Profile picture
Tristan Kamin @TristanKamin
, 69 tweets, 20 min read Read on Twitter
Suite du #thread sur le cycle du combustible #nucléaire : on passe au retraitement du combustible usé, qu'on appelle parfois, très maladroitement, traitement des déchets ou, pire, recyclage des déchets.

L'épisode précédent :

Lorsqu'on a parlé enrichissement, conversion, fabrication du combustible, on avait produit 1075 tML par an d'uranium sous la forme de dioxyde d'uranium, enfournées en réacteur pour environ 3 ans - et donc, évidemment, la même quantité déchargée des réacteurs chaque année.
Après 2 ou 3 ans de refroidissement dans les piscines des BK des centrales nucléaires, ils sont transportables, et c'est là que le périple recommence.

Bon, là, plus que jamais, on va être dans in modèle franco-français à mort.
Parce que le retraitement, très pratiqué en France, il est aussi pratiqué par les anglais et les russes, les japonais essayent, et... C'est tout. Certains pays le font faire par d'autres, beaucoup ne le font pas du tout et gardent le combustible tel quel en sortie de réacteur.
En préparant ce thread, j'ai fait une moisson phénoménale d'images, donc ça va être ultra visuel, mais je trouve que ce qu'on appelle « l'aval du cycle » en met vraiment plein les yeux parce qu'on connaît ce monde encore moins que les réacteurs.
En plus :
1 - des réacteurs en service, on en a 58 identiques (ou presque), alors que des usines de retraitement, on en a 2 identiques seulement, donc ça a ce côté rare qui est très classe
2 - La France est à la pointe mondiale dans le retraitement, alors que dans les réacteurs, elle est un acteur plus ordinaire, pas forcément très glorieux ces derniers temps. Donc y'a une fierté nationale dont je ne me cache pas 😋🇫🇷
Par contre, concernant les illustrations, ça va un peu alourdir, mais vu le nombre de photos, je vais faire l'effort de créditer les auteurs à chaque fois que j'en aurai le nom. De toute façon, faudrait faire ça systématiquement.

Bref, entrons dans le vif du sujet !
Notre combustible usé à transporter est extrêmement radioactif. Sans protection, je ne prends pas de risque en vous disant qu'au contact d'un assemblage, vous prenez une dose mortelle en quelques dizaines de secondes. Ça déconne pas.
En plus de ça, il chauffe.
Donc pour le transport :
- Protection contre les radiations
- Dissipation de la chaleur
- Protection contre les agressions externes

Donc le transport se fait dans des espèces de conteneurs dédiés, qu'on appelle « châteaux ». En voici un exemple.
Celui-ci est probablement un château de combustible usé japonais acheminé par la mer, mais, pour les réacteurs EDF, ils sont transportés en train jusqu'au terminal ferroviaire de Valognes, proche de Cherbourg (Manche, Normandie), dans des wagons dédiés.
C'est d'ailleurs assez stylé de passer en train dans cette gare et de voir ces alignements de massifs blancs. Enfin, stylé dans le style industriel, hein.

De là, ils sont acheminés en camion sur environ 20 bornes jusqu'à l'usine de retraitement d'@OranolaHague.
Tout le long du voyage, départ, arrivée, à chaque chargement/déchargement (à minima), c'est contrôle radiologique : débit de dose au contact, à distance, recherche de contamination à l'extérieure, jusqu'entre les ailettes de refroidissement.
Des transports, il y en a évidemment beaucoup dans la partie amont, j'en ai pas parlé à cette occasion, mais les même contrôles sont pratiqués, évidemment - même si le débit de dose est plus faible de beaucoup d'ordres de grandeur.
À l'arrivée, après déchargement du combustible, les châteaux ont droit à leur session de toilettage : contrôles, éventuelle décontamination de l'intérieur... On déconne pas là-dessus, j'imagine à peine combien chacun doit coûter 😱

Crédit : E. Larrayadieu.
Mais revenons un peu sur le terme « châteaux ». Je ne sais pas d'où vient le terme, mais il est approprié : ce sont de monstrueuses forteresses.
Orano parle d'un ration de 100 tonnes de blindage pour 10 tonnes de combustible transporté - ça déconne pas...
Les américains, d'ailleurs, ont un certain sens du spectacle à ce sujet...



