La pluie de SMS des environs de 6h fait plaisir ce matin. Je suis substitut et les 3 interpellations dans un dossier dont je dirige l'enquête depuis des semaines se sont bien passées. Cette procédure a nécessité beaucoup de travail, et mes enquêteurs sont éparpillés,
1 groupe à BORDEAUX, 1 à CRETEIL & 1 à LYON. Il y a environ 2 mois, Anthony, Jérôme et Julien sont venus sur mon ressort, pour de soi-disant vacances... Vacances qui en réalité avaient pour but, en + de passer du bon temps, de se faire de l'argent facile, sans risque.
Ils ont décidé de s'en prendre à des victimes qui n'oseraient pas se plaindre : des prostituées. Par le biais d'un site de rencontres qui permet de prendre RDV pour une relation tarifée, ils ont depuis 1 cyber café noué contact avec Ana, 1 prostituée étrangère.
Elle vend ses charmes pour pas grand-chose, quelques dizaines d'€, dans des hôtels à bas coût dont les gérants sont peu regardants sur ce qui se passe sous leurs yeux. C'est Jérôme qui a concrètement pris contact, et sollicité un rendez-vous, fort poliment.
Ana n'avait aucun raison de se méfier : elle a demandé une confirmation par SMS le matin du rendez-vous, mi pour se rassurer, mi pour ne pas se faire poser un lapin... Le jour J ce n'est pas un client poli qu'Ana voir débarquer dans sa chambre d'hôtel, mais 3 hommes.
Jérôme arbore un brassard police, et porte une arme de poing. Anthony et Julien portent le même brassard. Autoritaire, Jérôme exige d'Ana la remise du prix de ses passes. Comme elle rechigne, il montre son arme, et comme elle crie, il la gifle, sèchement, plusieurs fois.
Les 3 compères fouillent la chambre & trouvent quelques centaines d'€ dans le sac d'Ana, le prix de son labeur, de quoi vivre ou plutôt galérer quelques semaines... Elle a vite compris qu'il s'agissait de faux policiers Ana, et elle proteste, oh pas bien fort, à cause de l'arme.
Il ne faut que quelques minutes pour qu'ils jouent leur triste mise en scène et quittent la chambre, y laissant Ana soudain sans le sou et le visage tuméfié, furieuse de s'être fait avoir et encore choquée de cette violence, ces cris, cette arme et les coup en plein visage...
Déjouant les pronostics des trois comparses, Ana va au commissariat. Elle se dit que peut-être les policiers vont lui rire au nez, mais tant pis, c'est PAS JUSTE. Il y a bien quelques sourires en coin à l'accueil mais, après 1 long moment d'attente, Ana est reçue par 1 enquêteur.
Elle raconte tout, le premier contact par mail, le numéro de téléphone, les brassards police, le flingue... Elle ne parle pas bien français mais elle veut déposer plainte, tout de suite, sans attendre l'interprète qu'on peut faire venir si elle préfère...
L'enquêteur voit bien qu'Ana est pressée ; il lui propose 1 RDV chez le médecin mais il la sent réticente, alors il prend des photos de son visage, marqué par les coups. Elle n'ira pas au RDV : très vite elle quitte la ville, et ne répond plus aux sollicitations de la police.
Peu importe, la machine est lancée. Les faits sont graves : 1 arme, l'usage de la qualité de faux policiers... La sûreté départementale (SD) est sur le coup & les investigations avancent. Ana a vite réagi et du coup les policiers obtiennent les vidéos surveillances de l'hôtel,
qui confirment ses propos:on y voit Jérôme & ses co auteurs entrer dans l'hôtel avec leurs brassards. On retrouve le cyber café d'où le RDV a été pris, ça n'apporte rien. Le travail sur la téléphonie paye : petit à petit, au fil des semaines, la SD tire le fil...
Leurs tristes vacances terminées, les 3 copains se sont séparés et sont chacun retournés à leur vie, sans se douter qu'ils ont, bien que croyant être prudents, semé des petits cailloux pour que le service d'enquête les retrouve.
