Bonjour à tous,

Au procès des attentats du #13Novembre 2015, l'audience va reprendre pour sa 19e journée.

Le compte-rendu de la journée d'hier par @sophparm est à retrouver ici > franceinter.fr/justice/proces…
Au programme aujourd'hui : le début des auditions des victimes du Bataclan.

A suivre en LT ici.

A la radio avec @sophparm

Et en dessins avec @ValPSQR
L'audience reprend.
Président : "nous abordons aujourd'hui même les personnes qui ont demandé de s'exprimer sur les faits survenus au Bataclan. Nous avons 16 personnes prévues aujourd'hui".
Jean-Charles est le premier à s'avancer à la barre.
"Je voudrais d'abord, parce que j'ai entendu des choses qui ne m'ont pas plu, rendre hommage aux forces de police et de gendarmerie. A mes yeux, ce sont des héros."
"Ce soir-là, j'étais sur le trottoir devant le Bataclan".
Jean-Charles retrouve un ami devant l'Aperock Café. "On se dit bonjour, on allume une clope. Et c'est là qu'ils sont arrivés. Ils étaient face à nous. J'en ai vu qu'un. Parce que quand on vous tire dessus, vous êtes dans un tunnel, vous ne voyez rien."
Jean-Charles : "quand ils ont bougé, j'ai vu qu'ils étaient quatre. Et j'insiste sur le chiffre 4. Ce ne sont pas des rumeurs, pas des on-dit. Ils étaient 4".
L'instruction a cependant démontré que le commando du Bataclan était composé de trois personnes.
Président : "si je comprends bien, vous n'avez pas été touché physiquement?"
Jean-Charles : "non, ils m'ont loupé. Mais ils m'ont tiré dessus."
Président : "ce nombre de 4 fait sujet car de nombreuses personnes parlent de trois individus. On ne retrouve que trois kalachnikovs à l'intérieur. Vous voyez quatre individus armés ? "
Jean-Charles : "oui"
- d'après l'enquête, il semblerait qu'il n'y avait que trois personnes.
Président : "on sait que l'émotion peut altérer l'observation. Est-ce que vous êtes vraiment certain d'en avoir vu quatre [terroristes ndlr]?

Jean-Charles : oui
Irmine s'avance à la barre. Son avocate Me Coviaux souhaite faire diffuser à l'audience une cartographie du Bataclan réalisée par les avocats pour situer les différentes victimes à l'intérieur de la salle de concert.
Irmine se présente : "55 ans, j'habite à Dijon".
Irmine était au concert des Eagles of Death Metal avec une ami, Fabian : "je me situe tout prêt de l'entrée. Quand l'attaque débute, je me retrouve au sol, face contre terre. J'entends un homme d'une voix juvénile, sans accent crier : "la France n'a rien à faire en Syrie".
Irmine : "le terroriste "crie quelque chose en arabe, peut-être Allah Aqbar. Puis il dit : le premier qui bouge, je le tue. Je me demande où est mon ami. Je me demande aussi où elle la femme enceinte que j'avais vue près de moi à droite."
Irmine : "un homme crie : ils rechargent, c'est le moment de partir. Et là, je vois les jambes et l'imperméable de Fabian, sa tête méconnaissable. Il y avait du sang partout."
Elle craque à la barre.
"J'essaie de le tirer une fois, deux fois. Je n'y arrive pas."
Irmine : "je ne veux pas le laisser là. Mais je ne sais pas quoi faire. Je pense à mon mari, mes enfants. Et je sors."
Elle est accueillie chez des personnes du voisinage. "On a attendu là, un certain temps. J'étais dans la salle de bain avec un jeune homme de l'âge de mon fils"
Irmine : "j'ai eu beaucoup de chance, les balles m'ont traversé la poitrine, mais superficiellement.
J'ai eu des points de suture sur les deux seins. Mais c'est tout.
Voilà pour les faits."
Irmine se tourne vers le box : "je me demande ce qu'il s'est passé chez les assassins qui sont là pour qu'ils tirent sur des innocents. S'il s'est passé quelque chose dans leur enfance. Parce que les gens sur lesquels ils tirent ce sont des vrais gens."
Président : "les tirs ont commencé dès l'entrée. Il n'y a pas eu de parole avant, rien?"
Irmine : "oui, ça a été immédiat. Et je crois que Fabian [Stech, 51 ans, professeur, ndlr] a été tué sur le coup."
Irmine explique encore qu'elle a "des cicatrices de peau, de coeur et d'âme".
Elle confie son syndrome de stresse post-traumatique. Puis s'éloigne de la barre.
Jean-Marc : "j'ai 40 ans, je viens du Havre. Je suis venu au Bataclan avec 5 amis. Nous avons regardé une partie de la première partie à proximité de la régie son."
Au moment de l'arrivée des Eagles of Death Metal, il descend dans la fosse. Puis, avec sa compagne, sort fumer.
Jean-Marc n'atteint pas la sortie mais "je tombe nez à nez avec les trois assaillants. J'ai aperçu des flammes sortir de leurs armes. Je les ai vus tirer sur tout le public. J'ai vu des personnes autour de moi recevoir des balles. Tous les gens se sont mis à hurler."
Jean-Marc se retrouve dans la fosse : "prostré sans aucune possibilité de bouger. J'ai entendu une personne dire qu'une porte était ouverte sur la gauche. J'ai vu ma compagne se lever pour s'enfuir mais les tirs ont repris. Le groupe dans lequel elle se trouvait s'est écroulé"
Jean-Marc : "j'ai vu un des assaillant se rapprocher de moi, j'ai vu ses pieds près de mon visage, j'ai senti des gouttes sur ma tête. Une personne à côté de moi a eu son téléphone qui s'est mis à sonner. Elle a été prise pour cible."
Jean-Marc : "j'ai fait le mort jusqu'à la fin de l'attaque. Je n'ai relevé la tête qu'une fois au moment de l'explosion [du premier kamikaze ndlr]. J'ai vu des lambeaux de chair retomber au sol. J'avais le sentiment d'être complètement à découvert, à la merci des tireurs."