Parmi les critères de l'AIEA :
- Tenue à une chute de X m
- Tenue à une chute de Y m sur un poinçon
- Tenue Z heures à l'incendie
- Tenue W heures à la submersion
Tenue à tous les chocs susceptibles d'être rencontrés dans le transport, y compris déraillement du train...
Bref, en cas d'accident, risque de gros dommage... Par destruction de tout ce qui rencontrera le conteneur 😋. Pas franchement par dispersion de son contenu.
Y'a un million de choses à dire sur les transports ; en faisant mes recherches, j'ai trouvé une quantité folle de schémas, d'écorchés de différents type de conteneurs, de vidéos de test... Donc on va s'arrêter là et rentrer dans le vif du sujet du retraitement :p
Ce dernier, il se pratique donc à l'usine d'Orano La Hague, dans la province du même nom.
D'ailleurs, à tous les gens du milieu : arrêtez d'appeler l'usine « La Hague ».
La Hague, c'est le nom de tout le secteur, en orange sur l'image.
L'usine, c'est le petit rond bleu, donc cites « usine de La Hague », « Orano la Hague », « l'établissement de la Hague », « la Coge » (diminutif de Cogema, l'ancien nom d'AREVA, les gens du coin utilisent encore ce nom parfois), mais s'il-vous-plaît, pas juste « La Hague ».
Si ça peut vous décider, en l'appelant juste « La Hague », vous donnez raison à Rousselet, directeur de campagne antinuc de @greenpeacefr, qui déplore un détournement du nom de ce très bel endroit pour cette vilaine usine.
Vous voulez pas lui donner raison, hein ?
(petite coupure téléphonique, j'en étais où ?)
L'usine de La Hague, donc. On devrait même dire les usines : deux usines jumelles de retraitement (UP3 et UP2-800), en service ; une usine de retraitement en démantèlement (UP2-400)...
Une station de traitement des effluents en démantèlement (STE2), une autre en service (STE3), et une paire d'installation de recherche en démantèlement aussi.

Le tout adossé au Centre de Stockage de la Manche (CSM exploité par @Andra_France), site de stockage de déchets FMAVC.
Voilà la bête. L'espèce de terrain de golf, c'est le CSM. Toute la partie haut-droite de l'image, l'usine de La Hague.
Partie inférieure gauche, des entreprises qui font partie de la constellation d'industrie entourant l'usine.
Image en haute résolution sur le Flickr de l'ANDRA : flickr.com/photos/andra_f…
Une autre image.
Les plus hautes cheminées font environ 100 m. On est pas sur du discret, mais on est loin des 120 m de certaines tours aéroréfrigérantes des centrales, et loin des 300 m de certaines centrales à charbon ou biomasse.
Pour une visite aérienne guidée :



(J'ai un peu honte, mais faut bien avouer que la vidéo est cool, on voit vachement bien, et puisque c'est public... J'vais pas me priver).
Alors, le retraitement, comment ?

Et bien le combustible, à son arrivée, on commence par le décharger de ses conteneurs, puis... On le met à refroidir en piscine. Oui, encore. Des piscines assez énormes, cependant. Le tout de manière automatisée ou à distance, évidemment.
Attention, pluie de photos. Je les trouve vraiment trop belles, ces piscines (y'en a plusieurs, 4 de mémoire, réparties sur l'usine). On va aller en zoomant de plus en plus près.

Crédit : E. Larraydieu.
Les assemblages combustibles sont regroupés dans des paniers. Les piscines reçoivent essentiellement du combustible EDF, toujours le même type, mais parfois aussi de l'exotique : réacteurs de recherche, ou réacteurs étrangers.

Crédits : S. Jezequel (x2), P. Lesage.
Parce que je sais qu'on va me poser la question sur le remplissage des piscines, un levier de peur qu'apprécient beaucoup les antinucs en ce moment, le dernier inventaire que j'ai sous le coude est au 31 décembre 2016 : 9778 tML sur une capacité de 14 000 tML.
On est pas au débordement, mais bien remplis. Et sachant qu'on ne retraite pas au même rythme qu'on consomme, on va vers un remplissage, pour le moment. À l'horizon 2030 d'après l'IRSN.