Le directeur d'enquête m'informe que deux autres RDV avaient été pris, avec deux autres prostituées. Pour l'une, ils ne sont pas venus, pour l'autre, c'est elle qui ne s'y est pas rendue... Je fulmine, s'en prendre à des filles en galère de manière aussi sournoise...
en espérant que ni justice ni police ne s'en soucieront, je trouve ça odieux, et je compte bien leur prouver qu'ils se sont trompés. Une fois les malfaiteurs identifiés et logés, on met en place le plan d'action. La hiérarchie policière traîne les pieds.
Envoyer des enquêteurs loin de leur circo, devoir ramener les mis en cause sur place sur le temps de la garde-à-vue, c'est fastidieux, c'est chronophage, c'est cher... Le directeur d'enquête est partant, ses hommes ont tellement travaillé, j'insiste. Tout est prêt... Go.
Et le travail paye : au petit matin les trois suspects sont interpellés à leurs domiciles respectifs, sans incident particulier. Julien, imprudent, a conservé les brassards, et l'arme, factice mais fort bien imitée... Ils sont placés en garde-à-vue.
Très vite, Anthony craque et balance tout. Aucun antécédent, c'est sa première garde-à-vue... Il décrit par le menu le plan, que Jérôme a pris en main en promettant qu'il y avait de l'argent à se faire et qu'il y avait 0 risque, la fille ne dirait jamais rien.
Ce n'était pas prévu que des violences soient exercées; il a senti à l'hôtel que les choses lui échappaient, mais c'était trop tard.Julien,quelques antécédents, se rend à l'évidence quand les policiers abattent leur carte. Il minimise son rôle mais livre des aveux circonstanciés.
C'est plus compliqué avec Jérôme : il a déjà été condamné à de nombreuses reprises, se trouve en état de récidive, et il risque gros. Il ergote, il conteste, il s'énerve... Les auditions sont tendues mais malgré ses efforts, le dossier est carré : je décide de poursuivre.
Je requalifie les faits en vol aggravé par plusieurs circonstances & je saisis le tribunal en comparution immédiate. Le banc des victimes est vide : Ana n'est introuvable & n'a donc pas pu être prévenue de l'audience. Anthony est mortifié, Julien mal à l'aise, Jérôme en colère
mais ça ne change rien aux résultats de l'enquête, et les 3 compères sont condamnés. Les peines sont très en deça de mes réquisitions, et le seront toujours en appel, la personnalité de la victime ainsi que son absence ayant manifestement joué... Trop à mon goût.
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Audience correctionnelle, comparution immédiate. Amir, prévenu, est mécontent. Il a le sentiment que le procureur (votre serviteur) & le tribunal se moquent de lui, & il le fait bruyamment savoir, l'avocat de permanence chargé de le défendre se faisant pour sa part tout petit.
Amir a été interpellé il y a 4 jours. Les gendarmes l'ont arrêté alors qu'il quittait le domicile de son ex compagne, mère de ses enfants, où 1 discussion houleuse venait d'avoir lieu. Comme souvent, il s'est énervé, a cassé des objets & a menacé son ex de tout 1 tas de misères.
L'objet de la discorde? Officiellement, les droits de visite d'Amir, qu'il entend exercer quand il le souhaite malgré 1 jugement JAF très clair qui en fixe les modalités. Officieusement ? L'ex d'Amir refait sa vie & ça ne lui plaît pas DU TOUT. Il est donc venu, à l'improviste.
Hervé se tient bien droit à la barre. Il est mal à l'aise. 56 ans, aucune mention au casier, rien ne le prédestinait à comparaître devant le Tribunal Correctionnel. Rien, jusqu'à ce soir-là, où il a tué un homme et son fils. Hervé est là pour homicide involontaire.