Jean-Marc : "les gens autour de moi demandaient de l'aide. Je suis sorti peu après 23 heures. Je ne parvenais même pas à courir pour sortir, tellement j'étais stupéfait. Un policier a du me hurler dessus pour que je continue à avancer vers l'extérieur."
Jean-Marc : "je me souviens d'une jeune femme en pleurs qui ne savait même pas comment annoncer à sa famille que son conjoint y était resté.
Une de nos amies a été touchée sur le flanc droit, mais nous étions tous saufs, sans exception."
Jean-Marc : "je suis un miraculé. Et j'avais pas de raison de me plaindre. La question que j'ai encore c'est : pourquoi? Pourquoi on s'est retrouvés là ? Pourquoi on a été pris pour cibles ? Pourquoi ces personnes ont fait ça? De çes questionnements découle de la colère."
Jean-Marc arrête soudain son récit, la voix tremblante : "si vous avez des questions ..."
Président : "on a compris que vous vous êtes retrouvé face aux tireurs. Tout près?"
- à la même distance que vous et moi. Trois silhouettes.
Jean-Marc : "on était complètement impuissants, face contre terre, à ne pas savoir quoi faire, à se demander si on allait se prendre la prochaine balle ou pas. Soulagés de ne pas être la cible suivante, sachant que c'était au détriment de quelqu'un d'autre."
Jean-Marc, d'une voix marquée par l'émotion et la tristesse : "c'était totalement inhumain. Ca a été pensé pour laisser des traces indélébiles."
Jean-Marc : "il a fallu que je me rende compte que ça dégradait beaucoup de choses autour de moi, mes relations amicales, sentimentales, pour que je réalise qu'il fallait que je fasse un travail. Mais je n'étais pas blessé en même temps ..."
Président : "ça a eu un impact sur votre vie professionnelle?"
Jean-Marc hoche la tête : "je suis dans l'enseignement supérieur, je me destinais à devenir maître de conférence à ce moment-là."
- et maintenant?"
- je ne le suis pas ....
Jean-Marc semble n'avoir qu'une seule envie : fuir la barre. D'ailleurs, il fait demi-tour avant d'être rattrapée par sa propre avocate à qui c'est le tour de lui poser des questions.
Cédric s'est avancé à la barre : "j'avais 37 ans, j'étais au concert avec ma compagne. J'étais chauffeur-livreur pour une société de boisson".
Il décrit les spectateurs qui étaient autour de lui au concert. Puis s'interrompt : "désolé, j'ai un peu le vertige, ça me stresse."
Cédric : "j'ai entendu un crac, j'ai cru que c'était un jack de guitare qui s'était débranché, ça arrive parfois. Puis j'ai pensé à des pétards. Ca va très très vite. La foule tombe, je me suis pris tout le monde, j'ai eu la jambe droite tordue."
Cédric : "je vois celui derrière nous qui recharge. Je dis à tout le monde de partir. "
Il s'excuse d'être un peu confus : "j'avais tout écrit mais en face de vous et à côté de ces messieurs [il montre le box, ndlr], ce n'est pas facile".
Président : "c'est très très clair"
Cédric raconte "cette personne que j'ai eu le plaisir d'entendre mourir, s'étouffer dans son sang. Je ne sais pas si vous avez déjà vécu ça. Comme d'autres que j'ai vu mourir et qui me regardaient. Alors j'ai essayé de fusionner avec le sol."
Cédric : "la BRI est arrivée. J'ai eu une 2e fois peur de mourir. Un monsieur m'a relevé, m'a demandé de lever les mains. J'avais plein de cibles sur moi. J'ai eu une frayeur horrible."
Il raconte les corps : "pour sortir, il a fallu leur marcher dessus. Et ça, c'est pas super"
Cédric explique être resté longtemps, même après sa sortie, sans nouvelle de sa femme "et puis, à un moment elle est sortie en pleurs. C'était le meilleur moment de la soirée. Et on est rentrés chez nous. Je n'ai pas fait attention à ma jambe. Une petite douleur dans tout ça ..."
Il a eu besoin de rééducation pour sa jambe jusqu'en 2017. "Elle ne peut toujours pas courir. Elle me fait toujours mal. Mais le psychologique a été plus difficile : il a fallu enlever toutes ces images, ces gens qui crient au secours, voir les gens les yeux qui s'éteignent"
Cédric se tourne vers le box : "messieurs qui avez fait le djihad, vous avez vu des gens mourir en les regardant dans les yeux? Des gens dans des mares de sang? Vous êtes en colère contre notre pays. Mais nous, on n'a rien demandé, on n'a pas d'animosité contre vous à la base."
Cédric : "on n'arrive pas à ce qu'ils ont fait comme ça. Mon père a été absent pendant longtemps, j'ai élevé mon petit frère et ma petite soeur pendant que ma mère était malade. Au lycée, j'étais entouré de cités. Mais jamais je n'ai voulu tuer des gens."
Cédric, toujours au sujet des accusés : "ces gens ont vécu une bonne partie de leur vie en Europe. Notre Etat aussi est responsable de ce qu'il s'est passé. C'est peut-être pas sympa. Mais il faut le noter. "
Le président tient à "faire une précision" : "vous êtes nombreux à vous adresser aux accusés. Je rappelle que dans le procès pénal, les accusés bénéficient de la présomption d'innocence. Certains revendiquent leurs actions mais beaucoup nient leur participation aux faits."
"Bonjour, je m'appelle Clarisse, j'ai 30 ans", débute la partie civile qui s'est avancée à la barre. "J'espère ressortir de cette salle allégée d'une partie de ma souffrance. On a tous compris, nous victimes, que parler pouvait nous aider dans la vie."
Clarisse : "c'est difficile de retranscrire ce qu'on a vécu ce soir-là, d'expliquer ce que c'est que croiser la mort. Mais je vais essayer".
Clarisse "fan inconditionnelle de rock", se rend au concert avec une amie. "A chaque concert, on se met dans la fosse, côté droit"
Clarisse raconte "la fiole de whisky passée sous le manteau, système D des étudiants parce que la pinte de bière était un peu chère."
