Elle a toujours aimé la vie, même si la vie, pour elle, n'a pas toujours été simple. Elle a perdu un fils lorsqu'il était bébé, et perdu son mari lorsqu'elle-même avait 40 ans.
Et puis, quand son mari est mort, il n'y a plus eu de fêtes, il y a eu moins d'amis.
Elle dit souvent que l'humour l'a beaucoup aidée.
Quand elle était encore alerte, elle adorait en outre prendre le volant. Et rouler vite, très vite, trop vite, beaucoup trop vite...
Quand elle était encore alerte, elle aimait également se mettre aux fourneaux : surtout des plats en sauces et de la cuisine à la crème – on ne renie pas ses origines, Suzanne est née en Normandie.
Un Établissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes.
Non, ce qui la dérange, c'est d'abord la nourriture.
Suzanne ne mange presque plus. Elle a beaucoup maigri.
Ensuite, ce qui l'insupporte, c'est la façon qu'on a de s'adresser à elle. Il est arrivé qu'on l'appelle "petite mamie". « Je ne suis pas leur "petite mamie" ! »
Infantilisation d'une femme de 95 ans.
Humiliation d'une femme de 95 ans.
Alors oui, c'est très difficile de s'occuper de personnes âgées.
Certains le font avec bienveillance et patience. Ils sont exemplaires, ils sont admirables, il faut les applaudir.
Et puis elle se désole et s'étonne de ne plus retrouver la bouteille de parfum qu'on venait de lui offrir...
En attendant, Suzanne vit à la lumière électrique...
Comme si la fin de la vie, ce n'était déjà plus de la vie.
Tout simplement parce qu'elles ont honte. Et puis pas d'autre solution.
Et puis parce qu'elles ont peur, aussi, d'éventuelles représailles.
C'est un scandale d’État.
Ne pas avoir peur. Ne pas avoir honte.
Parler pour Jeanine, Roger, Marie-Louise, Émile, Germaine, Léon... Et pour les autres, aussi : les prochaines générations.
Elle déménage dans quelques jours, et elle espère vraiment que là-bas, ce sera moins moche, et que les repas seront moins mauvais.
Et moi, quelques grammes d'humour, parce que cette vieille dame de 95 ans, Suzanne, c'est ma grand-mère.