Thread by @BenjaminBriceFR

Est-ce que la 🇫🇷 vit au-dessus de ses moyens ?
Très certainement, et sans doute encore plus qu’on ne le dit !

Mais alors, pour redresser la situation, ne faut-il pas réduire les dépenses publiques ?
Je crois que ce serait de la folie !

Explications à dérouler
👇

1) Le déséquilibre extérieur

Le problème ne se situe pas spécialement du côté du déficit public et de l’envolée de l’endettement ; il se trouve du côté du commerce extérieur.

Ainsi, la balance manufacturière se dégrade en 🇫🇷 depuis une vingtaine d’année (@douane_france).

Les excédents commerciaux sur les services (dont le tourisme) et sur les flux financiers (dont les revenus des investissements directs à l’étranger) ne suffisent plus à compenser les choses (@banquedefrance).

Notre solde courant est déficitaire depuis 2007 (@OCDE_fr).

Au final, la position extérieure nette de la France, positive au début des années 2000, n’a fait que se détériorer depuis lors (Eurostat).

Les récentes politiques de compétitivité n’ont pas inversé la tendance !
T2-2012 : -11 % du PIB,
T2-2017 : -19 %,
T4-2020 : -27 %.

Surtout, parmi les principaux pays européens, nous sommes les seuls à avoir connu ce type de trajectoire dans les 10 dernières années ! Ce qui explique la divergence croissante entre nos intérêts et ceux de nos partenaires…

https://twitter.com/BenjaminBriceFR/status/1367868620345401347

Que finance un tel déficit extérieur ?

➡️ Des investissements dans l’appareil productif pour gagner des parts de marché ?

Non ! Nous accusons plutôt du retard (ex. sur les robots), et nous perdons des parts de marché chaque année du fait de la désindustrialisation.

➡️ Des investissements pour nous préparer aux bouleversements futurs (climat, tensions internationales, divisions sociales, etc.) ?

Pas vraiment ! Les gouvernants se concentrent plutôt depuis une vingtaine d’années sur la réduction des dépenses publiques.

➡️ En fait, notre déficit extérieur (couvert par l’endettement) ne finance pas de l’investissement. Il finance principalement un surcroît de consommation importée…

Voilà pourquoi il ne me paraît pas polémique de dire que nous vivons – collectivement – au-dessus de nos moyens.

Bien sûr, cette situation ne doit pas faire oublier qu’il existe en même temps des enjeux de répartition entre classes sociales.

L’abondance matérielle permise par la consommation importée a peut-être finalement renforcé les inégalités ⤵️

https://twitter.com/BenjaminBriceFR/status/1392440478092734470

2) Dépenses publiques et investissements

Dans le débat public, les personnes qui reconnaissent que nous vivons au-dessus de nos moyens se servent souvent de cette réalité pour réclamer une baisse des dépenses publiques.

Cela me paraît une grave erreur.

Du côté des dépenses publiques, nous ne vivons pas au-dessus de nos moyens parce que nous dépensons trop, mais parce que nous ne dépensons PAS ASSEZ !

En fait, le sous-investissement d’aujourd’hui nous promet d’importantes difficultés de long terme.

➡️ L’éducation ?

Les dépenses intérieures d’éducation ont diminué de 1 point de PIB depuis la fin des années 1990 (de 7,7 % du PIB à 6,7 % en 2018) (DEPP).

La dépense par étudiant à l’université a carrément reculé dans les 10 dernières années !

Une meilleure gestion ? Non, une stagnation des salaires.

Ex. un poste de MCF à la fac = 2,3 smic en 1985, contre 1,5 en 2018.

Donc une ↘️ des candidatures au CAPES (@cafepedagogique).
« Ce sont les meilleurs étudiants qui se détournent du métier d’enseignant » (Pierre Merle).

Sans compter le manque de matériel, les nouvelles tâches administratives, la moindre considération des enseignants, etc.

