Bonjour, nous sommes au palais de justice de Paris pour retrouver le procès des attentats du #13Novembre2015 qui va connaître une journée symboliquement importante avec les premiers témoignages des rescapés du #Bataclan. @EBRApresse
16 auditions au moins sont programmées aujourd'hui. L'audience doit débuter à 12h30, mais dans les faits elle commence souvent plutôt vers 13h.
Les personnes attendues à la barre étaient principalement à l'entrée ou dans la fosse de la salle de concert où se produisaient les Eagles of Death Metal. D'autres étaient au balcon ou au bar.
Le premier témoin était au café de l'établissement, que les terroristes ont visé en premier à leur arrivée au Bataclan, avant d'entrer dans la salle.
Mi-septembre, un enquêteur de la brigade criminelle de Paris était venu exposer les constatations réalisées au Bataclan après la tuerie. republicain-lorrain.fr/societe/2021/0…
La séquence couvrant toutes les dépositions des rescapés et proches de victimes du Bataclan doit durer trois semaines. Des dizaines de personnes viendront déposer, ce qui donne une idée de l'impact de cette tuerie de masse, qui a fait 90 morts.
12h55: l'audience est reprise au procès des attentats du #13Novembre2015
Elle débute avec un point technique: des régularisations d'aide juridictionnelle présentée par des avocats des parties civiles.
Et deux nouveaux interprètes en anglais vont maintenant prêter serment.
"Nous allons donc continuer les auditions de parties civiles et nous abordons les personnes qui ont demandé à s'exprimer sur les faits du Bataclan", annonce le président.
Le premier témoin est un jeune homme qui était sur le trottoir, devant le Bataclan. Il était venu voir son ami, le patron de l'Apérock Café, le café du Bataclan.
"Quand ils sont arrivés, on a cru à des pétards comme tout le monde." Il n'a pas été blessé physiquement.
Le témoin est formel: "J'insiste sur un point: ils étaient 4. Ce n'est pas des rumeurs ou des on-dit."
"Il semblerait qu'ils n'étaient que trois, corrige le président, ça ne remet pas en cause la sincérité de votre témoignage. Compte-tenu du chaos, on croit voir des choses. Etes-vous certain d'en avoir vu quatre?" "Oui", confirme le témoin.
"Je suis Ardéchois, on a toujours un couteau sur nous en Ardèche. Ce soir-là je ne l'avais pas."
L'homme, qui a déménagé à Lyon, a commencé sa déposition en rendant hommage aux policiers et gendarmes: "des héros".
Le deuxième témoin est une quinquagénaire qui était au concert. Elle était au niveau du bar avec un ami lorsque l'attaque a eu lieu: "J'ai entendu une voix aigüe, juvénile crier "La France n'a rien à faire en Syrie". Puis "Allaouh Akbar" ou quelque chose en arabe."
Elle se retrouve au sol: "Dans ces cas là on est une chose parmi la terre. On a envie de rentrer dans le sol. On ne sait pas si on est vivant ou mort."
Elle touche le bras de son ami, mais il ne réagit pas: "Je vois son imperméable, ses jambes. Sa tête est méconnaissable. J'essaie de stopper l'hémorragie, de rassembler les morceaux, mais ça ne sert à rien." Elle fond en larmes.
"Je le tire pas les jambes. J'y arrive pas", dit-elle dans ses sanglots. Elle pense qu'il est mort sur le coup, immédiatement au début de l'attaque.
Face au corps de son ami, "j'ai envie de rester là, mais je pense à mon mari et à mes enfants. Ils ont besoin de moi. Je cours et je sors" quand un homme qu'elle pense policier leur dit de sortir alors que les terroristes rechargent leurs armes.
Accueillie chez un riverain avec d'autres rescapés, elle "attendu un certain temps dans la salle de bain avec un jeune homme de l'âge de mon fils".
Elle a été hospitalisée, mais elle assure que ses blessures sont légère: "Les balles ont traversé la poitrine superficiellement."
Elle se turne vers le box: "Je ne sais pas ce qu'il s'est passé chez les assassins, ce qu'ils ont eu dans leur enfance pour faire ça... Les gens sur lesquels ils ont tirés sont des vraies personnes, pas des objets."
Elle espère aussi que son témoignage, le premier du procès de quelqu'un qui était à l'intérieur du Bataclan, apporte "un chemin de douceur", mai aussi "de l'espoir, de la lumière et de la consolation aux familles des victimes".
