J'évoquais l'autre jour l'histoire de mon arrière-grand-père au prénom 'bien français', Croix de Guerre 14-18, que sa confiance (mal placée) dans le Vainqueur de Verdun ne sauva ni de l'ostracisme imposé par le Statut des Juifs ni de la déportation en Lituanie par le #Convoi73.
Aujourd'hui je veux rendre hommage à 1 figure de ce franco-judaïsme auquel ma famille demeure profondément attachée, figure découverte à l'orée de ma carrière d'avocat grâce à 1 livre de #RobertBadinter trouvé dans la bibliothèque familiale: Pierre Masse.
#Thread#Memoire
Originaires de Phalsbourg, les Masse sont français depuis 1791.
Comme 25% des 50.000 Juifs d'Alsace-Moselle, comme les Dreyfus les Bloch-Dassault, comme Emile Mayer déjà présenté, les Masse optent pour la France en 1872 lorsque l'Empire allemand annexe la région.
Pierre Masse (1879-1942) est avocat, docteur en droit, premier secrétaire de la Conférence (1906) puis membre du Conseil de l'Ordre des @Avocats_Paris (1928-1934).
Élu député de l'Hérault en 1914, il sert pendant la Grande Guerre comme officier au 36è régiment d'infanterie et
reçoit la Légion d'Honneur & la Croix de Guerre 1914-1918 avec 2 citations pour faits de bravoure.
Sous-secrétaire d'État à la Guerre chargé de la Justice militaire dans le gvt Painlevé en 1917, il reprend son activité d'avocat en 1919, mais revient en pol comme sénateur en 1939.
Élu de centre gauche, il vote le 10 juillet 1940 les pouvoirs constituants à Pétain, le Vainqueur de Verdun.
Je paraphrase Badinter: dans le désastre qui accable la France, comme l'ensemble des Français, Masse s’accroche à ce symbole vivant d’un passé de gloire et de grandeur.
A peine 3 mois plus tard, le 3 octobre 1940 c'est la promulgation du Statut des Juifs qui rejette les Juifs français aux marges de la communauté nationale, les transforme en citoyen de 2e zone et menace les Juifs étrangers d'internement.
Un siècle et demi d'appartenance à la nation française est rompu.
Lucien Vidal-Naquet (lui aussi avocat) écrit alors: "C’est ainsi que je ne suis plus qu’un demi-citoyen sur le sol même où je suis né et où dorment les miens. C’est ainsi que j’ai perdu le droit d’exercer
la profession qui fut celle de mon père, et que demain se posera pour mes enfants la question de savoir à quelle activité ils auront le droit de se livrer. Je ressens comme Français l’injure qui m’est faite comme juif. J’étais si fier de mon pays !".
Pierre Masse envoie à Pétain cette lettre déchirante:
"Monsieur le Maréchal,
J’ai lu le décret qui déclare que les Israélites ne peuvent plus être officiers, même ceux d’ascendance strictement française.
Je vous serais obligé de me faire dire si je dois aller retirer leurs galons
à mon frère, sous-lieutenant au 36e régiment d’infanterie, tué à Douaumont en avril 1916, à mon gendre, sous-lieutenant au 14e régiment de dragons, tué en Belgique en mai 1940, à mon neveu J.-P. Masse, lieutenant au 23e colonial, tué à Rethel en mai 1940 ?
Puis-je laisser à mon frère la médaille militaire, gagnée à Neuville St Vaast, avec laquelle je l’ai enseveli ?
Mon fils Jacques, sous-lieutenant au 62e bataillon de chasseurs alpins, blessé à Soupir en juin 1940, peut-il conserver son galon ?
Suis-je enfin assuré qu’on ne retirera pas rétroactivement la médaille de Ste-Hélène à mon arrière-grand-père?
Je tiens à me conformer aux lois de mon pays, même qd elles sont dictées par l’envahisseur.
Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, les assurances de mon profond respect.
P. Masse
Anc. Capitaine au 36e RI
Off. Légion honneur Croix de Guerre
Anc. Sous Secrétaire d’État à la Justice militaire"
Aucune réponse de Pétain, bien entendu, sinon une circulaire de février 1941 demandant à tout sénateur de faire savoir s’il est de confession juive.
Pierre Masse écrit encore à Pétain:
"Mon 1er mouvement a été de ne pas faire réponse: il n’y a pas de 'juifs' au Sénat. Ne font partie de cette Assemblée que des citoyens français, quelle que soit leur religion, élus par un collège électoral français, conformément à
une Constitution qui n’a pas été abrogée sur ce point.
J’ai décidé cependant de répondre, par déférence pour le Gouvernement dont vous êtes le chef.
