Audience correctionnelle, comparution immédiate. Myriam est fatiguée. Pour la énième fois, elle raconte son histoire. Ça fait trop longtemps que ça dure. Elle veut que ça s'arrête. Son plus grand malheur, pense-t-elle maintenant... C'est d'avoir rencontré Sylvain.
Ils étaient tous jeunes et n'avaient connu que des amourettes, et là, le flash, le coup de foudre, la symbiose. Ils ne se sont plus quittés. Les premiers projets.Le mariage. Le premier enfant, 1 fille. Sylvain a toujours été caractériel & un peu jaloux, mais rien d'inquiétant.
Le 2ème enfant, 1 autre fille. La maison. Une vie qu'on construit, petit à petit. Sylvain se blesse au travail, et est placé en invalidité. Les revenus du ménage diminuent. Les enfants sont plus grands & vont à l'école. Myriam décide de se remettre à travailler.
Sylvain n'est pas trop d'accord, mais elle se dit que ça mettra du beurre dans les épinards. Elle a aussi envie de voir du monde. & puis voir son mari tourner comme un lion en cage à la maison, un peu grognon, pas mal irritable... C'est oppressant pour Myriam parfois.
Elle trouve un contrat de vendeuse, dans une boutique. Elle se fait des amies parmi ses nouvelles collègues, et ça lui fait du bien ces rires, ces blagues entre copines... D'avoir son monde à elle, pour échapper un peu à l'ambiance un peu lourde à la maison.
Le budget du foyer se trouve amélioré...Pas l'humeur de Sylvain. Lui qui était toujours si joyeux, qui blaguait sans arrêt,qui l'appelait "ma ptite fleur", est devenu taciturne, maussade. Il commence à lui faire des reproches, sur tout & rien. Son retard à la sortie de l'école.
Son manque de participation aux tâches ménagères alors qu'en vérité quasiment tout incombe toujours à Myriam. Ses copines, qui ont une si mauvaise influence sur elle, & il dit "copines" avec un ton & un regard si durs... Elle ne le reconnaît plus mais se dit qu'il se sent seul.
Ca doit être compliqué de se sentir diminué, lui qui était si vaillant & que son corps ne supporte plus... Comme il ne le supporte plus, ce corps qui l'entrave. Alors Myriam fait des efforts. Son travail, la maison, les enfants, elle est fatiguée, mais elle serre les dents.
Elle est souriante, toujours pimpante, & veille a entretenir cette petite flamme qu'il y avait entre eux. 1 petite voix commence à lui murmurer que cette petite flamme menace de s'éteindre, mais elle ne veut pas l'écouter. Ils vont y arriver. Elle va y arriver. Il le faut.
Les mois s'écoulent et ça empire. Les petites remarques laissent la place aux reproches. Elle n'est jamais là. Elle a changé. Elle ne pense qu'à elle. C'est quoi cette tenue? Qui voit-elle au travail ? Cette jupe, c'est pas pour ses copines si?..T'es en retard, tu étais où ?..
Sylvain vient la voir au magasin. Au début Myriam est contente : c'est comme s'il s'intéressait un peu à son quotidien. Elle déchante très vite : il ne s'intéresse pas, il la surveille. Il jette des regards en coin à son patron, ses collègues masculins, et même les clients.
Alors ils se disputent : Myriam est outrée de ce manque de confiance, et au lieu de s'en excuser, Sylvain lui dit qu'il n'aurait pas à se conduire ainsi si elle ne se comportait pas comme 1 putain. La jeune femme en reste bouche bée : il ne lui avait jamais parlé comme ça.
Il crie des reproches, jette un objet au sol, le casse, il lui fait peur et Myriam se réfugie dans la chambre des enfants. Suite à cet épisode elle envisage de partir. Mais... Il va si mal. Comment fera-t-il sans elle, et les enfants... Elle l'aime encore... Elle reste.
Les années suivantes se déroulent comme dans un brouillard. La jalousie de Sylvain devient maladive. Il lui interdit certaines tenues sous peine de crises interminables, & alors il hurle, frappe dans les murs. Il vient à la boutique quand bon lui semble, fouille son téléphone...