Le 3e témoin était lui aussi dans la fosse: "je me suis retrouvé nez-à-nez avec les 3 assaillants. J'ai vu des flammes sortir de leurs armes. Ils tiraient en rafales dans tout le public."
"Rapidement les gens se sont mis à hurler. Ils tombaient, soit touchés, soit ils ont trébuché avec l'effet de panique."
Il se retrouve "prostré", au sol durant toute l'attaque. "Je n'avais que le son, pas l'image. Je me couvrais le visage."
"J'ai vu le pied d'un assaillant se poser près de mon visage, j'ai senti des douilles tomber sur ma tête. J'avais les doigts dans... je sais pas quoi."
"A côté de moi, le téléphone d'un homme a sonné, il a été immédiatement ciblé. Le mien s'est mis à vibrer, ça résonnait sur la parquet alors j'ai essayé d'adapter ma position pour éviter de me faire repérer."
La voix chevrotante, ce jeune homme raconte la terreur de l'attaque: "face contre terre, à pas savoir si on allait prendre la prochaine balle ou pas."
ll était au Bataclan avec un groupe d'une quinzaine d'amis et de connaissance, qui sont tous sortis saufs. Toute la nuit, ils se sont demandé pourquoi ils étaient ressortis vivants.
Puis dans le mois suivants, des questions: "Pourquoi on s'est retrouvé là? Pourquoi ces personnes ont fait ça? De cela découle naturellement de la colère, contre les assaillants, contre notre propre pays en pensant que des actes ont des conséquences."
"Et coupable d'être encore en vie."
Relation sentimentale, amis, travail... "Il m'a fallu du temps pour comprendre que ça dégradait beaucoup de choses autour de moi", confie le témoin.
Un autre témoin est à la barre. Lui aussi était dans la fosse: "ça va très vite et pourtant le temps paraissait long."
Il est venu au Bataclan avec sa compagne: "J'étais en forme, joyeux." C'était "une sortie en amoureux" pour ce jeune couple pacsé.
Il s'est retrouvé pris dans un mouvement de foule. Blessé à la jambe, il n'a pas pu se relever pour suivre sa compagne qui s'enfuyait: "J'ai fait le mort pendant deux heures."
"J'ai dû ramper vers les escaliers", dit le témoin qui se fait d'un coup ironique: "J'ai eu la chance de voir des gens mourir étouffés dans leur sang. C'est chaud."
"D'autres personnes criaient à l'aide. Ils nous tiraient comme des lapins dès qu'un téléphone sonnait."
A la sortie, il a vu des morts et des blessés: "Il a fallu leur marcher dessus. C'est pas super." Il cherchait sa compagne: "je me suis infligé le plaisir de voir les blessés et les mourants. Pendant 45 mn j'ai regardé des cadavres."
Puis il voit sa compagne sortir en pleurs: "C'était le meilleur moment de la soirée, elle était vivante."
Le jeune homme se tourne vers le box: "Vous qui avez fait le djihad, vous avez vu des gens mourir? Des corps déchiquetés? Vous avez attaqué des innocents."
"Vous êtes en colère contre notre pays, mais vous avez attaqué des gens non-armés, innocents, issus de différentes cultures et légèrement alcoolisés. Pourquoi nous?"
Le président, toujours avec douceur, rappelle que plusieurs des accusés contestent leur implication dans les faits. Et qu'ils bénéficient de la présomption d'innocence.
La 5e témoin est une jeune femme venue au concert avec sa meilleure amie: "On est des fans inconditionnelles de rock."
"Ce que j'aime dans les concerts c'est observer le visage des gens. Et là tout le monde était heureux."
Elle était avec le videur, à hauteur du vestiaire, quand les terroristes sont arrivés au Bataclan: "La mort est là. Il la voit." Son ami la prend par le bras: "J'ai compris que quelque chose de très grave arrivait. Le danger est dans la rue."
Elle rentre dans la salle de concert et tente d'alerter les gens. "Je crois que je dis "ça tire". Et mes craintes se confirment: les tirs se mêlent à la musique."
Elle profite que les assaillants rechargent leurs armes pour tambouriner contre une porte avec d'autres personnes. "On crie: "Ouvre-toi putain de porte!" "
La porte s'ouvre et la jeune femme se retrouve avec un groupe de personnes dans la loge: "Quelle mort de merde. je me dis que je vais mourir dans une loge de merde. Je ne pensais pas que le Bataclan était une salle importante."