Nos 1075 tMl d'oxyde d'uranium (UOx) irradié séjournent là environ 5 ans.
Ensuite vient enfin le retraitement.
D'abord, le procédé mécanique, qui consiste à couper les embouts des assemblages d'une part, puis cisailler le combustible en petits tronçons d'environ un petit pouce de long (le doigt, pas l'unité britannique).
Les tronçons tombent dans une roue à godets, elle-même dans une cuve de très grandes dimensions mais très faible épaisseur, qu'on appelle le dissolveur. Le tout rempli à moitié environ... D'acide nitrique.
La roue tourne progressivement, permettant la dissolution de toute la matière contenue dans le combustible, puis la récupération de toutes les coques, les morceaux de gaine découpés. Les coques et embouts sont rincés et séparés du procédé.

Crédit : P. Lesage.
Ensuite, elles sont compactées sous la forme de galettes métalliques, et déposée dans des fûts dédiés : les colis standard de déchets compactés.
Ceux-ci constituent l'essentiel des déchets de moyenne activité à vie longue de l'industrie électronucléaire.

Crédit : E. Larrayadieu
Une petite photo de la roue du dissolveur, à l'époque de la construction de l'usine je crois. Admirez ses dimensions : environ 4m de diamètre pour, quoi... 30 cm de large, à vue de nez ?

Crédit : S. Jezequel.
Revenons à la matière "nucléaire". Vous vous souvenez de la composition en sortie de réacteur ?
Environ 95% d'uranium, 1% de plutonium, 4% de produits de fission, 0,1 % d'actinides mineurs ?

Bah l'uranium et le plutonium, ça a de la valeur... Donc on va les séparer du reste.
Mais pour le moment, tout est sous forme d'une solution d'acide nitrique et d'un tas de merdes (l'incroyable variété des produits de fission) dissoutes dedans.

Et là... On entre dans tout un procédé de chimie qu'il est hors de question que je détaille, ce thread est déjà long !
Et de toute façon, Orano a réalisé une EXCELLENTE vidéo qui, en 10 min, explique super bien tout le procédé de traitement. Aucune chance que je fasse mieux, alors je vous invite vraiment à aller voir.

Et sinon, l'essentiel : à la fin du traitement, on récupère l'uranium sous forme liquide (nitrate d'uranyle) qu'on expédie de la sorte pour entreposage ou recyclage (le recyclage... On y viendra tôt ou tard ).
Le plutonium, sous forme de poudre (dioxyde de plutonium) que, de même, on va expédier pour recyclage (avec une exigence énorme de sécurité, en plus de la sûreté, car il représente un risque de détournement pour des fins militaires).
Et enfin, les produits de fissions (PF) et actinides mineurs (AM) finissent dans des solutions concentrées qu'on va sécher sous forme de poudre, incorporée à de la fritte de verre, pour vitrifier toutes ces saletés.

Et la vitrification, c'est cool.
Quand on vitrifie, nos matières ne sont pas emprisonnées dans un enrobage de verre : elles font partie du verre ! Nos PF et AM font partie des molécules qui constituent le verre. Ce n'est pas un confinement mécanique, mais des liaisons chimiques qui assurent la cohésion du tout !
Du coup, lors du stockage (mais on en parlera le moment venu), c'est pas en cassant le verre qu'on peut faire fuire les particules radioactives, mais en corrodant le verre. Easy 🙃
Ce verre, il est coulé dans des conteneurs dédiés (colis standard de déchets vitrifiés), et constitue l'essentiel (la totalité ? 🤔) des déchets ultimes de haute activité à vie longue de l'industrie électronucléaire.
Woops, cette photo là c'est un conteneur de déchets compactés.
M'enfin, vous m'excuserez, la différence est... Ténue :p

Niveau dimensions, on est en gros sur du 1m30 de haut, 40 cm de diamètre.
90 kg d'acier, 400 kg de verre dont 10 kg de PF et AM.
Pour le plaisir, des tas de photos :
Une cuve où l'on fait s'évaporer les produits de fission pour les concentrer, et une colonne pulsée servant à l'extraction U/Pu (S. Jezequel).
Là, je sais pas trop où on est, je partage juste pour la beauté de la quantité de tripaille (ça va être joyeux au démantèlement).

...

Bon, en vrai, je sais : on est quelque part au niveau de la conversion et le conditionnement du plutonium, de la solution à la poudre.
(et c'était toujours le même photographe).

Conteneurs vides avant vitrification, et leur outil de manutention.

Crédit : E. Larraydieu
Cellules de coulée du verre dans les conteneurs.