Mais "on était rapidement à sec". Alors, elle se faufile avec son amie dans la fosse pour "aller acheter des cannettes à la supérette du coin".
Clarisse arrive au vestiaire. "Mon amie se tient devant moi et s'apprête à sortir dans la rue. Et un son déchirant retentit. Je croise le regard du videur, je ne vois pas ce qu'il voit. Mais je pense : la mort est là. Ca tire une, deux, trois, quatre fois. Ils sont juste là."
Clarisse : "et là, je suis prête en fait. J'attends de me faire tirer dans le dos. Et je pense : est-ce que ça va faire mal ? Est-ce que je vais perdre connaissance ? Mourir direct? Et puis j'ai des pensées un peu plus philosophiques : comment on sait qu'on est mort ?"
Clarisse rentre à nouveau dans la salle : "je cours vers la fosse, je suis en pilote automatique, je pousse des gens, je renverse des bières et je crois que je dis à un moment : "ça tire". Mais je ne suis pas sûre que le son sort de ma bouche".
Clarisse : "je vois que tout le monde par terre dans la fosse et je me dis que c'est comme dans les séries où on voit des prises d'otages dans les banques, je me dis que si on suit bien les consignes, il ne nous arrivera rien. Mais ils sont là pour nous tuer."
Clarisse : "à plat ventre, j'ai pensé à ma famille. Et je me dis : je ne peux pas leur faire ça. Si je reste là à attendre, je vais mourir.
J'entends qu'ils rechargent. Je m'approche d'une porte qui est bloquée et qui s'ouvre après une éternité avec un videur éberlué".
Clarisse se retrouve dans "une vieille loge en placoplâtre". "On est piégés, je me dis : quelle mort de merde dans une vieille loge. J'arrive sur les toilettes et je défonce le plafond comme une folle pour faire une percée. On enlève la laine de verre."
Clarisse : "un homme me pousse les fesses dans le plafond. J'enlève de la laine de verre, il y a des fils électriques. Je me dis que finalement je vais mourir électrocutée dans un plafond.
Puis, j'arrive dans une salle d'aération. J'ai pu me mettre debout sur une tige en métal"
Clarisse raconte qu'un homme est déjà là : "il avait l'âge de mon père, il s'appelait Patrick. Et je lui ai demandé : Patrick, quand ils arriveront, est-ce que tu peux me serrer fort dans tes bras?" Je lui dis "quand" parce que pour moi c'est évident que ça va arriver."
Clarisse entend les bruits de l'assaut. "Et puis plus rien, pendant une heure. Je me dis qu'on était trop bien cachés. On est vraiment les derniers à être évacués du Bataclan."
Clarisse : "un monsieur de la BRI me dit : "mademoiselle, il va falloir être courageuse." Et là, dans la fosse, j'ai vu l'horreur. Alors, oui, j'en suis sortie de ce Bataclan, mais tout ne fait que commencer. J'ai eu une perte de sens total à la vie. J'ai abusé d'alcool."
Clarisse : "aujourd'hui, je m'adresse aux accusés. Vous m'avez volé le plaisir de soirées insouciantes, le plaisir de marcher dans la rue sans paniquer dès que je suis suivie, le plaisir d'aller au ciné. Le plaisir de vivre facilement et sans angoisse. Tout simplement."
Clarisse, réfugiée dans une poche d'aération du plafond : "j'ai vécu ça dans le noir. On devait se fier aux bruits, aux sons."
Elle sera finalement évacuée du Bataclan à 1h30 du matin.
Président : "vous avez conscience que vous avez aidé beaucoup de personnes à s'en sortir? Vous-même, toute seule?"

Clarisse : "on me le dit, mais je ne réalise pas vraiment. Pour moi, c'était hors de question que je meure sans tout faire pour m'en sortir."
Le président insiste auprès de Clarisse qui a donc défoncé le faux-plafond d'une loge pour s'y réfugier : "il y a des gens comme vous qui ont sauvé beaucoup beaucoup de personnes. Je tenais à vous le dire."
Cyrille, 50 ans, régisseur général du Bataclan depuis le 1er septembre 2015, père de 3 enfants : "j'avais invité deux personnes, Cédric et David qui sont décédés au Bataclan ce jour-là. David, qui ne souhaitait pas venir s'était décidé un peu au dernier moment, pour nous voir."
Cyrille : "vers 21h45, je dis à David : viens, on va fumer une clope. David ne fumait plus. Mais on sort. Et là, face à moi, j'aperçois les vitres qui volent en éclats. Un bruit de pétard. Je sens une chaleur sur ma jambe gauche et j'aperçois la tête du premier terroriste."
Cyrille se réfugie dans un des bureaux du Bataclan. "J'avais un numéro de portable de la Bac nuit. Il me dit : "je sais, on arrive"."
Il accueille des spectateurs dans le bureau. Puis les premières forces de l'ordre. Il leur fournit des talkies-walkies, les plans de la salle"
A plusieurs reprise, Cyrille, régisseur du Bataclan, ouvre la porte du bureau pour accueillir des spectateurs qui viennent s'y réfugier : "il y avait des blessés très graves, dont un qui est mort sur mon bureau dans le courant de la nuit".
Cyrille : "jusqu'à 5 heures du matin, je ne comprends pas grand chose, je suis en pilote automatique, je fais ce qu'on me dit. Ce n'est qu'en rentrant chez moi que j'ai compris la réalité de la situation".
Mais avant de rentrer chez lui, Cyrille explique qu'une fois l'assaut terminé, les forces de l'ordre "avaient besoin que quelqu'un rentrent dans la salle : pour rallumer les plafonniers, régler une fuite d'eau etc. Et le plus à même, c'était moi."
Cyrille : "je vois plein de cadavres, plein de corps." Il doit passer par la scène : "je tombe sur une tête", celle du premier kamikaze.
Il finit par dire aux forces de l'ordre : "je vous donne une clé et vous laisse vous débrouiller parce que moi, je ne peux plus rentrer."
Cyrille finit par rentrer chez lui : "j'ai encore la note de taxi, qui indique 5 heures 00. Et par la suite, pendant longtemps, j'ai fait des insomnies et je me réveillais à 5 heures 00."