C'est cette jeune femme de 24 ans à l'époque qui défoncera avec d'autres le plafond au-dessus des toilettes de la loge pour trouver refuge dedans."
Tout au long de l'attaque, elle a pensé à la mort. Réfugiée dans une salle d'aération avec d'autres, elle a demandé à un homme qui avait l'âge de son père de la prendre dans ses bras "quand" ils arriveraient.
C'est cet homme qui lui cachera les yeux lors de l'évacuation, pour qu'elle ne voie pas les corps: "J'ai quand même vu l'horreur", dit-elle.
En menant le groupe qui s'est réfugié dans le plafond, "vous avez sauvé beaucoup de personnes, lui dit le président Periès. Je tenais à vous le dire."
"Il était hors de question que je meure ce soir-là", commente simplement la jeune femme de 30 ans aujourd'hui, qui a dit avoir pensé à sa famille lorsqu'elle s'est retrouvée face contre sol, y trouvant un instinct de survie.
"J'en suis sorti du Bataclan mais tout ne faisait que commencer", explique-t-elle aussi, parlant d'une "descente aux enfers impossible à éviter" ensuite: séparation, difficultés au travail, comportements à risque (alcool)...
C'est maintenant le régisseur du Bataclan qui est à la barre. Pudiquement, il raconte son #13Novembre2015. Il n'est resté que quelques minutes dans la salle avant d'être évacué. Ont suivi deux mois d'arrêt maladie, et il n'a pu reprendre le travail qu'en janvier 2017.
En janvier 2016, il est allé au Bataclan pour évacuer du matériel: "Il restait du sang, des morceaux... de tout. On ne va pas rentrer dans les détails." Ce jour-là, il a vomi.
"On aimerait comprendre les motivations de ces terroristes, qu'ils perçoivent un tant soit peu notre douleur."
Sa vie n'est plus la même depuis les attentats "Je ne suis plus du tout le même homme. Une part d'insouciance a disparu". Il évoque des crises d'angoisses parfois violentes, de l'hypervigilance, des sautes d'humeur et "un grand sentiment de culpabilité".
Interrogé, le régisseur précise que le Bataclan était plein ce soir-là: "Je n'ai plus les chiffres en tête mais il me semble qu'on avait scanné 1498 billets" pour une capacité maximale de 1499 personnes.
L'audience est suspendue.
L'audience reprend avec le témoignage de la femme qui était sur le stand de tee-shirts à l'entrée du Bataclan. Elle s'appelle Helen et parle avec un léger accent anglophone.
La jeune femme est très émue. Elle était avec Nick, "l'amour de ma vie". Elle a vu les gens sortir en courant puis "pop pop pop". "Il y a un gars avec une arme qui commence à tirer sur les gens."
"Nick me dit: Je vais mourir ce soir. Je lui dis non tu ne vas pas mourir ce soir."
"Je me demande ce qu'il se passe. je vois des personnes armées qui tirent sur les gens un peu partout. C'est quoi c'est une blague? C'est un jeu? Je comprend pas."
"Au moment où ils rechargent, beaucoup de gens courent, et nous piétinent. Moi j'étais pas blessée."
Nick, lui, est touché. "Ceux qui étaient en train de tirer reviennent vers nous. L'un dit "ça c'est pour nos frères en Syrie." Moi je comprends pas, je sais pas ce qu'il se passe en Syrie."
"J'étais venue passer du temps avec Nick, l'amour de ma vie." Je lui dis: "Je suis là, je t'aime, je ne te quitte pas."
"Je dis à Nick: Je vais voir comment faire pour nous sortir. Puis je vois quelqu'un sur la scène, qui se penche. Je ne comprends pas. Je vois le policier qui tire sur lui. Il y a l'explosion, les paillettes. Je dis à Nick: on est sauvés."
La jeune femme raconte comment elle a vu un assaillant abattre un homme à terre "sans doute dans la tête".
"A coté un homme crie et insulte les Arabes. On lui dit de se taire." Elle est ensuite atteinte de deux balles dans la cuisse.
"Nick lui est touché au ventre. Il me dit qu'il a du mal à respirer. Je me penche vers lui, je lui donne un peu d'air. J'ai fait ça deux fois. La troisième il me dit qu'il ne peut plus aspirer."
"Il meurt. Je n'arrive pas à le réveiller. Il faut qu'on sorte. Sa peau est très froide. On est allongé dans une flaque de sang."