Mes deux grands-pères étaient de religion israélite. L’un, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Strasbourg en 1870, a tout abandonné
propriétés familiales et sa situation pour rester français; l’autre a été, il y a un siècle, maire de la Commune de l’Hérault que je représente depuis 34 ans au Conseil général. Leurs femmes appartenaient à la même religion.
J’élève contre la loi du 3 octobre 1940 la protestation la plus formelle.
D’ascendance strictement française dans toutes les branches et aussi loin que je puis remonter, officier d’Infanterie, titulaire de citations qui ont toutes été gagnées en avant des lignes françaises,
ancien chef de la Justice Militaire à une époque où les gens de la 5e Colonne étaient envoyés aux fossés de Vincennes, ayant parmi mes parents les plus proches quatre officiers tués à l’ennemi, membre du Conseil de mon Ordre, régulièrement élu Sénateur par mes compatriotes de
l’Hérault, je n’accepte pas d’être traité en Français de la 2e catégorie.
Croyez que je regrette, m’adressant à vous, d’avoir à m’exprimer avec cette fermeté. Je n’oublie pas la déférence que je vous dois, ni que j’ai eu l’honneur de siéger avec vous au Comité de Guerre en 1917.
Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, l’assurance de ma respectueuse considération."
La réponse de Pétain?
Il laisse arrêter Pierre Masse le 21 août 1941 à son domicile par des policiers 🇫🇷, parmi 4230 Juifs dont 1500 Juifs français, en représailles des premières actions
de résistance armée que l'invasion de l'URSS en juin a déclenchées.
Je cite Badinter: au camp de Drancy, "l'israélite français, officier de la Légion d’honneur, avocat, sénateur, ancien ministre, n’est plus que le juif Masse, 'Der Jude Masse' comme l’écrit un officier (nazi)".
Le bâtonnier Charpentier sur le camp à l'hygiène déplorable, gardé par des gendarmes 🇫🇷:
"Une carcasse de ciment armé construite par un architecte dément, des grillages comme au zoo & là-dedans, 2000 pauvres diables pouilleux et apeurés, dont + de la moitié ne sait pas le 🇫🇷."
Un journaliste de la presse collabo répand sa haine: "Je les ai vus, ces juifs millionnaires, ex-célébrités du barreau parisien internés dans un camp proche de la capitale. Alignés là devant nous, nous les reconnaissons, ce sont les célébrités du barreau enjuivé d’hier."
Au même moment au palais Berlitz se tient l'exposition "Le Juif & la France" censée illustrer la supposée emprise corruptrice des Juifs sur les institutions & les secteurs d'activité français (commerce, administration, armée, cinéma, littérature) attirant 500.000 visiteurs.
13 décembre 1941, transféré à l’École militaire, Pierre Masse pense qu'il sera fusillé et envoie sa 3è & dernière lettre, au Bâtonnier cette fois.
"Monsieur le Bâtonnier,
Je suis appelé. Je vais probablement mourir.
Je suis venu ici comme avocat. Je mourrai, j’espère dignement,
pour ma Patrie, ma Foi et mon Ordre.
Dites à mes confrères que je les remercie des honneurs qui ont accompagné ma vie professionnelle. J’en emporte une juste fierté.
Je vous recommande mon fils.
Je finirai en soldat de la France et du Droit que j’ai toujours été.
Bien vôtre, en toute amitié et en déférent respect.
Pierre Masse."
Badinter cite le mot cruel d’un autre avocat juif, Léon Maurice Nordmann, ancien secrétaire de la Conférence, résistant fusillé au mont Valérien, compagnon de la Libération, qui disait en 1941:
"Que veux-tu ? Entre la France et les juifs c’est une histoire d’amour qui a mal tourné."
Pierre Masse est conduit à Compiègne puis à nouveau à Drancy d'où il part le 30 septembre 1942 pour Auschwitz par le #Convoi39.
C'est la dernière mention connue de lui.
Ni lui ni aucun de ses compagnons n'ont survécu.
Il avait 62 ans.
Badinter toujours: "Que vaut dans un camp d’extermination un vieil avocat juif, sinon son poids de cendres?"
Hommage à Pierre Masse z"l, Français, Juif et avocat. 🖤
Je publie ici (avec son autorisation) l'anecdote familiale d'une mutu à qui la polémique actuelle sur les prénoms rappelle la révocation de son aïeule par l'administration de Vichy en vertu du Statut des Juifs.
Je ne partage pas toutes ses observations, étant un farouche partisan
de l’Émancipation (dont je reconnais certains excès) & mon ressenti est différent ma famille ayant fait le choix de prénoms français depuis un temps immémorial, mais il faut saisir ce qui se joue ici comme exclusion de la collectivité que prônent les fauteurs de haine.
