Je l'avais promise il y a qq jours. Les vacances ne s'y prêtaient guère mais la rentrée venue, la voici.

#FichedeLecture:
Georges Bensoussan, Les Juifs du monde arabe: La question interdite, Odile Jacob coll. Histoire, 2017, Paris, 166 pages, 21,90€
1. L'auteur
Georges Bensoussan (né en 1952 au Maroc) est un spécialiste d'histoire culturelle de l'Europe des XIXe & XXe siècles et en particulier des mondes juifs. Ses travaux sont consacrés à l'antisémitisme, la Shoah, le sionisme et l'articulation entre Histoire et mémoire.
Rédac' chef de la Revue d'Histoire de la Shoah (dispo en ligne sur cairn.info) & responsable éditorial au @Shoah_Memorial, il replace la Shoah ds l'histoire globale du monde & l'Occident. Il considère que l'événement constitue non une anomalie mais un aboutissement.
Bensoussan définit le sionisme comme 1 mvt national qui redéfinit l'identité juive, 1 révolution culturelle autour de la langue de la nation juive: l’hébreu. Le sionisme ne vise pas slt à créer 1 État juif, mais à décoloniser le sujet juif & le désaliéner au temps des nations.
En 2012 il publie une somme (975 pages): 'Les Juifs en pays arabes: Le grand déracinement 1850-1975' (dont la réédition en poche est prévue en octobre prochain).
Je précise: je n'ai pas lu ce livre & ne sais pas comment il s'articule avec le livre objet de cette fiche.
2. Le livre
C'est un intéressant équilibre entre vulgarisation & recherche scientifique.
Côté vulgarisation: il est court, écrit ds un style fluide.
Côté scientifique: il fourmille de notes (malheureusement reportées en fin d'ouvrage) qui permettent de sourcer les développements.
Manque toutefois une bibliographie récapitulative, ce qui constitue à mon sens une lacune sérieuse.
Après un avant-propos introductif les développements sont organisés en 2 parties inégales composées respectivement de 4 & 9 chapitres que suit une conclusion.
La thèse du livre est simple: la condition juive ds le monde arabe a tjs été marquée par la dhimma (soumission).
Assurer qu'elle était heureuse d'Al-Andalus jusqu'en 1948, c'est entretenir 1 mythe formulé par les Juifs d'🇪🇺 au XIXè, mtn par le monde arabe, que contredit l'analyse
Chroniques, archives & témoignages, qu'ils soient d'origine arabe, occidentale ou juive, confirment qu'il s'agit d'1 histoire de domination, parfois d'admiration, mais tjs de l'histoire d'une minorité objet permanent de mépris, que justifient les textes fondateurs de l'Islam
et que confirment l'étude des conduites du corps & des rites religieux, l'histoire culturelle et l'étude des mentalités.
Ce n'est pas le sionisme qui crée la rupture entre Juifs & Arabes mais l'Occident des Lumières en offrant aux premiers l'émancipation, par le biais de l'école.
Le chapitre 1 présente le cadre mental càd les textes juridiques qui encadrent le statut des dhimmi (juifs & chrétiens) en terre d'Islam (🇲🇦🇹🇳 🇮🇶 notamment).
Les Juifs sont dépourvus de personnalité civile & considérés, à l'instar d'animaux, comme la propriété du seigneur (sid).
Il est défendu d'accéder aux fontaines publiques ou de répondre aux insultes & aux coups reçus de la population, sous peine de lourdes sanctions.
La violence & l'humiliation ont pour objet de rappeler constamment aux 'yaoudi' qu'ils ont des maîtres, créant des 'êtres abîmés'.
Le chapitre 2 détaille l'exemple 🇹🇳 (fréquentes références à Albert Memmi).
L'antijudaïsme arabe précède l'antisémitisme du colonat français qui l'entretient aussi.
Des émeutes éclatent en 1936 avec la question de l'accession des juifs aux emplois publics ds les mêmes conditions
que les musulmans: l'🇩🇿 voisine fait figure de repoussoir, ds un contexte de concurrence économique & sociale particulièrement marqué aux extrêmes de la hiérarchie sociale (classes populaires & intellectuelles).
Au contraire de la population, le bey protège les juifs (1941).
Le chapitre 3 examine les motifs du départ massif de 900.000 Juifs des pays arabes en une génération, constate l'absence d'expulsion (sauf en Egypte) & l'attribue à l'atmosphère de ségrégation.