Cyrille finit par retourner dans la salle le 21 janvier, pour vider "le matériel scénique, les fauteuils".
"La salle avait été nettoyée, mais il restait sur les murs, le plafond, du sang, des morceaux ... enfin bref".
Malgré des rechutes, il ne cessera de travailler au Bataclan
Cyrille : "j'ai un sentiment assez profond d'être souvent livré à moi-même. Je pense que beaucoup de parties civiles ressentent ça : on est démunis. Je ne suis plus le même homme qu'avant, toute la phase d'insouciance a disparu. J'ai des moments d'isolement, de crises d'angoisse"
Cyrille veut finir sur une anecdote au sujet de sa fille, Joséphine, deux ans au moment des faits. "On essaie de la préserver mais c'est pas si simple. Elle en a parlé à ses camarades de classe, sa maîtresse. C'est pas des situations normales pour des enfants de huit ans".
De très nombreux enfants ont en effet subi les conséquences directes ou indirectes des attentats du #13Novembre 2015.
Certains étaient même sur les lieux des attentats. Nous l'avons raconté ici > franceinter.fr/justice/pierre…
Le régisseur du Bataclan explique que la capacité de la salle de concert, pleine ce soir-là était de 1499 personnes : 370 fauteuils au balcon. "Donc, il y avait un peu plus de 1100 personnes dans la fosse."
Pas de vidéosurveillance à l'époque, elle a été installée depuis.
L'audience est suspendue pour une pause "d'une vingtaine de minutes".
Viendront ensuite notamment les témoignages de Edith Seurat, qui s'est confiée à France Inter >
La cour doit aussi entendre cet après-midi Bruno Poncet que vous pouvez également écouter ici >

L'audience reprend avec le témoignage d'Helen : "à l'époque, je travaille dans le monde du spectacle, j'avais 49 ans. J'avais ma propre entreprise de cattering, je faisais la cuisine pour les artistes."
Elle est très émue, pleure et peine à démarrer son récit.
Helen : "le 13 novembre, j'arrive à la salle du Bataclan pour retrouver Nick Alexander qui est l'amour de ma vie."
Nick Alexander travaillait sur le stand de vente de T-shirt et produits du groupe. Il a été assassiné ce soir-là.
Helen : "soudain, les portes s'ouvrent avec force. Je vois des gens entrer en panique. Je pense qu'il y a une bagarre ou quelque chose. Puis je vois un homme avec une arme, qui commence à tirer sur les gens. Nick m'attrape, me jette par terre et me sauve la vie en fait."
Helen : "On était sur l'estrade, donc un peu plus haut que les autres. Et Nick me dit : je vais mourir ce soir Helen. A un moment, ils rechargent et beaucoup de gens nous piétinent. Mais je savais que Nick était blessé donc il était hors de question que je parte."
Helen : "il y en a un qui se met à ma gauche et qui dit "ça c'est pour nos frères en Syrie, ça vous apprendra." Je compte les terroristes plusieurs fois, parce qu'ils bougeaient beaucoup. Et pour moi, ils étaient quatre."
Helen raconte l'intervention du commissaire de la Bac Nord et son chauffeur, qui tirent sur le premier kamikaze. "J'ai dit à Nick : tu vois, ils vont venir nous sauver."
Mais un des terroristes revient vers eux, leur tire dessus. Helen prend deux balles dans les cuisses. Je le regarde dans les yeux et je lui dis : "please stop". Et il s'en va.
Je demande à Nick s'il est touché. Il me dit : "oui, au ventre".
Helen : "plus tard, il me dit : "je ne peux plus respirer". Et il meurt dans mes bras. On était dans une flaque de sang. Je sens que sa peau est froide. Je lui dis : Nick, je suis désolée mais il faut que je sorte chercher de l'aide. Je t'aime."
Helen explique qu'elle va être évacuée à l'hôpital avec "une fille à côté de moi qui m'a tenue en vie en me frappant jusqu'à l'hôpital."
Mon chirurgien m'a dit : c'est un miracle que vous soyez en vie. J'avais perdu quatre litres de sang, mais mon coeur battait toujours."
Helen souffre toujours de douleurs intenses. "En 2019, mon neurologue m'a dit que si ça ne s'était pas arrangé, c'est que ce serait pour la vie".
Elle raconte les difficultés de son entreprise : "j'avais 11 mois de loyer en retard, j'ai vendu toutes mes affaires pour manger"
Helen : "je ne travaille toujours pas aujourd'hui, je vois toujours mon psy deux fois par semaine et le centre antidouleur tous les deux à cinq mois. J'ai fait une formation difficile en psychologie, je participe à un programme de déradicalisation des personnes à haut risque."
Helen : "en 6 ans, j'ai appris que la paix est à travers le pardon. J'ai appris que malgré les injustices, j'ai le choix sur comment je vais réagir. Et j'ai choisi l'amour. L'amour gagnera toujours."
Cette dernière phrase est écrite en anglais sur son T-shirt : love always wins.
Edith s'avance à la barre. Elle tremble beaucoup. "J'ai 43 ans et j'habite désormais en Bretagne, loin de Paris."
"Je voulais remercier les policiers et enquêteurs intervenus jusque là car j'avais besoin de consolider le récit."
Edith : "aujourd'hui c'est l'anniversaire de ma fille, elle a 9 ans. Je vous avoue que je ne pensais pas un jour manquer son anniversaire pour témoigner dans un procès de cette envergure.
témoigner me pose un problème de légitimité car je suis sortie indemne physiquement."
Edith : "la notion de légitimité est compliquée : on se sent coupable d'en avoir vu tant rester sur le carreau. Et on voit les blessés physiques qui doivent vivre avec leurs blessures. Et nous on a eu la chance de sortir de cette violence inouïe dans laquelle on s'est retrouvée."
Edith : "comme beaucoup, j'ai cru à des pétards. J'avais jamais entendu de coups de feu dans la vraie vie.
J'ai eu le temps de voir quelqu'un avec un jogging blanc, un bras relevé et une kalachnikov, mais je ne comprenais pas.