Il chronomètre le temps qu'elle met pour rentrer du travail...Myriam se plie aux caprices de son mari, mais à vrai dire elle ne supporte plus cette tension. Elle ne rit plus, ne chantonne plus, n'a plus d'envie, plus de projets, souvent elle reste longtemps immobile, à pleurer.
Sa présence lui est désagréable, elle ne veut plus passer son temps à obéir et éviter ses crises : il lui fait peur. Il faut bien se l'avouer : la petite flamme est éteinte. Elle ne l'aime plus. Avec tout le tact dont elle est capable, elle le lui annonce : elle veut divorcer.
Il lui réplique que c'est impossible. Eux 2, c'est pour toujours. Il ne la laissera JAMAIS partir. Jamais. Myriam tient bon et s'en va avec les enfants. Elle sait que ça va être dur mais sa décision est prise. Elle prend 1 avocat. Et alors qu'elle pense que ça va aller mieux...
Sylvain l'appelle. Tout le temps. C'est le père de ses filles, donc elle n'ose pas le bloquer. Coups de fil, SMS... Jour et nuit. Il alterne entre chantage et pleurs, colère froide et menaces, tentative de reconquête et belles promesses. Des dizaines de contacts, des centaines.
Il lui envoie des mail, des pages & des pages, met des lettres dans la boîte aux lettres de son nouvel appartement, à son travail, sur son pare brise. Il lui dit comme il est malheureux sans elle, malheureux à en crever, d'ailleurs mieux vaudrait pour tout le monde qu'il meurt.
Il vient à son travail, rentre dans le magasin ou attend devant, des heures. Il la suit. Elle le croise 1 peu partout. Main courante : 1 policier prend contact avec Sylvain & lui remonte les bretelles. Sans effet, la pression persiste, tout le temps. Il ne la lâche pas.
Pire, maintenant il inonde les proches de Myriam d'appels, de lettres...1ère plainte. Sylvain n'a pas d'antécédents & promet que cette fois, il a compris. Rappel à la loi. Il la laisse tranquille 1 moment... Myriam souffle un peu, enfin. Mais ça recommence. Nouvelle plainte.
Myriam est à bout. Elle voit un médecin légiste : 15 jours d'ITT, à dominante psychologique. Sylvain reconnaît les faits, sans les regretter vraiment...Le Procureur lui fait imposer 1 interdiction de contact avec Myriam, par tout moyen. Sinon?.. La détention.
C'est moi qui défère Sylvain ce jour là. Je lui dis, fermement, que leur relation est terminée, qu'il doit l'entendre, que ce harcèlement doit cesser tout de suite...Il entend, mais n'écoute pas. Sylvain est placé sous contrôle judiciaire & l'enfreint, quelques semaines après.
Myriam le retrouve sur son balcon, qu'il a escaladé. Depuis quelques jours les lettres, les messages ont repris. Il est placé en garde-à-vue, encore. Je décide de le faire passer en comparution immédiate.A l'audience Myriam répète une fois de plus que sa décision est prise.
Ce n'est pas au tribunal qu'elle s'adresse. Elle tente d'affermir sa voix pour le marteler, encore : c'est fini. Quand le président demande à Sylvain s'il a quelque chose à ajouter pour sa défense avant que le tribunal se retire pour délibérer, il murmure "je l'aimerai toujours".
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Hervé se tient bien droit à la barre. Il est mal à l'aise. 56 ans, aucune mention au casier, rien ne le prédestinait à comparaître devant le Tribunal Correctionnel. Rien, jusqu'à ce soir-là, où il a tué un homme et son fils. Hervé est là pour homicide involontaire.
L'ambiance est pesante, comme souvent, comme toujours dans ce genre de dossiers. Sur le banc des parties civiles, Laura et sa fille Emma, se raccrochant l'une à l'autre comme depuis des mois, depuis ce soir-là où leur vie a explosé. Un samedi pluvieux, tard.
Christophe est allé chercher Matteo, son fils, chez ses parents où il a passé quelques jours. C'est un peu loin... Il a mangé chez eux puis a installé son petit dernier, bien sanglé, dans son réhausseur à l'arrière, où il s'est très rapidement endormi.