L'ambiance est pesante, comme souvent, comme toujours dans ce genre de dossiers. Sur le banc des parties civiles, Laura et sa fille Emma, se raccrochant l'une à l'autre comme depuis des mois, depuis ce soir-là où leur vie a explosé. Un samedi pluvieux, tard.
Christophe est allé chercher Matteo, son fils, chez ses parents où il a passé quelques jours. C'est un peu loin... Il a mangé chez eux puis a installé son petit dernier, bien sanglé, dans son réhausseur à l'arrière, où il s'est très rapidement endormi.
Cour d'assises. Je représente l'accusation. Laurent, l'accusé, a l'air de s'ennuyer ferme. Il encourt la perpétuité mais n'a pas l'air inquiet... Il est poursuivi pour des faits de vol avec arme commis en état de récidive légale. Il a en effet déjà été condamné plusieurs fois,
jamais pour des faits de même nature mais pour du trafic de stupéfiants, ce qui le place en état de récidive, c'est la loi. La peine de 20 années de réclusion encourue pour un vol avec arme passe donc à la perpétuité... Gros enjeu, dont l'accusé ne paraît pas prendre conscience.
Je n'ai pas suivi ce dossier au départ & j'ai été désignée pour assurer les fonctions d'avocat général aux assises. "Vous verrez Sir ! Facile...". Je m'y suis plongée avec cette impatience teintée de fébrilité car les assises, ce n'est jamais rien. Mon proc avait raison : facile.
Audience correctionnelle, comparution immédiate. Myriam est fatiguée. Pour la énième fois, elle raconte son histoire. Ça fait trop longtemps que ça dure. Elle veut que ça s'arrête. Son plus grand malheur, pense-t-elle maintenant... C'est d'avoir rencontré Sylvain.
Ils étaient tous jeunes et n'avaient connu que des amourettes, et là, le flash, le coup de foudre, la symbiose. Ils ne se sont plus quittés. Les premiers projets.Le mariage. Le premier enfant, 1 fille. Sylvain a toujours été caractériel & un peu jaloux, mais rien d'inquiétant.
Le 2ème enfant, 1 autre fille. La maison. Une vie qu'on construit, petit à petit. Sylvain se blesse au travail, et est placé en invalidité. Les revenus du ménage diminuent. Les enfants sont plus grands & vont à l'école. Myriam décide de se remettre à travailler.
Audience correctionnelle, formation collégiale. Je représente le ministère public avec 1 auditeur de justice qui doit prendre les réquisitions. On juge 1 vol avec violences & l'ambiance dans la salle est proprement irrespirable.
Une tension à couper au couteau est palpable. A la barre 3 prévenus, qui viennent répondre de faits commis au préjudice d'une boulangerie pâtisserie réputée de la ville. Christelle, poursuivie pour complicité, y a travaillé dans le passé. Elle connaissait les horaires,
les moments où la recette serait bonne, & les habitudes du patron. Elle a rencontré Salim, la petite trentaine. Il appartient à une famille bien connue du parquet de mon ressort. Défavorablement connue comme on dit. Malgré de nombreuses condamnations, Salim ne se range pas.
1 information judiciaire est ouverte à mon cabinet. J'ai lu le dossier et à ce stade, je n'ai pas d'avis. Interrogatoire de première comparution, Michel nie, avec force. C'est un homme d'1 petite soixantaine d'années, ancien ingénieur, dont on sent qu'il a une certaine autorité.
Il répond à mes quelques questions, & sourit quand je l'interroge sur les téléchargements de fichiers pédo pornographiques... "Vous savez, Madame le juge, à mon âge les jeunes filles..." Ah Michel badine?..Je lui mets sous le nez l'album photo qu'a constitué l'OPJ.
"Des jeunes filles Monsieur? Pouvez vous évaluer l'âge de ces mineures?" Silence de l'autre coté du bureau, l'avocat de Michel détourne les yeux... Elles ont 6 ou 7 ans. "N'est-ce pas étonnant que votre fille situe les 1er faits dont elle vous accuse alors qu'elle avait cet âge?"