"Je dis à Nick qu'il faut que je sorte. Je lui dis je t'aime. Je l'embrasse. J'essaie de le bouger. Je n'y arrive pas."
"J'appuie sur la porte, ça ouvre. Il y a tous les policiers avec les armes et qui crient "cours"! Je suis couverte de sang et je me rends compte que j'ai très mal."
"Je ne savais pas à quel oint j'étais blessée."
"J'écris un sms à un ami de Nick pour lui dire qu'il est blessé, sans doute mort. Mais le message ne part pas."
"J'entends "On la perd" mais je n'ai compris que plus tard qu'ils parlaient de moi."
"Mon chirurgien m'a dit que c'était un miracle que je sois vivante, j'ai perdu 4 litres de sang."
"Il m'a dit que c'était un signe que j'avais quelque chose de spécial à faire dans cette vie."
"Avec Nick, on s'était dit qu'on était l'amour de notre vie l'un et l'autre."
Le 24, le corps de Nick allait être envoyé en Angleterre, et sa famille m'a offert la possibilité de fermer son cercueil.
Sur le tee-shirt de cette jeune femme, on peut lire: "LOVE. ALWAYS. WINS."
Elle raconte ses séquelles, physiques et morales. Les difficultés financières pour son entreprise.
"Je ne travaille toujours pas aujourd'hui. Je vois mon psy deux fois par semaine. Le centre antidouleur tous les deux à cinq mois."
"Je ne suis pas en colère. Je ne cherche pas la vengeance."
La jeune femme pleure mais tient son discours: "l'amour gagnera toujours", conclut-elle. Ce sont les mêmes mots qui sont en anglais sur son tee-shirt.
Le témoin qui s'approche maintenant à la barre est une femme de 43 ans qui tremble comme une feuille.
"Aujourd'hui c'est l'anniversaire de ma fille qui a 9 ans et je pensais pas un jour rater son anniversaire pour témoigner à un procès de cette envergure."
"Je suis entrée dans le Bataclan, j'en suis sortie, indemne physiquement." Elle dit avoir un "problème de légitimité à être ici". "Je suis gênée de n'apporter qu'un petit grain de sable à une machine qui me dépasse complètement."
"J'étais au Bataclan avec une amie. rapidement on s'est rendues compte qu'on avait des amis présents un peu partout."
"La porte battante s'est ouverte brutalement avec une ruée de gens. Comme beaucoup, j'ai cru à des pétards. Le mouvement a été extrêmement violent."
Elle aperçoit un terroriste. "J'ai grimpé les escaliers. J'ai pas vu les sorties de secours, les toilettes. J'ai poussé une nouvelle porte battante pour accéder à une mezzanine au-dessus de la scène."
"Je bouscule un homme. Je crois que je commence à comprendre que ce sont des tirs. Il y a quelques chose de très animal, reptilien. Un homme me jette sous les sièges, me protège."
"L'auteur monte. Odeur de poudre de sang. C'est impossible que ce soit ce à quoi je pense. Des cris de douleurs..."
Elle reste sous un strapontin en position foetale "pendant un bon moment avant d'être évacuée par la BRI". Elle vit le massacre "à l'ouïe".
"Au début les tirs sont très rapides, puis ils ralentissent. Des coup à coup. Un pleur, un tir, un cri, un tir, un téléphone, un tir, une supplication, un tir. C'est inéluctable."
Elle aperçoit les baskets à quelques mètres d'un assaillant (Ismaël Omar Mostefaï). "Je me suis longtemps interrogée sur le fait d'avoir été épargnée, ou pas vue."
"Arrive l'explosion. J'avais pas pensé à un gilet explosif. C'est encore plus fou. Ils n'en ont rien à foutre de mourir. Personne ne sera épargné."
"On a été soulevés par le souffle. Pour la deuxième fois je me dis qu'on s'en sortira pas."
Puis une autre explosion. "Et un silence assourdissant. Juste des téléphones qui sonnent."
Puis l'attente et le cerveau qui repart vers le quotidien: "Je me dis que j'ai plus de lait das le frigo pour le petit-dej de ma fille. J'avais oublié de payer la cantine. le quotidien reprenait le dessus."
"Cette attente est une torture. Tuez-nous tout de suite."
Elle évoque les terroristes comme personne jusqu'ici: "Je les trouvais pas très motivés. Ils lisaient un discours sans conviction. Ils n'y croyaient même pas vraiment alors qu'ils tuaient des gens. C'était déplorable. Je les trouvais nuls. J'étais affligée."