Crédits : P. Lesage et S. Jezequel.
Transport d'un fût rempli (on voit qu'il a chauffé un peu) et soudage du couvercle.

Crédit : S. Jezequel (j'avais pas vu que je tournerai avec 3 noms seulement, j'aurai juste du les citer au début ^^)
Entreposage des fûts en puits ventilés dans différents bâtiments de l'usine, et vue sur le fond des puits, et notamment les dispositifs parasismiques (je suppose).

Crédits : C. Dupont et EURODOC CENTRIMAGE.
Et même si ça n'a aucun rapport, parce que la photo est superbe, un poste de télémanipulation, quelque part dans l'usine.

(E. Larrayadieu)
Et ces déchets moyenne et haute activité à vie longue, ils resteront entreposés là jusqu'à une solution de stockage définitif. Ils sont donc, de toute évidence, destinés à Cigéo.
Je ne vous parle pas de tous les déchets technologiques (tenues, outils...), ou ceux produits par le traitement des effluents (boues cimentées...), sinon on en a pour la nuit...
Mais vous savez donc à quoi ressemblent la quasi-totalité des déchets destinés au stockage profond.
Concluons par un « bilan matière ».

Nous avions déchargé 1075 tML d'UOx usé. On en extrait 1% de plutonium, disons 11 tonnes. 95% d'uranium, disons 1020 tonnes. Et on sépare 4% de PF et AM, soit 45 tonnes, qu'on vitrifie pour faire environ 150 m3 de HAVL.

+190 m3 de MAVL.
On connait le futur des déchets, mais... Qu'en est-il de l'uranium et du plutonium ?
On n'en parlera pas tout de suite. Historiquement (années 60), pour le plutonium, c'était simple : usage militaire. Mais ça se faisait dans l'usine UP1 du CEA, ce n'est plus d'actualité.
Avant de terminer pour de bon, un mot sur l'intérêt, point de vue déchets, de ne pas avoir laissé le plutonium dans la vitrification, pourquoi s'embêter pour 11 tonnes par an ?
Et bien le plutonium, c'est un émetteur alpha. Donc qui émet des particules lourdes, donc chargées en énergie, mais vite arrêtées, donc qui déposent très vite leur énergie... Et donc font chauffer.
Ce qui conduit à faire des verres moins concentrés, donc plus volumineux.
La séparation du plutonium et la vitrification, ça permet de réduire considérablement le volume des déchets HAVL. Un facteur 5, par rapport à un scénario où on stockerait le combustible sans retraitement !
Plus important : c'est un émetteur alpha à vie longue. Donc si on le laisse dans le verre, il sera à peine réduit dans 10 000 ans, alors que beaucoup de produits de fission auront disparu en quelques siècles. Et il est ultra nocif par inhalation ou ingestion.
En fait, à échelle de quelques dizaines de milliers d'années, les actinides mineurs sont responsables de quasiment toute la radiotoxicité des déchets à vie longue. Il ne reste guère qu'eux.
Et cette radiotoxicité, avec le plutonium, c'est d'un facteur 10 qu'elle augmenterait !
Donc séparer le plutonium permet de faciliter le stockage (puissance thermique et volume + faibles), et, en plus, réduit la nocivité des déchets à très long terme - ou la durée de confinement à tenir pour atteindre un certain niveau de radiotoxicité.
Vu l'enjeu, vu l'attachement de la population à ce sujet, et vu l'impact (facteur 10 !), je terminerai dans un grand élan d'analyse technique et objective :

Le retraitement, c'est cool.
À la prochaine pour parler d'un autre enjeu du retraitement, le recyclage ;-)

Bonne soirée !
Petit correctif : sur cette image, ce que j'ai décrit comme un dispositif parasismique est en fait un amortisseur, en cas de chute d'un colis dans le puit.
Missing some Tweet in this thread?
You can try to force a refresh.

Like this thread? Get email updates or save it to PDF!

Subscribe to Tristan Kamin
Profile picture

Get real-time email alerts when new unrolls are available from this author!

This content may be removed anytime!

Twitter may remove this content at anytime, convert it as a PDF, save and print for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video

1) Follow Thread Reader App on Twitter so you can easily mention us!

2) Go to a Twitter thread (series of Tweets by the same owner) and mention us with a keyword "unroll" @threadreaderapp unroll

You can practice here first or read more on our help page!

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just three indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member and get exclusive features!

Premium member ($30.00/year)

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!