Certes, les résultats internationaux des élèves 🇫🇷 ne sont pas spécialement bons. Mais notre investissement dans l’éducation n’est pas non plus très élevé…

Alors que l’école fait face à de nombreux défis (inégalités scolaires, faible mobilité sociale, tensions identitaires), il ne me paraîtrait pas aberrant que nous consentions, collectivement, un effort éducatif de l’ordre de 1 ou 2 points de PIB, afin de redresser les choses.

➡️ La recherche et développement ?

En part de PIB, les dépenses de R&D 🇫🇷 (publiques et privées) stagnent. Notre pays a tendance à décrocher par rapport à l’🇩🇪, les 🇺🇸 ou la 🇸🇪 ; l’écart se resserre avec l’🇮🇹 (OCDE).

Cela joue sur l’innovation et la compétitivité hors coût.

De plus, une politique industrielle ambitieuse de relocalisation demanderait + de moyens.
Ex. l’administration Biden prévoit d’investir 50mds$ dans les semi-conducteurs.

Pour atteindre l'objectif de 3 % du PIB en R&D, la 🇫🇷 devrait envisager un effort de près de 1 point de PIB.

➡️ La défense ?

Avec la fin de la décolonisation, puis la sortie de la guerre froide, les dépenses militaires 🇫🇷 ont beaucoup diminué.

Années 1960 : 4,6 % du PIB,
1970s : 3,2 %,
1980s : 3,1 %,
1990s : 2,5 %,
2000s : 2,0 %,
2010 : 1,9 %.
(@SIPRIorg)

Mais on voit aujourd’hui qu’il existe de nouvelles menaces : 🇨🇳, 🇷🇺, terrorisme, approvisionnements…

Pour que la 🇫🇷 (voire l’🇪🇺) reste dans la course et ne dépende pas complètement des 🇺🇸 pour sa sécurité, une ↗️ du budget de la défense d’un demi-point de PIB semble un minimum.

➡️ La transition écologique ?

Du point de vue écologique, les 🇫🇷 vivent clairement au-dessus de leurs moyens : nous consommons trop.

Et la « France n’est toujours pas sur la trajectoire qu’elle s’est donnée vers la neutralité carbone […] » (Haut conseil pour le climat, 2020).

Quels moyens doit-on engager pour avoir une chance d’atteindre l’objectif de « zéro émissions nettes » en 2050 ?

D’après une étude de l’INSEE, il faudrait investir au moins entre 2 et 2,5 points de PIB SUPPLÉMENTAIRES chaque année (dépenses publiques et privées).

Et je n’ai même pas évoqué ici le vieillissement de la population qui va peser sur les dépenses publiques dans les décennies à venir (santé et retraites). Ni le coût de la précarité liée aux politiques de flexibilité (mauvaise protection sociale, retraites très faibles, etc.).

Bref, nous finançons à crédit notre confort matériel au travers de marchandises importées, tout en sous-investissant dans des domaines clés pour l’avenir du pays.

On ne rétablira probablement pas les choses en coupant les budgets avec des mesures d’austérité !

3) Alors quel cap ?

Globalement, il nous faut plus de moyens pour affronter un monde incertain (avec notamment des financements publics), et donc moins d’argent consacré à notre consommation importée.

Le plus sage me paraît donc d’entreprendre un effort collectif de sobriété.

Quels ordres de grandeur ?

En couplant diminution des importations et relocalisation d’activités industrielles, la 🇫🇷 pourrait au moins rééquilibrer sa balance commerciale sur les biens.
Soit un gain annuel de 2-3 % de PIB (sous forme de salaires, cotisations, impôts, etc.).

(À noter : en 🇪🇺, les groupes 🇫🇷 sont ceux qui emploient le plus de personnes à l’étranger ⤵️
Un effort de relocalisation de l’investissement industriel sur le sol national entrainerait donc sûrement une légère baisse de l’excédent 🇫🇷 sur les revenus d’investissement.)