"On a entendu des gens mourir dans les bras les uns des autres. Parce qu'ils le verbalisaient."
Arrive l'évacuation: "la mare de sans au bas de l'escalier est colossale, épaisse, noire. Elle n'est qu'un indicateur de ce qu'on va voir après."
"Le volume de tous ces corps enchevêtraient qui deux heures plus tôt s'amusaient, buvaient des coups et dansaient..."
"On essaie de ne pas marcher sur les corps tombés près du bar. Mais on n'y arrive pas. Et moi je cherche le corps de mon amie. Le corps d'Audrey."
"Un policier a dit "Les valides levez-vous" et personne ne s'est levé."
En sortant, elle appelle un collègue pour lui dire qu'elle ne sera pas au travail lundi. "ça fait partie des multiples réactions absurdes que j'ai eues ce soir-là." Elle apprend aussi que son amie Audrey est vivante.
Dans un bus vers le la mairie du 11e arrondissement, "la scène qui m'a le plus choquée, "on est accueillis par les flashs des caméras des appareils. On es comme des singes en cage. C'était abject."
Elle rentre chez elle vers 6h du matin. "Ma fille dort encore, elle ne sait pas ce qu'il s'est passé. Dans son sommeil, elle m'a martelée de coups de poing."
"Le psy m'a dit que l'hormone de la peur sent très fort. Et la réaction du petit animal qui était là a eu cette réaction."
La vie a vite repris son rythme pour tout le monde, et tant mieux. Mais je me demande: "pourquoi je vais mal, moi?"
"Je ne dors plus. Mais je suis sortie indemne. J'ai pas le droit d'être mal."
Elle évoque des idées noires, un jour où elle sort faire des courses. "Heureusement ma raison a pris le dessus." Et elle est allée à l'hôpital.
"Dans le questionnaire, c'était demandé: "Avez-vous uriné pendant le Bataclan?" Et je je me demandais quelle était la bonne réponse."
Comme tant d'autres, elle a été victime de syndromes de stress post-traumatique.
"Je ne suis jamais allée au cinéma avec ma fille. je lui ai menti en lui disant que j'étais à son spectacle de danse."
Puis arrive une autre grosses, ardemment désirée. "Mais vu la mère que j'étais, je ne pouvais pas infliger ça à un autre enfant. Alors j'ai avorté."
Elle a fait un trait sur "tout ce qui me constituait. Ils m'ont tout pris."
"Les accusés m'importent peu. ce sont des pions interchangeables."
"Le procès a pour but de mettre en lumière la dimension spectaculaire que ça a pu avoir sur des milliers de personnes."
Interrogée sur le comportement des terroristes, elle précise: "Ils riaient entre eux." Notamment quand l'un n'a pas réussi à changer son chargeur. "Il y avait presque de la légèreté. Ce qui est complètement incongru. Il y a des hurlements mais ils ne prennent pas ça a sérieux."
C'est maintenant Bruno Poncet qui témoigne, connu pour être un représentant syndical. Il était au Bataclan, et c'est lui qui a caché sous un strapontin la femme qui vient de déposer juste avant lui.
Il a essayé de la rassurer en lui disant que les policiers vont arriver: "ça me rassure aussi", dit-il.
Il confirme l'impression de manque de conviction dégagé par les terroristes: "Soit ils y croyaient pas soit ils avaient appris un texte. C'était de mauvais acteurs."
Quand la BRI arrive, il leur dit: "C'est la première fois que je suis content de voir des flics."
"La légende qui dit que les taxis ont ramené les victimes, c'est une légende, grince-t-il. Pas un ne s'est arrêté. On a fini par se mettre en travers de la route pour arrêter un VTC, on lui a donné 50 balles pour nous ramener porte d'Asnières."
Il dit avoir été en état de sidération lors des attentats de Bruxelles (liés à la même cellule terroriste) le 22 mars 2016. Arrêté au travail, il a orienté ses activités vers ses fonctions syndicales.
Il n'accepte plus d'entendre "prise d'otages" lors d'une grève: "Je me suis battu pour ça", dit-il.
"Je pense tous les jours aux victimes. Au début je ne voulais pas venir au procès, je me demandais quelle était ma légitimité."
"Je donnais le change à l'extérieur, je combattais les idées noires. Quand je rentrais chez moi c'était le chaos. J'ai fait vivre l'enfer à ma compagne."