Les gens tombaient les uns sur les autres."
Edith se réfugie sur le balcon, face à la scène. "J'ai monté les quelques marches pour aller le plus loin possible sur ce balcon. Je bouscule un homme. Il me jette sous les strapontins et me cache. Il me protège. A ce moment-là, monte l'odeur de la poudre et l'odeur du sang."
Edith : "je suis sidérée par la violence des tirs, des hurlements de douleur. Je comprends que ce n'est pas une blague, ils nous tuent pour de vrai. Je vais rester sous ces strapontins, protégée par Bruno, en position foetale. En attendant la mort, littéralement."
Edith : "les tirs sont très rapides. Puis le coup à coup démarre. Un pleur, un tir. Un cri, un tir. Un téléphone qui sonne, un tir. Une supplication, un tir. Il n'y a aucun moyen de s'en sortir. J'écrase sur ma poitrine mon téléphone pour pas qu'on entende que ça vibre."
Edith : "la porte battante s'ouvre. Je vois des baskets blanches. J'ai su après que c'était Ismaël Mostefaï. Puis arrive ce que je crois être une grenade. Quand j'ai compris que c'était un gilet explosif, c'est encore plus fou parce qu'ils ont même pas peur de mourir eux."
Edith : "le souffle de la déflagration est énorme. On est aspergés de matière organique. Et pourtant on est loin. Et puis un silence assourdissant, il n'y a plus de pleurs, plus de cris. Juste des téléphones qui sonnent."
Edith : "là, je pense à des choses du quotidien. Au fait que mon mari ne pourrait pas donner du lait à ma fille puisque j'avais oublié d'en acheter et que je n'allais pas rentrer. Que j'avais oublié de payer la cantine. Et puis cette question : est-ce que ça fait mal de mourir?"
Edith : "sur les revendications, je les trouvais pas très motivés. Ils déclamaient leur texte sans conviction, de manière monocorde. Je me disais : les mecs ils sont en train de nous tuer et ils ne croient même pas en leur laïus. Je les trouvais nuls. Nuls."
Edith raconte aussi qu'à un moment l'ami de Bruno qui se trouve à leurs côtés se lève pour aller se réfugier ailleurs. "Mais mon corps n'a pas répondu. Je ne pouvais pas bouger. Et Bruno est resté avec moi, une illustre inconnue. Chapeau bas, Bruno".
Edith poursuit avec l'évacuation par les forces de l'ordre. "Un homme prend un petit garçon dans ses bras, lui met un blouson sur la tête. Et il nous dit : on va descendre, ne regardez pas. Mais c'est impossible. La mare de sang en bas de l'escalier, elle est immense, noire."
Edith : "l'image qui me reste le plus encore aujourd'hui c'est le volume de ces cadavres, de tous ces corps qui sont enchevêtrés, qui deux heures avant étaient en train de danser. On essaie de les enjamber, mais parfois on leur marche dessus."
Edith : "à ce moment-là, il y a quelqu'un qui a dit : "les valides levez-vous". Et personne ne s'est levé. C'est effroyable, c'est gravé dans mes rétines pour le restant de mes jours. Je ne crois pas qu'il y ait de mots. Tous ceux qui l'ont vu, comprennent."
Edith : "près de l'entrée, il y avait une jeune femme, ravissante. Mais ses membres ne pliaient pas dans le bon sens. Et un policier, qui avait des trémolos dans la voix, me dit : "il n'y a plus rien à faire, il faut avancer."
A l'extérieur, Edith retrouve certains de ses amis, dont l'un blessé à la cuisse. "C'est la taille d'une assiette, de chair. C'est fou."
Elle voit cet homme "en train d'enlever des bouts de chair dans les cheveux d'une femme".
"Je ne suis pas restée longtemps."
Edith quitte le périmètre. "Et là, on est accueillis par les flashs et les caméras, comme des singes en cage. J'ai trouvé ça abject."
De retour chez elle, Edith veut serrer sa fille dans ses bras. "Et dans son sommeil, elle m'a martelée de coups de poings. Cette scène m'a choquée. Mon psychiatre m'a expliqué que le cortisol, l'hormone du stress, sent fort. Et le petit animal qu'elle était a réagi à ça."
Plus tard, vient le jour où elle sort de chez elle, voit une voiture "et je me dis que peut-être que ma douleur pourrait s'arrêter très facilement si je faisais un pas devant cette voiture."
Elle se tourne alors vers un hôpital psychiatrique.
Edith explique encore sa peur irrationnelle d'un attentat "dans l'école de ma fille. Parce que j'avais décidé que le prochain serait dans l'école de ma fille. Alors j'ai beaucoup rôdé autour de son école."
Edith : "j'ai jamais été au cinéma avec ma fille, je lui ai menti sur le fait que j'ai vu son spectacle de fin d'année. Parce que je ne pouvais pas rentrer."
Edith : "et puis en août 2016, j'ai découvert que j'étais enceinte. Une grossesse ardemment désirée avant. Mais là, j'étais déjà une mère fantôme pour ma fille.
Alors, j'ai avorté".
Edith : "pour être honnête, l'issue du procès m'importe peu. Mais j'espère qu'il peut mettre en lumière la dimension que ces faits ont pu avoir sur des milliers de personnes. On est encore dans le piège du #13Novembre "
Edith évoque à son tour ses difficultés face au Fonds de garantie (FGTI) "organisme très froid, qui considère que mon avortement n'est pas si grave, vu que j'ai déjà une fille, qui remet en cause nos blessures psychologiques."
Edith relate les propos des terroristes : "il y a eu des échanges : "ne sois pas d'accord avec moi parce que tu as peur que je te tue" ou "toi je ne te tue pas parce que tu es une soeur". Il y a eu des rires aussi. Il y avait presque une légèreté."
Bruno, qu'Edith a évoqué dans son témoignage, s'avance à son tour à la barre. "Ce soir là, j'étais avec un ami et son fils de 10 ans." Ils s'installent au balcon, face à la scène. "Et devant nous, il y avait un enfant de 5 ans avec sa mère et sa grand-mère. Puis ils s'en vont"
Bruno : "quand on a commencé à comprendre ce qu'il se passait, mon ami s'est jeté sur son fils pour le protéger. Moi je suis resté debout pour trouver une solution. J'avais un T-shirt blanc, je faisais 120 kilos, j'étais debout. Imaginez comme j'étais une belle cible."