Non-renouvellement des patentes des commerçants, mise à l'écart des fonctionnaires,
interdiction d'apprendre l'arabe écrit dt la place devient centrale avec la décolonisation, maintiennent les Juifs à la marge des sociétés. Qq progroms, la propagande antisioniste les transformant en traîtres potentiels, les incitations venant d'🇮🇱 lèvent les dernières réticences
Le chapitre 4 étudie les mécanismes mentaux créant la peur & l'humiliation.
Les femmes transformées en objet de possession sont interdites de se voiler & ainsi exposées aux regards publics.
Le Comité suprême arabe de Jérusalem de 1939 s'indigne du changement d'attitude des Juifs
d'Orient autrefois "paisibles, résignés & heureux" mais désormais "plein de morgue & d'arrogance".
Ces mécanismes sont intériorisés: ne sont jamais évoquées "les attaques nombreuses faites par le FLN contre des lieux juifs" comme le saccage de la grande synagogue d'Alger en 1960.
La 2è partie examine le creusement de l'écart entre sociétés juives & arabes et l'attribue au processus d'occidentalisation, adopté par les 1ers comme mécanisme d'émancipation, mais rejeté par les 2nds.
La condition juive en Orient ne fut ni 1 âge d'or ni 1 âge de persécutions.
Le chapitre 5 confronte les récits aux faits.
En l'espèce, le narratif assurant que le sultan du 🇲🇦 avait protégé ses juifs pdt la guerre, ce qui apparaît discutable: le statut des Juifs imposé par Vichy est appliqué, des démarches sont entreprises pour convaincre la France de ne
pas rétablir le décret Crémieux dans l'🇩🇿 voisine.
L'attitude germanophile du monde arabe, traduction d'un antisémitisme répandu, est manifeste: la 1è bio d'Hitler paraît en Egypte dès 1934.
L'entrevue de Montoire qui confirme le maintien de l'ordre colonial 🇫🇷 ne l'affecte pas.
Le chapitre 6 est consacré à Jérusalem.
Ce n'est pas le + novateur du livre. On connaît les arguments. Côté juif, la Ville n'a jamais été un lieu saint de l'Islam avant 1948. Côté arabe, on profite de l'ONU pour affirmer contre l'évidence l'absence de trace archéologique juive.
Intéressant ttefois: la critique par Bensoussan de l'analyse du sionisme que fait Elias Sanbar, qui l'assimile à une idéologie völkisch en jouant sur le mot de 'rédemption'. ES lui donne un sens de 'purification' alors que GB lui donne le sens de 'désaliénation de l'être juif'.
NOTE A LIRE: Je ne peux continuer dans l'immédiat la recension du livre, je poursuivrai demain.
Je publie néanmoins sans attendre, je suis intéressé par les remarques constructives exclusivement.
Le travail que j'étudie est un travail scientifique, pas un ouvrage polémique.
Ma TL n'est pas un champ de bataille, j'ai circonscrit volontairement les références à Bensoussan.
Je bloquerai sans préavis celles & ceux qui seraient plus intéressés par les insultes ou la polémique.
Le chapitre 7 expose les réactions provoquées ds le monde arabe par la persécution des Juifs pdt la 2GM: une large indifférence, parfois teintée d'hostilité & quelques mains tendues comme celle du patriarche maronite du Liban dès mai 1933.
L'Algérie constitue un cas particulier,
l'abrogation du décret Crémieux satisfait la demande de la pop.
Les liens entre communautés sont ténus: à la faible participation des Arabes ds les mvts d'amitié (LICA) répond une faible participation des Juifs ds les mvts nationalistes luttant pour l'indépendance vav de la 🇫🇷.
Le chapitre 8 évalue l'aide apportée aux Juifs par la Grande Mosquée de Paris pdt l'Occupation.
A l'image du reste de la population, le recteur & la Mosquée "agirent tour à tour comme les agents de la résistance, de l’accommodement & et de la collaboration". Des enfants furent
cachés mais cet accueil demeura marginal malgré les possibilités dont disposait l'institution, chargée de confirmer que tel mis en cause était juif ou musulman.
Il faut dissocier la vision rétrospective contemporaine de la situation historique avérée.
Le chapitre 9 intitulé "Histoire de la Shoah ds le monde arabo-musulman" analyse davantage les mentalités contemporaines que les faits passés (à l'instar du précédent).
Le Projet Aladin de recherche de Justes ds le monde arabe est vain car il n'a pas été occupé par les nazis
(sauf Libye & 🇹🇳 pour un tps limité). Les 70 Justes musulmans st donc albanais.
Il faut se défier des réinterprétations contemporaines, influencées (1) par le conflit israélo-arabe & (2) par la question postcoloniale.
Le chapitre 10 examine le cas des Juifs marocains.