"ça a duré comme ça 2-3 ans. Y a pas longtemps on m'a fiché islamogauchiste. ça n'a ni queue ni tête."
"Quand on est profondément humaniste comme moi, c'est difficile de croire en l'homme après ça. Comment, quand on est né sur le sol français, que eux ait basculé là-dedans? C'est le truc qui me hante le plus."
Bruno Poncet conclut: "Eux ont perdu, nous on a gagné. Ils ne gagneront jamais."
C'est maintenant une jeune femme qui vient témoigner. Elle est venue au concert avec son meilleur ami. Elle a été blessée d'une balle dans l'omoplate, puis une autre dans le pied.
Blessée à la jambe, elle a "procédé par étapes pour s'échapper: décoincer sa jambe, récupérer son sac." J'ai rampé sur des personnes vivantes et décédées pour accéder une sortie de secours."
La douleur au pied l'a empêchée de se lever, alors que c'était la cohue:"J'ai cru que j'allais mourir étouffée sous le poids des gens. Je n'en veux absolument à personne."
A sa sortie du Bataclan, elle a été photographiée: "Je me suis retrouvée dans Paris Match, et quelques jours plus tard dans le New York Times."
Elle dit avoir beaucoup de mal à rassembler ses souvenirs. Elle se souvient surtout de l'odeur du sang et de la poudre. Et de la fille qui était devant elle au concert et qui est morte.
Elle est allée voir la famille de cette jeune femme pour leur dire quelles avaient été les derniers moments de sa vie: "Elle avait toute la vie devant elle. je suis de tout coeur avec sa famille."
Problèmes de sommeil, hypervigilance... Elle aussi a beaucoup de séquelles. Physiquement j'ai toujours mal.
"Je sais qu'un jour je devrais être opérer mais je ne suis pas prête car je devrais faire toute la rééducation. Pareil si je veux avoir un enfant, je dois être opérée en amont car je ne peux pas prendre de poids,à cause de mon pied."
Malgré tout, elle se considère comme "chanceuse" d'être en vie. Mais elle a besoin de "donner un sens à ce qui nous est arrivé ce soir-là."
Une autre jeune femme s'approche de la barre. Universitaire et fan de musique, elle est allée au concert avec son mari, qui doit témoigner juste après elle.
"Comme tous les concerts des Eagles of Death Metal c'était très joyeux, il y avait beaucoup de légèreté."
Au début de l'attaque, "j'ai pensé à un taré. Pas à une raison particulière. A aucun moment je n'ai pensé à un attentat. Parce que ça ne faisait pas partie de ma vie. Encore aujourd'hui, je ne comprends pas la logique."
Elle aussi s'est retrouvée face contre terre: "Un mélange de sang et de bière. Ce qui m'a frappée c'est le visage terrifié de mon mari." Et "les odeurs, comme tout le monde: le sang et la poudre."
"Dans cette première phase, je n'ai as eu peur du tout. J'étais résignée. Je me suis dit que j'avais eu une belle vie, on s'était mariés. Tout ce que je voulais, c'est qu'on vive tous les deux, ou qu'on meure tous les deux."
"Agir c'était deux choses: empêcher mon mari de se lever et de lever la tête. Et avancer quand les tirs s'arrêtaient quelques secondes."
Elle raconte elle aussi comment ils ont fait les morts pour sauver leur vie. "Les tirs étaient très très variables. C'était assourdissant."
"Et à un moment, je ne sais pas pourquoi, il a été possible de se lever à demi et de courir vers la porte."
Après la porte, "premier coup dur": il n'y a pas de sortie. Elle se cache dans un petit local. "C'est là que ça a été le plus dur pour moi. On y est resté longtemps, dans le noir. On était quatre je crois, dont une personne qui saignait."
"C'était qu'une question de temps avant qu'ils nous débusquent. On entendait des bruits de pas à l'étage."
"La promiscuité a été très dure à gérer car il y avait des réactions très variées. Certains ont pris la confiance et dit que les bruits dans la salle étaient des policiers et voulaient qu'on ouvre. Moi je ne voulais pas."
Quand les policiers ("des "robocops") arrivent, ils examinent tous les rescapés: "Ils étaient très stressés et c'était très stressant", dit-elle.
En sortant, "j'ai regardé dans la fosse et ça ne m'a plus jamais quitté. Au-delà des corps, c'était les traînées de sang que je ne m'expliquait pas", et qui étaient apparues avec l'intervention des secours.