Bruno : "je voyais des gens tomber, j'entendais des tirs. Ce bruit des tirs dans un vase clos, c'est insupportable. Puis je vois un type entrer [sur le balcon ndlr] : "je me dis : il est cool lui, ça tire en bas et pourtant il a l'air tranquille".
C'est alors qu'il voit l'arme.
Bruno : "je me suis assis dos à Edith. Je me suis dit : si ils tirent je me jetterai sur elle, peut-être que ça la protègera. Je suis restée avec elle." Son ami et son fils se réfugient ailleurs. Débute ensuite la prise d'otages. "On sent que l'étau se désserre un peu pour nous"
Bruno : "à un moment, je tourne la tête et je vois un truc qui glisse du mur. C'était des bouts de chair humaine", issus de l'explosion du premier kamikaze, sur la scène au rez-de-chaussée.
Bruno poursuit son récit avec l'intervention des forces de l'ordre : "je leur dis : "c'est la première fois que je suis content de voir des flics." C'est fou, mais je leur ai vraiment dit ça".
Puis, vient la descente vers la fosse, pour sortir de la salle.
Bruno : "on sort, on longe le bar". Il prend le fils de son ami devant lui, lui rabat sa capuche sur les yeux, "pour ne pas qu'il voit trop. Et puis j'essaie qu'il ne marche pas sur des corps".
Bruno se réfugie dans un bar, aide une femme à "enlever un bout de chair de ses cheveux". "J'ai prêté mon téléphone à une dame, elle a appelé 20 fois le même numéro, celui de son mari. Un an plus tard, je l'ai revue aux commémorations. Elle était seule avec ses deux enfants."
Bruno raconte l'arrivée sur les lieux "de Valls, Hollande. J'ai même entendu les flics dire : "qu'est-ce qu'ils font là, ces cons? C'est même pas sécurisé."
Il tente ensuite de prendre un taxi. "La légende veut que les taxis ont pris des gens gratuitement. C'est une légende".
Bruno raconte qu'il a pris du grade dans son syndicat. "Je suis devenu un peu porte-parole. Je me suis retrouvé dans les médias avec des gens qui me traitait de "preneur d'otages" lors des grèves.
Mais les preneurs d'otages ce sont les terroristes."
Bruno : "mais quand vous devez vous lever pour aller aider les autres et que finalement vous ne croyez plus trop en l'Homme, c'est compliqué. Je pense souvent à la 131e victime qui s'est suicidé."
Bruno : "et puis, je sais que c'est pas le lieu, mais c'est quand même compliqué le Fonds de garantie. Je sais que vous en avez marre ..."
Président : "ce n'est pas que j'en ai marre, mais ce n'est pas le lieu, en effet."
Bruno : "je suis délégué syndical encore deux ans. Après, je vais reprendre un travail normal à la SNCF, si ça existe encore."

Président : "le travail normal ou la SNCF?"

Bruno sourit : "les deux je pense, j'ai peur pour les deux."
Bruno : "je voulais vous dire que eux ils ont perdu. Ils sont en cage, d'autres sont morts. Ils peuvent faire ce qu'ils veulent, ils ne gagneront jamais. Et à force de ne pas gagner, il faudrait peut-être qu'ils arrêtent."
Sur question du président, Bruno évoque le fils de son ami : "il a 16 ans, c'était un enfant de dix ans courageux. C'est devenu un jeune homme courageux."
Coralie, "28 ans à l'époque", s'est avancée à la barre. Le #13novembre , elle est au Bataclan avec "mon pote de concert qui est devenu depuis mon meilleur ami."
Ils s'installent dans la fosse, non loin de la scène.
Dès les premiers tirs, elle aperçoit les terroristes.
Coralie : "c'est Thierry qui m'a tirée vers le sol, c'est là que j'ai pris une balle dans l'omoplate."
Au sol, elle reçoit une deuxième balle dans le pied gauche. "J'ai vu Thierry s'éloigner et prendre une balle dans le pied gauche".
Coralie : "j'ai procédé par étape : dégager ma jambe droite, coincé sous quelqu'un, puis mon sac parce qu'il y avait ma carte Vitale à l'intérieur et que je savais qu'il fallait que j'aille à l'hôpital. J'ai rampé sur des personnes vivantes et décédées"
Coralie : "j'ai commencé à me relever". Mais elle sous-estime la douleur. Tombe. "j'ai cru que j'allais mourir étouffée sous les gens. Je n'en veux à personne. C'était l'instinct de survie".
Elle finit par sortir de la salle.
Coralie explique avoir toujours des séquelles, des douleurs au pied, à l'omoplate "et j'aurais toujours mal car il manque une partie du muscle. Mais je sais que je n'ai rien de grave et mon meilleur ami est toujours en vie."
Elle ne peut plus travailler à temps plein.
Emilie, 35 ans, s'apprête à témoigner à la barre. "Le 13 novembre, j'étais docteur en biochimie et je travaillais dans l'enseignement supérieur. J'étais très épanouie dans mon travail. Je me suis mariée à l'été 2015 et on avait un projet bébé".
Ce soir-là, Emilie arrive au Bataclan avec son mari "à la fin de la première partie."
"J'ai été frappée instantanément par le sang par terre" raconte-t-elle sur les débuts de l'attentat. "Ce qui m'a marqué tout de suite c'est le visage terrifié de mon mari".
Emilie : "j'étais totalement résignée. J'ai pensé : heureusement qu'on n'a pas d'enfants. J'ai pensé que j'avais eu une belle vie, qu'on venait de se marier. Tout ce que je souhaitait c'était qu'on s'en sorte tous les deux ou qu'on meure tous les deux."
Emilie : "moi j'ai été marquée par le silence. Je me disais qu'à chaque rafale, il devait y avoir des gens qui devaient se faire littéralement trouer. Et pourtant ils se taisaient. Je trouvais ça tellement dur."