Il rappelle leur nostalgie du pays perdu qu'il explique par le mépris & la discrimination dont les Juifs orientaux (mizrahim) ont été victimes de la part des ashkénazes à leur arrivée en 🇮🇱, relégués ds des camps de transit &
destinés à des emplois inférieurs. Le départ n'est pas slt lié à la propagandes de l'Agence juive mais à un mal-être réel.
Après l'interdiction d'émigrer fulminée par Mohammed V, Hassan II consent au départ contre une 'indemnisation' par les organisations juives internationales.
Le chapitre 11 aborde le "vivre-ensemble" français.
Il critique comme 'militante' l'historiographie contemporaine (Benjamin Stora par ex) qui insiste sur la vie commune pdt 13 siècles entre Juifs & Arabes sans rappeler les rapports conflictuels ou l'inégalité fondamentale imposée
par la dhimma.
Il est aussi faux de présenter l'histoire des Juifs du monde arabe comme un enfer (réécriture par les Juifs) que comme une trahison en faveur du colonisateur (réécriture par les Arabes). Les conflits sont anciens & largement antérieurs à l'apparition du sionisme.
Le chapitre 12 interroge la réécriture contemporaine du départ.
Les nationalismes 🇲🇦&🇹🇳, en ce qu'ils constituent davantage un mvt de défense de l'islam qu'un mvt d'émancipation pol, ne pouvaient intégrer les Juifs auxquels il était défendu d'écrire & lire l'arabe ou d'étudier le
Coran. Albert Memmi est cité comme preuve que personne en 🇫🇷 ne veut entendre cette exclusion des Juifs du monde arabe initiée par la dhimma & achevée par la décolonisation: "en arrivant en 🇫🇷 je me trouvais confronté à ce racontar que J & A auraient tjs vécu en parfaite entente"
Le 13è chapitre cite les démarches de plusieurs intellectuels arabes cherchant à comprendre la faible pénétration des Lumières ds le monde arabe et à interroger le rapport de ces sociétés à l'Autre, qui serait trop souvent dominé par une dimension inégalitaire & violente.
La conclusion reformule la thèse initiale: ce n'est pas le conflit israélo-arabe qui provoque le divorce entre Juifs & Arabes et le départ de ceux-là, mais l'inégalité juridique devenue intolérable pour les Juifs avec l'occidentalisation.
Il n'existe pas UNE mémoire des Juifs du monde arabe mais DES mémoires, d'autant plus douloureuses que l'on descend ds l'échelle sociale.
(Note: je trouve dommage de n'avoir pas approfondi cette distinction sur l'influence du milieu social sur la formation de la mémoire.)
MES REMARQUES: Avant cette lecture, je ne connaissais rien à ce sujet que j'ai donc découvert avec des yeux neufs. Le détail de l'appareil critique montre le sérieux de l'analyse historique.
J'ai été davantage convaincu par les premiers chapitres (qui analysent une situation
historique selon les règles d'examen des archives) que par la fin du livre (qui entreprend de dénoncer les réécritures contemporaines de l'Histoire).
Il me faut désormais lire d'autres auteurs & me confronter à d'autres sources pour parfaire ma compréhension du sujet, mais ce
livre constitue un 1er éclairage passionnant.
Je le redis, je regrette l'absence de bibliographie récapitulative même s'il est possible de puiser ds les notes pour accéder à d'autres références.
Je propose qq livres qui m'ont été indiqués par divers contributeurs que je remercie.
PS A LIRE.
Je répète: je sais que la figure de Georges Bensoussan est une figure polémique. Je ne veux pas discuter ici certaines de ses déclarations.
J'ai lu le livre d'histoire qu'il a publié et lirai volontiers un livre réfutant avec le même sérieux les théories qu'il formule.
Mais je refuse que ma TL devienne une foire d'empoigne.
Ces sujets engendrent l'émotion, c'est compréhensible, mais je me situe sur un plan scientifique & pas sur un plan politique ni a fortiori partisan.
Merci de respecter ces instructions.
@sharozwa me fait remarquer que j'ai omis un commentaire important:

Il y a une double limite à l'étude de GB. Limite spatiale: c'est très centré sur l'Afrique du nord et même sur Maroc/Tunisie (la colonisation française de l'Algérie crée une situation complètement
différente. Quelques références à l'Irak, l'Egypte, le Yémen, mais pas gd chose.
2è limite: limite temporelle. C'est très centré sur la période 1830-1945. Avec qq exceptions mais rares. Sans doute le format du livre, je pense que les recherches ont été faite pour son autre livre.

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#Thread #Memoire
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🙄
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