Thread by @PorcherThomas

"Economie des (insoutenables) inégalités en banlieue: a qui cela profite?"

C'est le thread de la semaine principalement basé sur le 93 auquel je prête une attention particulière dans mes travaux puisque j'y ai grandi (vous me reconnaissez sur la photo, c'est moi à 19 ans😎)

https://twitter.com/Anil_Civi/status/1363823684159471617

On va commencer par donner quelques statistiques pour que vous vous rendiez compte que la distance qui sépare ce qu’il y a de plus riche et de plus pauvre dans ce pays se mesure en stations de métro. 2/

Avant la crise du Covid, le taux de pauvreté dans le 93 était deux fois plus élevé que le reste de la France. Dans certaine commune comme La courneuve, il atteint même 43% (soit 3 fois le niveau national). 3/

Pourtant, il y a toujours moins de moyens alloués par l'Etat. On entend souvent les millions de la politique de la ville mais le crédit de la politique de la ville par habitant reste inférieur dans le 93 qu'à la moyenne en France (37€ contre 42€). 4/

A cela, il faut ajouter les économies sur les collectivités territoriales faites par #Hollande puis #Macron qui ont dégradé les services publics (crèches, bibliothèques, etc). Certains communes ont vue leur dotation divisée par deux. 5/

L'indice de jeunesse (rapport des moins de 20 ans sur celle des 65 ans et plus) est de 252 dans le 93 contre 129 en France pourtant, en heures de cours dispensées, le mieux doté des collèges du 93 est moins bien doté que le moins bien doté des collèges parisiens 6/

Sur la petite enfance, le taux de couverture globale des besoins (la capacité d'accueil des enfants de moins de 3 ans) est de 32% dans le 93 contre 57% en France. 7/

Avant la crise du covid, le taux de chômage est plus élevé dans le 93 qu'en France. A la Courneuve, il équivaut presque au double. Pourtant,au pôle emploi de La Courneuve, il y a 1 conseiller pour 250 chômeurs contre 1 conseiller pour moins de 100 chômeurs en moy en France. 8/

Alors comment justifier ces mauvaises statistiques? La première chose est que la banlieue a connu, comme d'autres territoires, les effets négatifs de la mondialisation avec son lot de fermetures ou délocalisations d'usines. 9/

C’est dans ce contexte que s’accélère la paupérisation des grands ensembles qui avaient été au départ construits pour loger cette main d’œuvre. Par exemple à Aulnay-Sous-Bois, après la fermeture du site PSA, certains quartiers ont atteint des taux de pauvreté de 50%. 10/

La cause de l’appauvrissement des banlieues est donc due en premier lieu à la désindustrialisation qui est une conséquence de la mondialisation et, en même temps, au manque de moyens de l'Etat (qui aurait du combler les effets négatifs de la mondialisation). 11/

La part des 0-19 ans est plus élevée dans le 93 qu’en Ile-de-France (où elle est plus importante que dans le reste de la France). Pourtant, l’Etat, plutôt que d’investir dans sa jeunesse, retire des moyens à l’éducation. 12/

Puis il y a eu les lois travail qui s'attaquent à ceux qui bénéficiait d’un emploi protégé. Il faut bien comprendre qui est affecté par ces lois, ce sont majoritairement les ouvriers et les employés qui subissent les délocalisations et/ou la robotisation. 13/

Enfin, il y a eu les attaques contre les aides sociales (le fameux "pogon de dingue" de Macron) alors qu'elles représentent 70% du revenu des 10% des ménages les plus pauvres. 14/

On comprend mieux la logique d'ensemble:
1. retirer des moyens à l’éducation alors que la population est plus jeune;
2. retirer des moyens aux services publics alors que la population est plus pauvre;
3. Passer des Lois travail pour insécuriser la partie en CDI; 15/

4. Retirer les aides sociales permettant aux plus précaires de survivre.

Au final, vous obtenez une population totalement insécurisée prête à travailler à n’importe quel prix (pour le plus grand bonheur des plateformes digitales) 16/

Et les dirigeants ne s'en cachent même pas. Macron disait :"les quartiers où Uber embauchent, ce sont des quartiers où on ne sait (il aurait du dire "on ne veut") rien leur offrir" puis "la réalité est qu’ils travaillent parfois 60-70 h/sem pour toucher le SMIC ».Tout est dit.17/

Mais pour que ces injustices soient supportables par les populations, il faut construire une narration autour de la réussite individuelle. C'est le fameux "mythe de la réussite individuelle" auquel beaucoup de jeunes adhèrent. 18/

Mais la réalité est que ce discours du mérite est instrumentalisé par les groupes sociaux supérieurs qui aiment faire croire aux plus défavorisés que leur absence de réussite s’explique par leur paresse ou leur manque d’effort. 19/

La réussite dépend de plusieurs facteurs et les difficultés des habitants des banlieues peuvent être corrigées par un service public de qualité et la mise en place de politiques spécifiques. Mais c'est l’inverse qui est fait. 20/

Pour résumé en 3 tweets: la banlieue a vécu (comme d'autres endroits en France) les effets négatifs de la mondialisation avec les fermetures d’usines combinée à un retrait de l’Etat. 21/

Mais contrairement aux habitants des territoires auxquels est vendue une narration autour de la « mobilité » (pour vous en sortir, quittez votre territoire), les habitants des banlieues doivent rester une main d’œuvre peu chère et flexible nécessaire aux centres-villes. 22/

C’est pour répondre à cet objectif que nos dirigeants mènent une politique qui étrangle financièrement les collectivités territoriales, retire méthodiquement les services publics et casse étape par étape les dernières protections de ces populations (loi travail, etc). 23/

Merci les amis. Ce thread est tiré de mon livre "Les délaissés" et de l'Atlas des inégalités de @Gilles_Poux, Maire de la Courneuve, que j'ai eu l'honneur de préfacer. N'hésitez pas à me poser des questions. Bon courage à tous. Fin/