Thread by @Hazukashi1

Le trait le plus angoissant de ma génération: je sors d'un lycée privé du 5ème et de Sciences Po, j'exerce une "profession intellectuelle", et pourtant,mes dix doigts suffisent à faire le compte des gens de mon entourage qui "lisent des livres".

Et dans "gens qui lisent des livres" je compte également ceux qui lisent Ken Follett, Dan brown et E. L. James.

Journalistes, communiquants, diplômés du CELSA, d'ESJ, d'IEP, d'HEC, chez 99% d'entre eux, absence de livres, ou alors 4 ou 5 qui datent de leur 1ère L, juste pour décorer, ce qui donne l'impression d'être dans une pièce-témoin chez Ikéa.

Ces gens travaillent avec les mots, vivent par et pour les mots, et dans leur salon, on ne trouve que des objets très colorés référencés pop-culture, des trucs kitschs ironiques, ou des livres avec des images dedans, que des trucs d'ados attardés.

Leur phrase-fétiche: "Et niveau séries, vous en êtes où en ce moment ?"

Ces gens débatent très sérieusement et doctement des esthétiques respectives du dernier clip de MHD, du S04E02 de Black Mirror, et de la dernière croûte impudiquement exposée au Palais de Tokyo par contre.

Le plus fascinant, c'est que face à l'incurie crasse de toute cette nouvelle élite intellectuelle et médiatique, j'ai rencontré sur internet des chômeurs, pousseurs de palettes, déchus du systèmes connaissant les Classiques par coeur.

La France en 2018:

- des éditorialistes et directeurs de prod surdiplômés qui ont pour référentiels intellectuels Stranger Things, Hunger Games et Handmaid's Tale

- des NEET, hikikomoris, caristes, manutentionaires qui lisent Pétrarque, Suétone, Chateaubriand et Kierhegaard.

C'est ça qui est magnifique avec internet: on ne peut plus faire semblant d'être fin et sensible avec un diplôme. Mes potes chez Libé ou BETC ont le niveau des Ch'tis à Mykonos, et le mec qui pèse mes patates chez Carrefour me parle de Céline.

Ce qui est très déplaisant par contre: ceux qui dans 10 ans tiendront les médias et la politique ont un univers intérieur se résumant à des affiches Joan Cornella, des figurines Artoyz, des citations de Breaking Bad et des bouteilles d'IPA vides.

J'ai vraiment l'impression qu'on est entré dans une espèce de Moyen-âge Technologique, où la noblesse est inculte, et où le savoir est gardé par une bande de puceaux inadaptés reclus dans des monastères virtuels qui vendent de la bière pour survivre.

Addendum: dans ma bibliothèque il y a beaucoup de jeux-vidéos, de consoles, de mangas, de SF, d'héroic-fantasy et de bande-dessinées en général.

Je considère d'ailleurs le jeu-vidéo comme la forme d'art contemporain ultime:

medium.com/@Hazukashi1/pl…

Sinon, j'ai aucun respect spécifique pour la culture classique, le livre en papier ou quoi que ce soit de ce genre :
medium.com/@Hazukashi1/po…

Très touché de voir tous ces twittos réagir comme un seul homme pour défendre des gens incultes, prétentieux, et qui ressemblent à ça:

C'est encore plus touchant lorsqu'on réalise que ces pubards, journalistes, start-uppers et graphic designers qui vous dirigeront demain vous écrasent encore plus en siphonnant la culture geek et en la transformant en série Netflix surformatée.

Lire un livre, ou un manga, ou une bd, ce n'est pas regarder une série, ça demande d'être actif et concentré. La lecture valorise certains circuits neuronaux, stimule une certaine capacité de conceptualisation.

Vouloir un monde où l'on serait dirigé par une caste de papillons incapables de comprendre un traité de philosophie politique, et n'ayant pour horizon conceptuel que les morales de la pop culture mainstream, là pour le coup c'est un putain d'épisode de Black Mirror.

Un épisode de Black Mirror où les gens qui manifestent dans la rue ont des panneaux qui comparent Donald Trump à Voldemort parce qu'ils n'ont qu'Harry Potter comme outils intellectuels pour analyser leur environnement.

Un épisode de Black Mirror où les rédacteurs en chef des grands médias qui font l'opinion te disent "mec tu te prends trop la tête" quand tu parles d'autre chose que de la Ligue des Champions ou d'Avengers.

Et rien que le fait d'utiliser cette putain de métaphore de "c'est trop un épisode de Black Mirror" prouve que je suis déjà niqué. Ce sont les scénaristes cokés d'Hollywood qui impriment mon rapport au réel.

Les gens que je critique n'ont jamais joué à Mass Effect 3 ni à Fallout, n'ont jamais lu ni Pratchett, ni Basilisk, ni Berzerk, ni Lovecraft ni L'Incal, ni rien du tout. Ils marinent dans le vide.

Et ce ne sont pas les séries le problème. The Wire a prouvé à tout le monde que c'était un art complexe et profond. Le problème c'est l'image, la superficialité, la surface, l'infantilisme de trentenaires en Van's vautrés dans leurs fauteuils comme s'ils avaient 16 piges.

Le fait d'être entouré de putains de réplicants qui ne raisonnent qu'avec des citations toutes faites sorties de séries pétées, encore pire que les aliens dans They Live de John Carpenter.