La vision des corps l'a fortement marquée: "Ils n'avaient plus l'air normaux. J'ai un visage en tête, j'ai réussi à l'identifier il y a quelques semaines. C'est une image qui est là jour et nuit."
"Les policiers nous ont parqués dans une cour et c'était très dur parce nous on ne voulait pas, on avait peur. Des gens avaient perdu quelqu'un et hurlaient comme des bêtes, et d'autres avaient une euphorie qui me heurtait beaucoup."
"Je crois me souvenir d'avoir entendu l'assaut mais je ne suis plus sûr."
En rentrant chez elle avec son mari, elle prend un bain "et je me rends compte que je suis couverte de bleue." On s'est couché, et j'ai été réveillée par mon mari en pleurs. Mais je ne pleurais pas."
"Je sous-estimais complètement ce qui allait se passer après, je m'estimais juste très chanceuse."
Ses séquelles: "Penser tout le temps aux attentats, faire des cauchemars (pendant au moins 4 ans). Un certain nombre d'éléments du quotidien me rappellent les morceaux de chair que j'ai vus: il y a notamment des choses que j'ai du mal à cuisiner."
"Le moindre conflit même verbal me renvoie à ça. Et comme j'ai une imagination débordante, je fais des cauchemars d'attentats qui n'ont jamais eu lieu."
"Regarder frénétiquement les actualités. Des accès de panique, de me rouler en boule sous mon bureau et tirer la chaise pour qu'on ne me remarque pas. Dans la rue, me rouler en boule sous une voiture, et pleurer."
"Le seul endroit où je me sentais en sécurité, c'est ma baignoire. J'ai pas regardé la facture d'au mais elle a dû augmenter."
Et la peur "constante": "Au début on sortait encore et petit à petit je me suis protégée: plus de transports, plus jamais de foule, de lieu public (salle de concert, musée, cinéma, même les marchés couverts c'est plus possible)..."
"Depuis ce jour là pour moi, le futur n'existe plus. Je ne prévois plus rien. Une flemme immense. Plus aucune ambition, dans aucun domaine. La seule ambition c'est de ne pas être trop mal. Une fatigue indescriptible."
"De gros problèmes cognitifs, plus aucune mémoire explicite. J'arrive pas non plus à passer d'une tâche mentale à l'autre. Impossible de s'organiser. Je ne comprends pas les phrases simples."
"cela commence dès le matin quand je prends ma douche: j'ai trois flacons, je suis incapable de savoir lequel je viens d'utiliser."
"J'ai la chance d'être indemne mais je ne fais rien de ma vie. Et ça j'y pense tout le temps. je suis très fière de ceux qui arrivent à faire des chose,s mais moi j'ai honte de ne rien faire."
"J'ai l'impression de détester tout le monde, d'être devenue mauvaise. Je peux être très dure avec mon mari ou mon fils, je le regrette tout de suite mais ça sort quand même."
"Je bois beaucoup trop et je le sais. Une perte de sens globale sauf ce qui concerne l'humain. Cette flemme, cet aspect tire-au-flanc... J'ai l'impression d'avoir un tout petit réservoir d'énergie."
Elle fait deux séjours en hôpital psychiatrique: "On vient de m'en proposer une nouvelle. J'ai pas du tout envie d'y aller."
"Je suis maintenant totalement désespérée, parce que je me rends compte que tout cela ne partira pas."
Elle évoque son fils, fin 2016: "J'allais très mal quand il est né. Cela a affecté notre relation."
"Il a 3 ans et il a perdu son innocence. Quand on joue aux Playmobil il a toujours des inconnus avec des fusils qui tuent tout le monde."
"On voulait avoir un deuxième enfant mais je me l'interdis. Parce qu'on n'est pas des bons parents."
Au travail aussi, elle souffre énormément. Prof dans une école du supérieur, elle donne des cours à des étudiants mais a du mal à les assurer à cause de ses séquelles, et des arrêts de travail. Aujourd'hui, "je suis dans un placard et ça me va très bien", dit-elle.
"On pourrait déménager et quitter la région parisienne mais il faudrait que je quitte mon école, et comment me vendre à mon employeur dans cet état?"
C'est avec le sentiment de solitude que cette jeune femme bouleversante termine son propos: "Cette impression d'être dans une dimension parallèle." "On est absolument pas intéressant, on est triste, on n'a pas de projet. Sans compter toutes les fois où on plombe l'ambiance."