Emilie raconte qu'elle parvient à se réfugier dans un local : "c'est là que ça a été le plus dur pour moi. Car on est restés très longtemps dans ce petit local, il faisait complètement noir. On était extrêmement nombreux. Il y avait un blessé qui saignait beaucoup derrière moi"
Emilie raconte à son tour l'intervention des policiers "ces robocops qui nous ont fait sortir et qui étaient très suspicieux."
"On est passés par la scène et quand j'ai vu les morceaux de chair sur les murs, j'ai été totalement traumatisée. C'était l'horreur. "
Emilie : "on nous a dit de ne pas regarder, mais j'avais été tellement dissociée pendant longtemps, sans émotion, que j'ai choisi de regarder dans la fosse. Et voilà, ça ne m'a plus jamais quittée."
De retour à la maison, Emilie finit par s'endormir. "J'ai été réveillée par mon mari qui était en pleurs. Moi, je ne pleurais toujours pas. Je m'estimais très chanceuse et je pensais pouvoir faire comme si de rien était."
Mais les jours suivants sont compliqués : "j'avais peur de tout et de tous. J'avais même peur des gens qui riaient dans la rue. Je me disais qu'il allait y avoir une attaque et que ça les faisait rire", raconte Emilie à la barre.
Emilie : "on a maintenu notre projet bébé. Mais je regrette totalement d'avoir eu mon fils à ce moment-là.
Car après, ce sont installés tous les syndromes du stress post-traumatique classique : penser tout le temps à l'attentat, faire des cauchemars toutes les nuits ..."
Emilie : "tout ce qui est sirènes, gyrophares, ça m'y ramène. Les armes, même ici alors qu'elles nous protègent, c'est très dur. Il y a aussi des choses du quotidien qui me font penser à la texture de la chair humaine et j'ai du mal à cuisiner certaines choses."
Emilie : "il y a les accès de panique, ça m'arrive dans la rue de me rouler en boule sous une voiture et de pleurer. Je ne mets plus que des baskets parce qu'il est hors de question que je ne puisse pas courir. Le fait d'avoir peur tout le temps, c'est très dur pour moi."
Emilie : "petit à petit plus jamais de transports, plus rien. Plus jamais de foule : les concerts, le cinéma, le marché couvert. J'ai arrêté d'écouter certaines musiques. Et de regarder la quasi-totalité des films qu'on regardait jusque là et qui étaient un peu trop violents".
Emilie : "et puis une irritabilité que j'avais pas du tout avant. Des accès de colère, voire de rage. Oui, de rage, à hurler sur les gens."
Emilie pleure à la barre : "depuis ce jour là, je suis incapable de me projeter. Une flemme immense. Plus aucune ambition. Ma seule ambition pour le restant de mes jours, c'est de ne pas être trop mal. J'ai aussi de gros problèmes cognitifs, je n'arrive pas à finir mes phrases"
Emilie explique "être incapable de trier quand je travaille. Tout est embrouillé dans ma tête. Parfois je ne comprends pas ce qu'on me dit, je ne comprends pas une phrase simple. J'oublie tout."
Emilie : "comme je suis incapable de me projeter, j'ai une vie totalement figée. C'est-à-dire qu'il ne se passe rien. Et ça, ça me repose. Mais j'ai honte. Je culpabilise énormément par rapport aux victimes décédées. Parce que moi je suis indemne et je ne fais rien de ma vie."
Emilie : "j'ai l'impression de détester tout le monde. Je peux être très mauvaise. Je peux être très méchante contre mon mari ou mon fils. Et je m'en veux. Je n'arrive pas à être en colère contre ces types. Mais je suis en colère contre des gens qui n'ont rien fait."
Emilie : "je bois beaucoup trop. Et je le sais. Depuis le début, j'ai le combo : psychologue et psychiatrie. Deux fois j'ai été hospitalisée en psychiatrie. On me repropose là une nouvelle hospitalisation. Je n'ai pas du tout envie d'y aller."
Emilie en larmes : "le temps passe et c'est de plus en plus douloureux. Parce que je me rends compte que tout cela c'est chronique et que ça ne partira pas.
Je culpabilise beaucoup d'avoir apporter ça dans ma famille. Et surtout, j'ai eu un enfant. Et il souffre beaucoup."
Emilie : "je culpabilise beaucoup d'avoir pris des médicaments pendant ma grossesse. Quand il est né, il a du être en néonat pour être sevré des médicaments que je prenais. Et moi j'allais très mal, donc notre relation s'est mal passée. Cela a affecté son développement."
Emilie : "il y a toutes ces périodes ou ces jours où il me voit triste et où je ne peux pas m'occuper de lui. Et ses deux parents sont affectés. Je me demande quel exemple on lui donne. Et quand on joue aux playmobil, il y a systématiquement des méchants qui tuent tout le monde."
Emilie, toujours en larmes : "notre idée c'était d'avoir plusieurs enfants. Moi là, je ressens quand même le désir d'en avoir un deuxième. Mais je me l'interdis parce qu'on n'est pas des bons parents."
Pour Emilie, les conséquences de l'attentat c'est aussi "la solitude totale" : "on ne peut pas dire à quelqu'un de sa famille : j'ai envie de me foutre en l'air constamment. Alors on ne le dit pas. Et on s'isole."
Elle confie aussi l'incapacité à parler, même à des psychologues.
Emilie : "après je comprends qu'on soit très seuls : on n'est pas intéressants, on est tristes. Donc je lutte activement contre le repli, notamment pour mon fils. Parce que vu ce qu'il a à la maison, je veux qu'il soit le plus ouvert possible vers d'autres. "
Emilie : "j'en suis encore à dire comme un enfant, quand c'est trop difficile : je ne veux pas que ce soit arrivé. Donc je n'ai pas fait beaucoup de chemin. Et il faut que j'arrive à retrouver des activités et un peu d'estime."
Emilie : "pour moi tout à voler en éclats. J'ai pas sur me relever. Et ça me fait honte. Parce qu'on voudrait tous pouvoir dire qu'ils ont pas gagné. Mais pour moi, ils ont fait beaucoup de mal. Ils ont tout sali, même de choses antérieures à ma vie."