> "Les éructations sur les prénoms me font penser à mon arrière-grand-mère juive qui avait trois prénoms, deux hébreux et un « chrétien », ce dernier étant le nom d'usage. Pour la révoquer en 1940, l'administration de Vichy lui a écrit en l'appelant par son premier prénom hébreu.
Il ne suffit pas de vêtir des épithètes ‘ambigu & complexe’ une série d’assertions non étayées pour transformer des formules hasardeuses en vérités.
C’est l’ED qui fournirait à la France libre des 1ers combattants? Émile Muselier, ‘l’Amiral rouge’, un homme d’ED?
Félix Eboué, socialiste franc-maçon, un homme d’ED? Les marins de l’Ile de Sein, le ‘Quart de la France, des hommes d’ED?
Ce n’est pas Maurras qui forme CdG, catholique conservateur mais de famille dreyfusarde et attaché aux Lumières & au principe démocratique (qu’honnit Maurras)
mais René de La Tour du Pin, l’inspirateur du catholicisme social. Une dédicace ne suffit pas.
Baden-Baden un centre d’ED? Massu est un soldat de métier.
Et c’est un gaulliste avant toute chose, comme le montre son refus de se joindre au putsch des Généraux en 1961 malgré son
Je l'avais promise il y a qq jours. Les vacances ne s'y prêtaient guère mais la rentrée venue, la voici.
#FichedeLecture:
Georges Bensoussan, Les Juifs du monde arabe: La question interdite, Odile Jacob coll. Histoire, 2017, Paris, 166 pages, 21,90€
1. L'auteur
Georges Bensoussan (né en 1952 au Maroc) est un spécialiste d'histoire culturelle de l'Europe des XIXe & XXe siècles et en particulier des mondes juifs. Ses travaux sont consacrés à l'antisémitisme, la Shoah, le sionisme et l'articulation entre Histoire et mémoire.
Rédac' chef de la Revue d'Histoire de la Shoah (dispo en ligne sur cairn.info) & responsable éditorial au @Shoah_Memorial, il replace la Shoah ds l'histoire globale du monde & l'Occident. Il considère que l'événement constitue non une anomalie mais un aboutissement.
Stimulante réflexion sur le bienfondé de la pénalisation des idées racistes & antisémites.
Spoiler: je suis en désaccord avec @noemie_issan et favorable à des poursuites judiciaires afin de prévenir ces comportements et de rappeler ce qui est licite et ce qui ne l’est pas.
1. Je pense que Noémie, comme elle le relève elle-même, est d’abord victime de son amour de la discussion libre. En talmudiste subtile 😉 elle entrevoit le monde comme un champ de débat ordonné par la confrontation de bonne foi des idées.
C’est beau mais c’est faux.
Des pans entiers de la société demeurent hors du champ de la discussion, par faute de temps, de formation ou d’information.
La liberté d’opinion est absolue parce qu’elle est intime. La liberté d’expression ne peut pas être absolue puisque l’expression échappe à l’individuel
Le milieu littéraire antisémite français est intéressant car c’est en son sein qu’émerge dès l’immédiat après-guerre le négationnisme avec Paul Rassinier & Maurice Bardèche.
Notre «ami» qui joue les dandys cite dans sa TL Drieu, Brasillach, Bardèche, Saint-Loup, Châteaubriant.
Les deux premiers encensent la camaraderie virile de la guerre que notre «ami» semble louer, les deux derniers sont des catholiques régionalistes.
Je suis assez convaincu qu’il ne lit pas Céline, aussi antisémite que les précédents mais trop populaire et anti-religieux.
Bardèche, le beau-frère de Brasillach, est un fasciste convaincu et jamais repenti qui n’aura de cesse d’obtenir la réhabilitation de ce dernier.
Tout ce monde profite de la Guerre froide qui sévit dès la fin des années 40 pour assurer la réhabilitation des nazis et des collabos
🙄
Ça fait 40 ans que je dénonce l’AS d’extrême-gauche, bien avant que ce soit un sujet dans la communauté.
Ça ne m’a jamais rendu aveugle à l’AS d’extrême-droite, qui n’était discret que par obligation et non par sincère contrition.
De l’itw de Darquier de Pellepoix ds l’Express
au «détail» de la 2GM, de la réthorique pourrie de E&R aux récentes tentatives de disculper Pétain de sa responsabilité dans la déportation des Juifs de France, on voit bien que l’extrême-droite n’a jamais déposé les armes.
Elle trouve certes dans une fraction de l’immigration
à la fois des troupes fraîches et un responsable désigné à l’autre extrémité du spectre politiqu.
Mais il suffit de lire Soral, Benedetti, Bourbon et l’autre malade avec ses histoires de mouton pour comprendre qu’elle n’a en rien abandonné sa haine des Juifs.