune » : elle exprime par une métaphore physiologique (« Mes membres senti trop plus forts » « Ma voix forment engrossie (était) ») une transformation sociale.
Je cite N. Koble ("On ne naît pas homme, on le devient") "Dans une civilisation où l’écriture (...) écrire, c’est écrire comme un homme, ou plutôt dans la peau d’un homme, pour conquérir une autorité. L’invention littéraire fait renaître Christine" fabula.org/colloques/docu…
Se désigner comme un homme, dire qu'on s'est transformé en homme peut donc être une première stratégie de légitimation. Mais Christine ne se limite pas à cette stratégie-là et va choisir une posture polyphonique (plusieurs voix) en se revendiquant aussi comme femme.
J. Cerquiglini Toulet dans "« Christine de Pizan et le scandale : naissance de la femme écrivain »" montre comment Christine assume un regard féminin sur le monde, et vante l'intérêt de ce regard nouveau qui propose une matière littéraire nouvelle
J. Cerquiglini-Toulet montre comme Christine de Pizan écrit en femme (en utilisant par exemple l'expérience de la maternité), tout en jouant avec à renverser les topoï (lieux communs) des rôles femmes/hommes.
Elle s'amuser aussi à féminiser des expressions toutes faites! «ne pas valoir une pomme» devient «n’ont pas vaillant ma coiffe»! Elle appliqué des images maternelles (la poule et ses poussins) à des hommes de guerre comme Hector à Troie ou les nobles de Bretagne avec Duguesclin
Christine de Pizan va même jusqu'à « se faire femme superlativement en défendant et illustrant cette condition » (J. Cerquiglini-Toulet). Dans la Cité des Dames, elle défend la condition des femmes et imagine une communauté entièrement féminine
Christine de Pizan prend la plume pour dénoncer ce que subissent les femmes: la violence physique (notamment conjugale) mais aussi la misogynie des clercs et les "fantasmagories qui traversent les fictions courtoises" (N. Koble) fabula.org/colloques/docu…
Elle s'attaque ainsi au monument de la culture littéraire et masculine de l'époque, la partie du "Roman de la rose" écrit par Jean de Meun. Elle dénonce sa misogynie puisqu'il déclare à propos des femmes "« Toutes estes, serez et fustent/ de fet, ou de volenté, pustes »
On peut remarquer que cette identité littéraire & féminine de Christine de Pizan a sans cesse été attaquée ou niée. On a toujours voulu voir un homme derrière elle (son fils, un amant, quelqu'un d'autre)... Une femme ne pouvait pas écrire (ça)!
Christine évoque ces rumeurs dans «L’Advision» :«car les aucuns dient que clers ou religieux les te forgent, et que de sentement de femme venir ne puissent» (car certains disent que des clercs ou des religieux te les forgent et qu’ils ne pourraient sortir de l’esprit d’une femme)
Ces rumeurs ont persisté bien après le XVe siècle. Comme pour beaucoup d'autrices (Marguerite de Navarre, Louise Labbé par exemple), on s'est demandé s'il n'y avait pas un homme derrière elle... on l'évoque dans l'épisode de PCJ. binge.audio/podcast/parler…
L'identité féminine de Christine a aussi été censurée! Lorsqu'elle écrit un traité militaire le "Livre des faits d’armes et de chevalerie", elle investit un champ très masculin. Le livre a du succès... mais lorsqu'il est copié, le "je" est masculinisé! manuscripta.hypotheses.org/249
Comme le souligne N. Koble, Christine dit clairement que les oeuvres du passé auraient été différentes si elles avaient été écrites par des femmes
"Je leur respons que les livres ne firent
Pas les femmes, ne les choses n’i mirent
Que l’en y list contre elles et leurs meurs"
Christine de Pizan donne des armes aux lectrices pour ne pas se laisser déstabiliser par les écrits misogynes du temps dans un univers littéraire très majoritairement masculin. Elle conseille ainsi aux lectrices de lire... par antiphrase!