Emilie : "le #13Novembre il faisait doux, j'avais juste pris une polaire, que j'avais achetée lors de notre voyage de noce. Elle était tâchée de sang. Pendant longtemps, je n'ai pas su quoi en faire car c'était le sang d'autres victimes, je n'osais pas la jeter."
Emilie : "là avec le procès, ce week-end, ça s'est mal passé avec mon fils. Je n'arrivais pas à gérer toutes ces personnes mortes qui flottent autour de moi et lui qui réclame des choses puériles."
Emilie : "ce que je me dis constamment c'est que si j'étais seule, si je n'avais pas de famille, c'est que je préfèrerais être morte ce soir là. Parce que c'est trop difficile de vivre depuis. Je préfèrerais vraiment être morte."
Me Robertierre (PC) : comment va votre fils aujourd'hui ?
Emilie : "c'est une force de la nature, parce qu'il était mal parti. Et avant août où moi j'ai recommencé à flancher, il avait presque l'air d'être un petit garçon normal."
Fin de l'audition d'Emilie. Le président annonce une courte suspension. Mais aussi qu'il reste cinq personnes à entendre aujourd'hui : "je ne sais pas si on va pouvoir entendre tout le monde. Parce qu'il faut prendre le temps et qu'il est déjà très tard".
L'audience reprend. Le président essaie de reporter certaines des auditions encore prévues aujourd'hui. "Mais demain, on en a déjà 17", note le président.
Finalement, deux victimes vont encore être entendues ce soir sur les 5 initialement consacrées.
Brendan, le mari d'Emilie qui a été entendue précédemment, s'avance à la barre.
"En novembre 2015, j'avais 30 ans. Je venais de me marier. J'avais un métier pour lequel j'avais beaucoup travaillé et j'avais une vie sociale riche."
Brendan : "quand l'attentat a débuté, je me suis dit qu'un concert de rock américain à Paris allait faire un très bon symbole. Et je comprends que les massacres, les exécutions d'otages tout ça, ça allait arriver là".
Brendan :"c'est l'horreur absolue, on est couchés par terre, ça tire tout le temps. Et ça dure une éternité. Je regarde ma femme en continu parce qu'en fait pour moi c'est la dernière fois que je la vois, la dernière fois que je suis avec elle."
Brendan : "au bout d'un moment les tirs se sont calmés et on a entendus des cris de douleur dans la salle principale, j'ai cru qu'ils étaient en train d'achever les gens. En fait c'étaient les secours qui étaient en train de sortir les premiers blessés".
Brendan : "on sort du Bataclan, en marchant dans le sang, en essayant de ne pas marcher sur les corps."
Après, "j'avais peur dans les transports, j'avais peur des types louches, j'avais peur des types avec une veste bombée".
Brendan : "Il était devenu hors de question d'aller dans les endroits bondés. Donc plus de restau, plus de concert ... Même faire les courses était devenu compliqué.
J'étais incapable de me concentrer, car vous avez des bruits de kalachnikovs qui s'imposent à vous".
Brendan : "aujourd'hui, ça va un peu mieux. Les symptômes d'hypervigilance sont toujours là, mais en moins forts.
Par contre, je ne vois quasiment plus mes amis d'avant. Je suis toujours avec ma femme, j'ai cette chance là."
Brendan : "aujourd'hui, je suis quand même assez fier de cette famille qu'on a construit tous les trois. Je sais la chance que j'ai d'en faire partie. Ce soir là, on a vécu l'horreur, au-delà de ce que les mots peuvent restituer."
Brendan : "j'ai vu l'extrême lâcheté d'hommes, mais j'ai aussi vu le courage et l'humanité d'autres hommes, ceux qui nous ont secourus.
Pour moi les gens dans le box font honte à leurs familles, à leurs parents, à la religion qu'ils prétendent défendre."
Brendan : "ma femme ne peut plus cuisiner de steaks hachés sans penser aux restes de Samy Amimour. Alors on a souvent entendu que les terroristes étaient morts en martyrs. Pour moi c'est une notion assez vague mais pour moi, ils ont finis en steak hachés, ni plus, ni moins."
Brendan : "pour moi, en attaquant Paris, ils ont directement provoqué la mort de leurs frères là-bas en Syrie et la fin de l'Etat islamique. Je ne sais pas s'ils en ont véritablement conscience. Pour moi, ces gens sont perfides, patients et irrécupérables."
Laure, 31 ans, s'est rendue au concert avec deux amies. "Je me trouvais dans la fosse du Bataclan, quand ça a commencé, je me suis retrouvée plaquée contre la barrière [devant la scène ndlr]."
L'une d'elle a été blessée, Laure a réussi à sortir avec la deuxième.
Laure : "dans ma fuite, j'ai du marcher sur des gens, je ne sais pas s'ils étaient vivants ou morts. Dans le sas, une fille m'a attrapé la cheville et m'a supplié de l'aider. J'ai essayé de la traîner mais je n'y arrive pas. Alors, j'ai arraché sa main et j'ai continué."
Laure se réfugie dans un appartement. "Il a été réquisitionné par les forces de l'ordre parce qu'ils avaient un bon angle de tir. Ils nous ont demandé de nous enfermer dans une chambre, dans le noir. On était 10 ou 15, allongés par terre."
Laure : "quelqu'un m'a prêté un téléphone, j'ai réussi à joindre mon petit frère. Il m'a demandé : "mais est-ce que je vais te revoir un jour?" Je vous assure qu'entendre cette question de votre petit frère, c'est déchirant."
Laure explique à son tour les séquelles liées au syndrome de stress post-traumatique : la peur persistante, le sentiment de vulnérabilité, "le décalage perpétuel avec les autres".
"Mais je m'accroche. Et si je fais moins de concert, j'en fais toujours."
L'audience est suspendue pour aujourd'hui. Elle reprendra demain à 12h30 avec d'autres témoignages de victimes du Bataclan.

Le compte-rendu de la journée est à retrouver ici > franceinter.fr/societe/proces…

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