Elle dit avoir "tout perdu": "J'aimerais dire qu'ils n'ont pas gagné mais ils ont fait beaucoup de mal."
"J'ai l'impression d'être encore là-bas. Je vis avec des morts."
Nous allons maintenant quitter le palais de justice de Paris, mais l'audience se poursuit au procès des attentats du #13Novembre2015. Plusieurs victimes doivent encore témoigner ce soir. A bientôt, vous retrouverez demain le compte-rendu dans les journaux du groupe @EBRApresse.
Procès du #13Novembre : Clarisse, héroïne anonyme du #Bataclan bienpublic.com/faits-divers-j…

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28 Sep
Bonjour, nous sommes de retour au palais de justice de Paris pour suivre la première journée d'audience consacrée aux parties civiles du procès des attentats du #13Novembre2015, pour les journaux du groupe @EBRApresse
Forte présence médiatique pour cette journée particulière, qui inaugure 5 semaines de témoignages des rescapés des attaques, ou de proches des victimes tuées, au Stade de France, sur les terrasses de Paris, ou au Bataclan.
C'est avec les victimes du Stade de France que va débuter, à 12h30, ce deuxième volet du procès, après trois premières semaines consacrées à l'enquête.
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23 Sep
Bonjour à tous, nous voici sur l'île de la Cité à Paris, au palais de justice, pour suivre pour les journaux @EBRApresse l'audience du jour au procès des attentats du #13Novembre2015.
C'est le Pr Bertrand Ludes, directeur de l'institut de médecine légale de Paris (après avoir dirigé celui de Strasbourg) qui est le premier témoin de la journée.
Le Pr Ludes dirigeait l'équipe de médecins légistes qui ont pris en charge les corps des victimes des attentats. Objectif: établir les circonstances et les causes des décès, rechercher tout indice de crime ou de délit.
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22 Sep
Bonjour, nous avons pris aujourd’hui le chemin du tribunal judiciaire de Paris pour suivre l’audience du jour au procès d’Alexandre #Benalla, pour les journaux du groupe @EBRApresse.
L'ex-chargé de mission d'Emmanuel Macron est accusé d’avoir brutalisé des manifestants le 1er mai 2018 et d’avoir utilisé des passeports diplomatiques alors qu’il n’y était pas autorisé. Il comparaît aux côtés de trois autres prévenus.
Cet après-midi, le tribunal correctionnel devrait commencer à aborder les faits qui ont provoqué le scandale: les violences sur des manifestants lors de la manifestation du 1er-Mai à Paris.
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20 Sep
Bonjour, retour au palais de justice de Paris en ce début de semaine pour suivre le procès des attentats du #13Novembre2015 pour les journaux du groupe @EBRApresse #PQR
Ce lundi, la cour d'assises spécialement composée devrait examiner le dernier volet des constatations des tueries du 13-Novembre, avec un retour sur les terrasses endeuillées: la fusillade de la Belle Equipe où 21 personnes ont été tuées, et le Comptoir Voltaire.
C'est au Comptoir Voltaire de Brahim Abdeslam, le frère de Salah, a activé sa ceinture explosive, sans faire de mort mais blessant de nombreuses personnes.
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17 Sep
"Des victimes sont acheminées sur des barrières ou sur des chaises." "C'est terrible, dit-il. Il y a des personnes décédées, des gens encore stabilisés, avec des potences. Des blessés sont sur le trottoir, hagards."
"Il y a des victimes qui crient, qui hurlent, ensanglantées", explique le policier.
"Il n'y a pas d'autre mot: c'est la sidération", dit-il en décrivant son état d'esprit quand il arrive devant le Bataclan.
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17 Sep
Bonjour et bienvenue au palais de justice de Paris pour cette journée d'audience au procès des attentats du #13Novembre2015 qui s'annonce importante: la cour va se plonger dans les constatations réalisées au Bataclan, où 90 personnes ont été tuées.
Hier déjà, elle a examiné les scènes de crime du Stade de France et de deux fusillades sur les terrasses parisiennes: Le Carillon et Le Petit Cambodge, puis La Bonne Bière et le Casa Nostra. leprogres.fr/faits-divers-j…
Au-delà des éléments exposés, l'émotion des enquêteurs était palpable hier. "C'était une scène de guerre", a ainsi déclaré l'un des policiers intervenu sur la scène de crime Carillon-Petit Cambodge.
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