Elle cherche à la fois à comprendre pourquoi, pour des raisons sociales, les femmes sont exclues de certains domaines, et à combattre l'idée selon lesquelles il n'y aurait aucune femme dans les domaines reconnues en rendant hommage à de grandes figures
C'est assez fascinant de voir à quel point des questions qu'on croit contemporaines (faut-il distinguer le texte littéraire de la personne qui l'écrit? y a-t-il une écriture genrée, une lecture genrée? peut-on faire abstraction de ces domaines) se retrouvent déjà au XVe siècle!
Assez fascinant de voir aussi à quel point on peut rapprocher la démarche de Christine de Pizan au XVe siècle de figures bien plus tardives comme Virginia Woolf ou Simone de Beauvoir, comme l'explique N. Koble dans ce texte "Judith et ses sœurs" fabula.org/colloques/docu…
Christine invente, avec sa "cité des dames", une communauté peuplée d'ancêtres réelles et imaginaires qui la protègent et "Simone de Beauvoir ne s’y prendra pas autrement : dans le Deuxième sexe, sa réflexion sur l’identité des sexes s’ouvre sur une communauté féminine analogue"
Si Christine de Pizan a été redécouverte, c'est d'ailleurs en grande partie grâce aux mouvements féministes des années 1970! Elle avait été bien oubliée, en partie parce que tout le MA a été oublié un temps, mais aussi pcque c'était une femme
Ainsi Gustave Lanson, critique littéraire qui a fortement inspiré nos histoires de la littérature parlait-il de C. de Pizan comme "un des plus authentiques bas bleus qu’il y ait eu dans notre littérature, la première de cette insupportable lignée de femmes-auteurs"... (1/2)
"à qui nul ouvrage sur aucun sujet ne coûte, et qui, pendant toute la vie que Dieu leur prête, n’ont affaire que de multiplier les preuves de leur infatigable facilité, égale à leur universelle médiocrité"... (2/2)
Il faut voir la manière dont J. Cerquiglini-Toulet règle leurs comptes à Lanson et à d'autres critiques, de grands médiévistes aveuglés par leur misogynie... C'est vraiment très drôle. Elle en parle ici franceculture.fr/emissions/poes…
C'est très intéressant aussi sur les biais politiques: on reproche aux féministes de ne pas lire l'histoire littéraire d'un oeil neutre...et comme d'habitude certains ne se rendent pas compte que l'exclusion d'autrices n'avait rien de neutre ou d'évident ! binge.audio/podcast/parler…
Pour aller plus loin: une belle journée d'études accessible en ligne de spécialistes "L’auctorialité féminine dans les fictions courtoises, des trobairitz à Christine de Pizan" Textes réunis par Nathalie Koble avec Anna Arato & Raphaëlle Decloître fabula.org/colloques/inde…@fabula
et si je l'appelle Christine quelquefois c'est parce qu'à l'époque on utilisait le prénom chrétien pour désigner les gens et non le nom hérité! On en parle ici. binge.audio/podcast/parler…
Pour ce #VendrediLecture fil de présentation de la retraduction annotée d'un classique du critique littéraire Lukács "Raconter ou décrire" @Edit_critiques
Un bel exemple d'analyse stylistique ambitieuse fondée sur une comparaison de classiques de la littérature (Zola/ Tolstoï)⬇️
Pour vous le présenter, Lukács, c'est ce monsieur à la physionomie accueillante. Il est polémique parce qu'il a eu des liens compliqués avec le stalinisme mais reconnu comme un grand philosophe et un grand critique littéraire (il a notamment écrit sur le réalisme balzacien).
De quelle méthode stylistique parle-t-on?