Cour d'assises. Je représente l'accusation. Laurent, l'accusé, a l'air de s'ennuyer ferme. Il encourt la perpétuité mais n'a pas l'air inquiet... Il est poursuivi pour des faits de vol avec arme commis en état de récidive légale. Il a en effet déjà été condamné plusieurs fois,
jamais pour des faits de même nature mais pour du trafic de stupéfiants, ce qui le place en état de récidive, c'est la loi. La peine de 20 années de réclusion encourue pour un vol avec arme passe donc à la perpétuité... Gros enjeu, dont l'accusé ne paraît pas prendre conscience.
Je n'ai pas suivi ce dossier au départ & j'ai été désignée pour assurer les fonctions d'avocat général aux assises. "Vous verrez Sir ! Facile...". Je m'y suis plongée avec cette impatience teintée de fébrilité car les assises, ce n'est jamais rien. Mon proc avait raison : facile.
Audience correctionnelle, formation collégiale. Je représente le ministère public avec 1 auditeur de justice qui doit prendre les réquisitions. On juge 1 vol avec violences & l'ambiance dans la salle est proprement irrespirable.
Une tension à couper au couteau est palpable. A la barre 3 prévenus, qui viennent répondre de faits commis au préjudice d'une boulangerie pâtisserie réputée de la ville. Christelle, poursuivie pour complicité, y a travaillé dans le passé. Elle connaissait les horaires,
les moments où la recette serait bonne, & les habitudes du patron. Elle a rencontré Salim, la petite trentaine. Il appartient à une famille bien connue du parquet de mon ressort. Défavorablement connue comme on dit. Malgré de nombreuses condamnations, Salim ne se range pas.
1 information judiciaire est ouverte à mon cabinet. J'ai lu le dossier et à ce stade, je n'ai pas d'avis. Interrogatoire de première comparution, Michel nie, avec force. C'est un homme d'1 petite soixantaine d'années, ancien ingénieur, dont on sent qu'il a une certaine autorité.
Il répond à mes quelques questions, & sourit quand je l'interroge sur les téléchargements de fichiers pédo pornographiques... "Vous savez, Madame le juge, à mon âge les jeunes filles..." Ah Michel badine?..Je lui mets sous le nez l'album photo qu'a constitué l'OPJ.
"Des jeunes filles Monsieur? Pouvez vous évaluer l'âge de ces mineures?" Silence de l'autre coté du bureau, l'avocat de Michel détourne les yeux... Elles ont 6 ou 7 ans. "N'est-ce pas étonnant que votre fille situe les 1er faits dont elle vous accuse alors qu'elle avait cet âge?"
Cabinet d'instruction, tôt 1 matin. J'ai 1 acte important, & il me travaille un peu. Une confrontation entre Isabelle, 25 ans, et son père, Michel, mis en examen, qu'elle accuse de viol. Il est sous contrôle judiciaire. Les faits allégués sont anciens, et contestés.
Isabelle s'est présentée dans une brigade de gendarmerie un matin. Elle a demandé à parler à une gendarme féminine, en pensant que ça serait plus facile, mais ça ne l'a pas été. Elle a eu énormément de mal à raconter. Plus de 8 heures d'audition, en plusieurs rendez-vous.
Elle a indiqué que son père avait abusé d'elle entre ses 5 & 12 ans. Elle explique qu'elle sait que ça peut paraître bizarre mais que sans véritablement oublier, elle a comme rangé ça dans un coin de sa tête, pour ne plus y penser, pour ne plus avoir peur. Et elle a avancé avec.
Cabinet d'instruction, un matin. J'ai bu 3 cafés et plaisanté avec mes collègues pour me donner du courage ; je sais que mon prochain interrogatoire va être pénible. Je reçois Lenny, mis en examen pour meurtre, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on ne s'apprécie guère.
Il est accusé d'avoir, de 3 coups de feu, tué 1 jeune homme dans une soirée. Le mobile est flou :officiellement, rivalité amoureuse : c'est ce qu'affirment les proches de la victime. Personnellement je pense qu'il s'agit d'1 règlement de comptes sur fond de trafic de stupéfiants.
Lenny ne m'aide pas beaucoup. La plupart du temps, il ne répond pas à mes questions. Il s'est affublé d'un surnom stupide le désignant comme le chef, disons le Boss, et puisque je m'obstine à ne pas en faire usage, il passe l'essentiel de mes interrogatoires à m'ignorer.