Ensuite, grâce à la relocalisation d’activités industrielles et aux nouveaux investissements (éduction, transition écologique, etc.), il deviendrait enfin possible de revenir au plein-emploi, avec une répartition géographique plus équilibrée ⤵️

https://twitter.com/BenjaminBriceFR/status/1400009690889736192

Ce qui représente un gain important, car le chômage et la précarité coûtent cher :
~ 1 point de PIB pour la pauvreté et l’exclusion,
~ 1 pt pour les aides au logement,
~ 2 pts pour l’indemnisation du chômage.

Il serait avantageux qu’il y ait - de prestations et + de salaires.

Et l’efficacité de l’action publique ?

Oui, il y a sans doute des gains potentiels.
Mais cela fait 20 ans que la haute fonction publique a l’obsession de la réduction des dépenses, sans que les résultats soient au RDV (bureaucratie, peu d’économies, inégalités d’accès, etc.).

Il semblerait donc préférable de partir des besoins (aménagement du territoire, cohésion sociale, objectifs nationaux) plutôt que des coûts. Et de faire ensuite en sorte que l’argent soit utilisé efficacement.
Ce qui demande parfois d’investir plutôt que de serrer la vis !

Au final, pour vivre à la hauteur de nos moyens, il va y avoir un arbitrage à faire au détriment de notre consommation importée et en faveur des investissements (des investissements qui ne sont pas seulement publics : relocalisation, R&D, transition écologique).

Conclusion

En vue de la présidentielle, le gouvernement affiche son intention de faire des économies : rapport de @JeanArthuis, proposition d’une règle de stabilisation des dépenses (@BrunoLeMaire), etc.

Eh bien ! les opposants ont raison de dénoncer ce chantage à la dette.

Cependant, cela n’efface pas le fait que la 🇫🇷 vit au-dessus de ses moyens et qu’il faut répondre à ce défi.

À mon avis, la manière la plus conforme à notre intérêt général de le faire est de promouvoir davantage de sobriété.

Évidemment, j’aurai encore l’occasion d’y revenir 😉

Sources :
1)
- Image balance manufacturière : @douane_france, bilan 2020, p. 18.
- Image balance courante : @OCDE_fr, 2000-2020, data.oecd.org/trade/current-….

- Image balance des paiements : @banquedefrance, « La balance des paiements et la position extérieure de la France : Rapport annuel 2019 », juillet 2020, p. 43.
- Image position extérieure globale nette : @EU_Eurostat, ec.europa.eu/eurostat/datab….

- Image robots : @IFR_Robots, janvier 2021, ifr.org/ifr-press-rele….
- Image demande adressée à la France : @douane_france, bilan 2020, p. 10.

2)
- Image dépenses intérieures d’éducation : DEPP, « Repères et références statistiques », édition 2020, p. 324.
+ Dépense par étudiant : id., p. 332.
- Stagnation des salaires : David Larousserie, novembre 2020, lemonde.fr/sciences/artic….

- Image CAPES : François Jarraud, @cafepedagogique, novembre 2019, cafepedagogique.net/lexpres-so/Pag….
- Citation de Pierre Merle : @laviedesidees, septembre 2020, laviedesidees.fr/La-reforme-de-….
- Image résultats PISA : @OCDE_fr, oecd.org/pisa/publicati….

- Image dépenses dans l’OCDE : octobre 2020, oecd.org/fr/education/r….
- Image dépenses de R&D : @OCDE_fr, data.oecd.org/fr/rd/depenses….
- Investissement US dans les semi-conducteurs : @learyreports, @pziobro, @WSJ, mars 2021, wsj.com/articles/biden…

- Dépenses militaires : calculs à partir du fichier téléchargé sur le site du @SIPRIorg, sipri.org/databases/milex.
- Objections climatiques : rapport du @hc_climat, juillet 2020, p. 20. vie-pu-blique.fr/sites/default/…

3)
- Gain sur la balance commerciale : @InseeFr, tableau 5.407.
- Image filiales à l’étranger (données 2017) : @DGTresor, « Le commerce extérieur de la France : Analyse des résultats 2019 », rapport 2020, p. 41.

- Image des dépenses de protection sociale : DREES, édition 2018, p. 39, drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/p….