Dans "Raconter ou décrire", Lukács part d'un choix formel (la description ou la narration, Zola ou Tolstoï) pour l’élargir en la liant aux rapports de l’auteur face au monde social et au mouvement de l’histoire. Je m'explique ⬇️
C'est avec fierté (et émotion) que je partage le projet photographique d'@alexianecarre étudiante en Master MEEf à @LettresOrleans@univ_orleans sur la situation des étudiantes & étudiants en ces temps de crise sanitaire "Les étudiants en disent tant" cc @larep_fr@MagcentreFR ⬇️
Ces portraits ont été réalisés par Alexiane Carré dans les couloirs de l’université. Il a mobilisé étudiantes& étudiants, enseignantes & enseignants de Meef, avec le soutien (prêt de matériel d'Images Photo Orléans)
Des photos accompagnés de chiffres sur la situation étudiante : "380 étudiants étaient présents lors d'une distribution alimentaire" "30% des étudiants présentent des états dépressifs et anxieux" cc @OSoutient@KarinFischerFI@Unef_Orleans@OCampus_Orleans
1)On lit déjà Molière dans des éditions modernisées. Comparez vos éditions à celles du temps de Molière (dispos sur Gallica) vous allez avoir quelques surprises quant à l'orthographe !
2)Ces pièces seront essentiellement destinées à l'enseignement en FLE (FrançaisLangueEtrangère)
Je doute que toutes ces personnes qui disent "pas touche à la langue de Molière" ou qui fustigent les jeunes générations "incapables de lire Molière" savent qu'elles-mêmes ne lisent pas du tout Molière dans la version originale... 😛
C'est pour faire le buzz @franceculture de mettre "Molière est-il devenu trop difficile pour les écoliers d'aujourd'hui" alors que les pièces sont destinées surtt à de l'enseignement FLE?
Essayez d'apprendre l'anglais avec la langue originale de Shakespeare vous allez galérer!
D'où vient le français? Non pas en droite ligne du latin classique, mais d'un mélange entre le latin populaire et d'autres langues. Pour citer Bernard Cerquiglini ❤️: "un créole de latin vulgaire (beaucoup) et de gaulois (très peu), mal prononcé par des seigneurs germaniques".
Cette définition a mis du temps à s'imposer. Il est maintenant reconnu que le français vient du latin parlé, populaire (dit vulgaire) et non classique. Mais l'hypothèse a fait scandale: La Ravalière en parlait comme d'une "source très bourbeuse et très ignoble".
On a pendant longtemps pensé que le français venait du latin classique, et même du grec (surtout au XVIe siècle, où des humanistes fascinés par le grec essayaient de "forcer" la filiation entre français et grec...)
Quand je parle des études en détention, on me dit souvent que les personnes détenues n'ont que ça à faire, que ça doit être trop bien d'avoir tout ce temps libre pour progresser. Petite liste des difficultés qu'on rencontre quand on cherche à faire des études en prison. ⬇️
-L'accès aux cours : il n'y a pas assez de profs pour toutes les personnes détenues (là avec le virus c'est encore plus limité). L'offre est limitée. Pour le sup c'est de l'enseignement à distance. Ca peut être assez difficile de se procurer les cours et les livres.
-Je ne parle même pas de l'accès à Internet, quasi impossible ou un ordi, très difficile. Or de plus en plus les cours renvoient vers des sources Internet, demandent de remplir des docs et exercice en ligne, d'écouter des confs, de regarder des vidéos...
L'écriture inclusive, c'est quoi? Pourquoi le débat s'est-il focalisé sur le point médian et pas sur d'autres formes plus en usage? Est-elle plus excluante qu'incluante? Est-ce qu'elle permet vraiment de penser l'égalité?
Toutes les réponses ici ! ⬇️ binge.audio/podcast/parler…
Episode en deux volets avec les linguistes Julie Abbou et Pascal Gygax.
Un épisode pour mieux comprendre la teneur des débats en cours, ce qui fait consensus, ce qui fait polémique et pourquoi. binge.audio/podcast/parler…
Deuxième volet sur le masculin dit générique, ces formes qui pourraient, dit-on, englober au masculin des groupes mixtes. Vrai ou faux? Comment le savoir? Que nous dit la recherche à ce sujet? binge.audio/podcast/parler…