Aujourd’hui, les saint-cyriens commémorent le « 2S ». J'ai décidé de me lancer dans un fil sur cette fameuse tradition saint-cyrienne… 
Je suis probablement inconscient : toucher aux dimensions héroïques et mythiques est un exercice toujours périlleux.
S’y frotter à Saint-Cyr, qui plus est pour quelqu’un qui n’est pas cyrard, peut relever de l’inconscience… surtout le 2 décembre !
Nous en avions fait l’expérience, avec mes camarades Weber et Dessberg, lorsque nous avions publié un article sur les parrains de promotion à Saint-Cyr pour la revue Inflexions inflexions.net/revue/numero-16
Pour le pékin (civil), il faut expliquer le 2S ! Il s’agit d’une cérémonie majeure pour l’Ecole et le monde saint-cyrien.
Chaque année, le 2 décembre, les saint-cyriens se rassemblent à l’aube pour admirer le lever du soleil, le fameux soleil d’Austerlitz du 2 décembre 1805.
La tradition du « 2S » est l’une des plus anciennes et des plus ancrées à Cyr. J’ai pu mesurer l’attachement à cette tradition quand j’enseignais l’histoire à la Spéciale.
J’entends par tradition une information, plus ou moins légendaire, relative au passé, transmise de générations en générations.
Pourquoi le 2S ? « L’ère saint-cyrienne » trouve son origine le 2 décembre 1805 ! Autrefois, pour les cyrards, l’année scolaire commençait en octobre et s’achevait en juillet. Cette année, les cyrards commémorent donc le #2S212 (sous-entendu 212e 2S) 
Pourquoi commémorer cette bataille ? Au fond, l’école est nouvellement créée en 1805.
L’origine de cette tradition ne peut pas s’expliquer par les sacrifices consentis par les saint-cyriens sur le champ de bataille d’Austerlitz en 1805.
Contrairement à une légende tenace, les premiers saint-cyriens tombés au combat n’ont pas été tués à Austerlitz. Le premier, François Chenais, se noie lors du franchissement d’une rivière en Bavière en septembre 1805.
De plus, les saint-cyriens ne sont pas morts massivement sur le plateau de Pratzen (autre légende tenace). En réalité, ils sont peu nombreux à Austerlitz. En 1805, l’école n’a pas encore eu le temps de « produire » massivement des officiers.
Créée par la loi du 4 floréal an X (24 avril 1802), elle est installée et organisée au château de Fontainebleau en janvier 1803. Les premiers élèves sont incorporés en mai et les 40 premiers bellifontains, et non saint-cyriens, sortent en décembre 1803 et janvier 1804.
Seuls 25% des hommes de cette 1re promotion sont toujours actifs en 1815. Les autres ont été tués au combat, morts des suites de leurs blessures, invalides ou disparus en captivité. J’ai écrit à ce sujet un article file:///C:/Users/micha/AppData/Local/Temp/TDM_Construction.pdf
Entre 1804 et 1805, quelques promotions sortent de la nouvelle école, mais elles sont peu nombreuses et les effectifs sont faibles.
Ainsi, les saint-cyriens affectés aux armées sont noyés dans la masse des officiers de l’armée impériale pour la plupart issus du rang. Ils sont très jeunes, du grade de sous-lieutenant et en définitive ils comptent peu sur le champ de bataille à l’époque.
Dans les exploits du brigadier Gérard (1896), une fiction bien documentée, fruit de l’imagination du créateur de Sherlock Holmes, le héros est un officier des hussards qui s’est formé sur les champs de bataille.
Fougueux et orgueilleux, ce hussard a une personnalité qui contraste fortement avec celle d’un sous-lieutenant qu’il croise en Pologne en 1807, « un brave jeune homme » nommé Duroc, officier au « teint blanc »,
Duroc « laisse ses hommes flâner à cheval » et surtout il a « la tête farcie de toutes les absurdités qu’on enseigne à Saint-Cyr ». Gérard soulève là un débat vieux comme le monde saint-cyrien : est-il nécessaire d’être instruit pour faire la guerre ?
En 1805, le temps de formation est long. Les jeunes recrues ne sont pas encore prêtes à commander et à combattre sur les champs de bataille comme le montre le parcours du sous-lieutenant Saulnier.
Il est le plus connu des saint-cyriens tombés au champ d’honneur à Austerlitz. Jean Anselme Saulnier est né à Cusset (Allier) le 21 septembre 1787.
Ancien élève du Prytanée militaire de Saint-Cyr, il est admis à l’Ecole spéciale militaire le 5 mai 1803. Il fait partie des premiers incorporés. Promu caporal en septembre 1803, Saulnier doit attendre janvier 1805 pour être promu au grade de sous-lieutenant d’infanterie.
Son jeune âge (15 ans lors de son admission) et son niveau d’instruction limité contribuent à expliquer le long séjour qu’il effectue à l’école.
Officier au 3e régiment d’infanterie de ligne, il trouve la mort à Austerlitz le 2 décembre 1805. D’après le livre d’or des saint-cyriens morts au champ d’honneur, les sous lieutenants Beck, Tailleur et Bloume (incorporés en 1803) sont également tombés à Austerlitz.
Comment ces officiers tués à Austerlitz ont-ils été commémorés par leurs camarades après la bataille ? Difficile de le savoir, les sources sont peu nombreuses à ce sujet.
En revanche, le jour de l’annonce de la victoire, les élèves officiers laissent exploser leur joie à l’école. Le créateur de l’Ecole, Napoléon Ier, remporte l’un de ses plus beaux succès.
L’année suivante, les élèves officiers décident de commémorer la bataille et depuis ils n’ont pas cessé de le faire en tout temps et en tous lieux comme disent les militaires.
Pendant deux siècles, ces commémorations ont revêtu différentes formes : batailles de polochons et chahuts à l’origine, commémoration plus officielle de la Saint-Austerlitz sous le Second Empire et enfin cérémonie officielle sous la République.
L’histoire de cette tradition est, comme souvent dans les traditions militaires, faite de mythes et légendes. Cette manifestation purement saint-cyrienne à l’origine a fait l’objet de multiples récupérations et appropriations.
Le commandement s’est toujours employé à récupérer le 2S … pour mieux la contrôler et la canaliser.
Aujourd’hui, le « 2S » est loin de ce qu’il a été à l’origine. Il comprend une reconstitution de la bataille par les élèves, un bal… Toutefois, derrière cette manifestation officielle, les saint-cyriens se sont employés à maintenir le chahut du début.
Le 2S montre que dès la création de l’école se sont constituées des traditions qui, évoluant au gré des circonstances, demeurent vivaces aujourd’hui, en particulier sous forme de discours.
Replacer le 2S dans une perspective historique, depuis la création de l’école jusqu’à nos jours, est un exercice complexe tant l’histoire, la mémoire et la tradition sont étroitement imbriquées.
L’armée française est riche de traditions dont elle ne peut se passer (général Delmas). Mais ces traditions ne doivent a aucun prix être figées et mal comprises. Bon 2 S 212 à mes camarades saint-cyriens et à mes anciens élèves devenus grands maintenant.
En marge de mon fil sur le 2S : la proclamation de Napoléon Ier après Austerlitz le 12 frimaire an XIV (3 décembre 1805). Le document est conservé au SHD : "Il vous suffira de dire « J'étais à la bataille d'Austerlitz », pour que l'on réponde, « Voilà un brave ». 
